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VIGNY: LES DESTINEES : LA MAISON DU BERGER

Publié le 27/05/2010

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vigny

Vivez, froide Nature, et revivez sans cesse Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi Vivez, et dédaignez, si vous êtes déesse, L'homme, humble passager, qui dut vous être un roi Plus que tout votre - règne et que ses splendeurs vaines, J'aime la majesté des souffrances humaines, Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi. Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente, Rêver sur mon épaule, en y posant ton front ? Viens du paisible seuil de la maison roulante Voir ceux qui sont passés et ceux qui passeront. Tous les tableaux humains qu'un Esprit pur m'apporte S'animeront pour toi, quand, devant notre porte, Les grands pays muets longuement s'étendront. Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre Sur cette terre ingrate où les morts ont passé ; Nous nous parlerons d'eux à l'heure où tout est sombre, Où tu te plais à suivre un chemin effacé, A rêver, appuyée aux branches incertaines, Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines, Ton amour taciturne et toujours menacé.

«La Maison du Berger « est un long poème de 48 strophes, publié en 1844, et repris dans le recueil posthume qui a pour titre Les Destinées.  Ce recueil de poèmes philosophiques est une interrogation sur la condition humaine. Vigny décrit le mal, la souffrance, les fatalités, le désespoir de l'homme face à son destin. En même temps, il cherche le sens de cette condition, la grandeur possible de l'humanité, la voie que peut ouvrir le culte de l'Esprit. Dans cette perspective, la pitié que peuvent éprouver l'homme et la femme contemplant le tragique humain, et la poésie (« perle de la pensée «) qui élève l'être humain jusqu'au « pur enthousiasme «, sont les valeurs essentielles sur lesquelles se fonde l'espérance du poète.  Tous ces thèmes apparaissent dans «La Maison du Berger «, dont nous allons commenter les trois dernières strophes. Celles-ci peuvent se comprendre par elles-mêmes; mais il va de soi qu'un rappel du mouvement général du poème dont elles sont la conclusion nous permettra de mieux percevoir leur portée. Voici donc en quelques mots la substance de « La Maison du Berger « :  Le poète s'adresse à « Eva «, femme de rêve, compagne idéale qu'il invite à partager son intimité. 

vigny

« qu'elle est alors qu'elle ne saurait être autrement.

Dans ces premiers vers fortement accentués (ce qui souligne leuraspect oratoire), on remarque évidemment l'opposition entre le « vous » et le « nous »; Vigny parle au nom del'homme, du sein de l'humanité dont il fait partie, et il met à distance la froide Nature par ce « vous » six fois répété(en comptant les impératifs).

A ce « vous » répondra plus loin le tutoiement intime adressé à Eva.« L'homme, humble passager, qui dut vous être un Roi; Plus que tout votre règne et que ses splendeurs vainesJ'aime la majesté des souffrances humaines :Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi.

»L'homme ! Le mot, complément de « dédaignez » — simple objet au regard de la Nature, devient par sa place endébut de vers le véritable sujet: sujet de la relative qui suit (« qui dut vous être un Roi »), et sujet de la créationdont il mérite la royauté.

Ce vers exprime la fragilité de l'homme (l'humble passager, au sens temporel, n'est aussiqu'un voyageur en ce monde) mais il établit aussi sa grandeur face à la Nature : le vers commence par « homme »pour finir par « Roi » ; sa cadence est croissante, et l'accentuation soulignée du second hémistiche marque cerehaussement de la nature humaine :« L'homme/ humble passager/ qui dut vous être un Roi; » (1 syllabe) (5 syll.) (6 syli.)Les deux vers qui suivent, clefs de la pensée de Vigny, rétablissent la hiérarchie avec une force tranquille : à labeauté inutile de la puissante Nature, il faut préférer la souffrance digne de l'homme vulnérable.

