Vie et oeuvre du marquis de Sade
Publié le 12/10/2018
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Roman et philosophie
Une tradition associait, au XVIIIe siècle, l’érotisme et le non-conformisme philosophique. Un livre comme Thérèse philosophe, attribué au marquis d’Argens, faisait suivre au lecteur l’éducation intellectuelle en même temps que physique de l’héroïne. Sade trouve dans cette littérature une structure qu’il porte à sa perfection : l’alternance de la scène et de la dissertation, véritable dialectique dans la mesure où la théorie encourage l’orgie
et où les passions conditionnent la réflexion. Le libertin n’est séducteur ou bourreau qu’autant qu’il est philosophe.
La solitude du prisonnier a été studieuse. Il a dévoré les traités qui ruinaient le christianisme et la morale du renoncement, les récits de voyage qui montraient la diversité des mœurs. Il a suivi les Philosophes dans leur réhabilitation des passions, leur effort pour rendre compte de l’univers en faisant l’économie de Dieu, leur espoir dans une transformation de la société. Il n’hésite pas à recopier des passages entiers de ceux qu’il considère comme ses prédécesseurs et ses compagnons de lutte. Il place ainsi dans la bouche de ses personnages des raisonnements textuellement empruntés à Fréret, à Voltaire ou à d’Holbach. Mais il a également mis le doigt sur les contradictions inhérentes à l’optimisme des Lumières. Les Philosophes font de la nature à la fois ce qui est et ce qui doit être. Ils refusent une morale révélée et prétendent fonder leur éthique sur l’utilité sans tenir compte des divergences d’intérêt qui existent dans la société. Le féodal Sade s’inscrit dans le sillage des Lumières par son athéisme, son refus d’une morale coer-citive et des institutions d’Ancien Régime, mais, quand il s’agit de reconstruire un autre monde, on le voit hésiter, peut-être évoluer.
Dans un des premiers opuscules qu’il ait composés, le Dialogue entre un prêtre et un moribond, il oppose au représentant de l’Eglise un athée tranquille qui cherche son bonheur dans les plaisirs et résume la morale dans l’axiome connu : « Rendre les autres aussi heureux que l’on désire de l’être soi-même ». Peu de temps après, il rédige les Cent Vingt Journées, qui proclament le bonheur de chacun subordonné au malheur d’autrui. Tantôt la nature est pensée comme une matière indifférente aux hommes, tantôt comme une force destructrice qui veut le crime. Dieu, le plus souvent nié — mais de manière ambiguë —, est parfois rétabli pour le plaisir sacrilège du blasphème. Le libertin est un homme soumis à ses passions, mais aussi, en un second temps — selon ce qu’on a pu appeler, sur le modèle du paradoxe du comédien, le paradoxe du libertin —, un homme de pure céré-bralité qui commande à ses passions. Le libertinage devient alors une ascèse. Le « divin marquis » pourrait être rapproché de certains mystiques.
Il y a danger à systématiser ce qui chez lui n’apparaît que sur le mode de l’intervention. Son œuvre est littéraire en ce sens qu’elle tente l’impossible synthèse de contradictions. Le choix du roman épistolaire, du dialogue est à cet égard significatif. La pensée de Sade se dissémine en points de vue de personnages. Envisageant les mesures à prendre pour radicaliser la Révolution, il propose de réduire au minimum la législation, de détruire la religion, sans préciser le contenu positif du régime qu’il appellerait de ses vœux. C’est un anarchisme ou un libéralisme qui permettrait une autorégulation des passions les plus violentes, mais, à cet horizon, se mêle l’image obsédante du despote tout-puissant, à la fois seigneur féodal, roi et financier richissime.
Les modèles économiques sur lesquels repose la fiction sadienne sont ceux, contradictoires, du château médiéval et de l’atelier; l’idéal est tantôt cherché du côté d’un sérail fermé, tantôt du côté d’une prostitution généralisée. Le libertin ne parvient pas à choisir entre le passé et l’avenir, l’immobilité et le mouvement. Sade, grand seigneur sans-culotte, libertin solitaire, vit dans sa chair et dans sa pensée les contradictions de son temps.
Sade et le sadisme
Le sadisme, affirme Roland Barthes, n’est que le contenu grossier du texte sadien. Viols, incestes, sodomie, tortures ponctuent ce texte qu’on ne peut réduire à

«
l'avaient été par le roi, les parlements et l'irrésistible ascension de la bourgeoisie.
Ésotérisme et exotérisme
L'œuvre, telle que nous la connaissons, est double : d'un côté, une production théâtrale et romanesque dans le goût du temps; de l'autre, une production érotique et pornographique dont la radicalité n'a pas fini de nous étonner.
Longtemps le second versant a occulté le pre mier.
Sade lui-même semble indiquer deux filières dans ses publications lorsqu'il édite anonymement Justine,
la Philosophie dans le boudoir, ouvrage posthume de l'auteur de «Justine», puis la Nouvelle Justine, attri buée également à un auteur décédé, et fait paraître paral lèlement Aline et Valcour, par le Citoyen S***, Oxtiern ou les Malheurs du libertinage, par D.A.F.S.
et les Cri mes de l'amour, par D.A.F.