Cette opposition sedéploie avec lenteur et fermeté : l'amplitude donnée par l'enjambement, la mise en relief quasi emphatique del'affirmation au centre de la phrase (« J'aime »), la reprise quatre fois de la même sonorité (-è) qui ponctue notrelecture, l'allitération qui en facilite le flux, tous ces éléments donnent à la formule un caractère achevé et solennel. «Plus que tout votre règne et que ses splendeurs vainesJ'aime la majesté des souffrances humaines :» Bien entendu, le sens de ce vers mérite un commentaire : Vigny a écrit lui-même qu'il exprimait là « l'esprit del'humanité; l'amour entier de l'humanité et de l'amélioration de ses destinées ».

Cela nous épargne l'erreur d'y voirune exaltation masochiste de la douleur : pourquoi les souffrances auraient-elles une « majesté » ? Ce qui est ditici, c'est que l'homme est grand dans la souffrance, malgré elle, et que sa dignité consiste à surmonter par l'espritles douleurs que lui inflige la Nature.

Nous retrouvons là comme un écho de Pascal célébrant la grandeur de lapensée : « Quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'ilmeurt, et l'avantage que l'univers a sur lui; l'univers n'en sait rien.

»Ainsi, parce que l'homme souffre, le poète l'aime : il est saisi de pitié; et parce que l'homme est digne, le poètel'admire : il le contemple et doit, par sa poésie, témoigner en sa faveur.

Le poète est le chantre de la grandeurspirituelle de l'homme. « Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi.

» Simplicité sèche de ce dernier vers : l'amour de l'homme est trop essentiel à l'humanité pour être dévoyé sur laNature.

Cette Nature est sans doute moins la nature vivante et profonde qui environne l'être humain que l'universabstrait et immuable dont parle Pascal : il n'empêche que Vigny appelle ici les poètes à élever leur pensée, àdépasser la source d'inspiration trop commune que représente « le sentiment de la nature ».

Cette déclarationd'indifférence prend la forme d'une litote : au lieu de dire de façon trop oratoire «je vous méprise », Vigny procèdepar la négation du contraire — « vous ne recevrez pas un cri d'amour » (c'est l'exemple symétrique du cas deChimène déclarant à Rodrigue : Va, je ne te hais point »).

« Seul le silence est grand », dit ailleurs Vigny.

Et l'onsonge encore à Camus écrivant : «Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris.

»Le thème de la froide Nature reparaîtra explicitement à la dernière strophe, à propos de la « terre ingrate» qui voitpasser les vivants et les morts.

Mais on peut dire qu'il demeure présent comme toile de fond dans les deux strophesqui suivent : c'est sur elle que se déroulent les « tableaux humains », c'est contre elle que se pose la fragile intimitédu couple dont le regard tente d'échapper au Temps. L'INVITATION AU VOYAGE CONTEMPLATIF « Mais toi, ne veux-tu pas [...] » Total changement de ton.

Au « vous » de distance s'oppose le « mais toi » siproche; l'interrogation négative « ne veux-tu pas », par son détour discret (c'est moins direct que « veux-tu »),rend l'invitation d'autant plus tendre qu'elle est retenue.

La voix de l'intimité chasse de notre pensée la réalitébrutale, extérieure, sonore de la Nature dominatrice.

Eva, l'indolente voyageuse, prend sa place en gros plan.L'intimité du toi et moi est immédiatement suggérée par l'image du front se posant sur l'épaule, dans un vers dontles mots concernant la compagne (rêver, ton front) et le compagnon (épaule, posant) se répondent symétriquement: « Rêver sur mon épaule, en y posant ton front?»(2 syl.) (4 syl.) (4 syl.) (2 syl.) Cet appel est un appel au voyage (voyageuse, viens, maison roulante, passés, passeront).

Mais c'est en mêmetemps une invitation au repos méditatif : ne veux-tu pas...

rêver; viens...

voir.

La voyageuse est indolente et le. »

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