Sade, auteur d'« Aline et Valcour ».
Celui qui entend être reconnu comme homme de lettres cherche à se démarquer de cet autre lui-même qui ne peut parler que d'outre-tombe, d'au-delà de la littérature et de la reconnaissance sociale.
Les deux voies sont nécessaires pour comprendre l'œuvre dans sa dou ble polarité de fermeture sur soi et d'ouverture vers autrui, d'approfondissement obsessionnel et de commu nication.
Les divers manuscrits non publiés se rangent aisément dans l'une ou l'autre catégorie.
Les Historiet tes, contes et fabliaux, le théâtre et les romans histori ques de la fin appartiennent à la veine exotérique; les Cent Vingt Journées de Sodome dominent la production ésotérique, Ce sont les mêmes histoires que Sade raconte dans un cas comme dans l'autre, les mêmes fantasmes qui sont en jeu, mais qui peuvent être transformés selon les règles et les formes des genres reçus, ou bien exprimés - et ressassés - dans leur violence.
En ce sens, tout le pan exotérique de l'œuvre sadienne apparaît comme un palimpseste sur lequel se laisse lire une écriture cryptée et ésotérique.
Le président de Blamont, père d'Aline, ou le comte Oxtiern sont des libertins dont la férocité ne s'exerce qu'avec discrétion et qui se soumettent à un dénouement édifiant, mais on reconnaît en eux les com plices de Dolmancé, de Noirceuil et des quatre héros des
Cent Vingt Journées, dignes de les égaler en cruauté.
Puisque l'hypocrisie constitue une des armes du libertin, les déclarations vertueuses de l'homme de lettres peu vent être marquées d'ironie et se renverser en leur contraire.
Il faut pourtant se garder de figer l'œuvre entière dans le paroxysme final des Cent Vingt Journées et ne voir dans Aline et Valcour qu'une édulcoration.
Le jeu sur le langage permet également d'articuler l'un sur l'autre les deux versants de la production sadienne.
Les conventions esthétiques du moment sont respectées ici pour être tournées en dérision là.
Les por traits, les métaphores viennent tout droit des traités de rhétorique, mais les portraits figés contrastent avec la violence des scènes, les métaphores éculées sont soudain
prises au pied de la lettre.
Quelle que soit la conscience que l'homme Sade ait pu en prendre, son texte s'impose au lecteur du xxe siècle comme une mise en pièces du discours classique.
Roman et philosophie
Une tradition associait, au xvme siècle, l'érotisme et
le non-conformisme philosophique.
Un livre comme Thérèse philosophe, attribué au marquis d'Argens, fai sait suivre au lecteur l'éducation intellectuelle en même
temps que physique de l'héroïne.
Sade trouve dans cette littérature une structure qu'il porte à sa perfection : l'al ternance de la scène et de la dissertation, véritable dia
lectique dans la mesure où la théorie encourage 1' orgie
et où les passions conditionnent laréflexion.
Le libertin n'est séducteur ou bourreau qu'autant qu'il est phi losophe.
La solitude du prisonnier a été studieuse.
Il a dévoré les traités qui ruinaient le christianisme et la morale du renoncement, les récits de voyage qui montraient la diversité des mœurs.
Il a suivi les Philosophes dans leur réhabilitation des passions, leur effort pour rendre compte de l'univers en faisant l'économie de Dieu, leur espoir dans une transformation de la société.
Il n'hésite pas à recopier des passages entiers de ceux qu'il consi dère comme ses prédécesseurs et ses compagnons de lutte.
Il place ainsi dans la bouche de ses personnages des raisonnements textuellement empruntés à Fréret, à Voltaire ou à d'Holbach.
Mais il a également mis le doigt sur les contradictions inhérentes à l'optimisme des Lumières.
Les Philosophes font de la nature à la fois ce qui est et ce qui doit être.
Ils refusent une morale révélée et prétendent fonder leur éthique sur l'utilité sans tenir compte des divergences d'intérêt qui existent dans la société.
Le féodal Sade s'inscrit dans le sillage des Lumières par son athéisme, son refus d'une morale coer citive et des institutions d'Ancien Régime, mais, quand il s'agit de reconstruire un autre monde, on le voit hésiter,
peut-être évoluer.
Dans un des premiers opuscules qu'il ait composés, le Dialogue entre un, prêtre et un moribond, il oppose au représentant de l'Eglise un athée tranquille qui cherche son bonheur dans les plaisirs et résume la morale dans l'axiome connu: «Rendre les autres aussi heureux que l'on désire de l'être soi-même».
Peu de temps après, il rédige les Cent Vingt Journées, qui proclament le bon heur de chacun subordonné au malheur d'autrui.
Tantôt la nature est pensée comme une matière indifférente aux hommes, tantôt comme une force destructrice qui veut le crime.
Dieu, le plus souvent nié - mais de manière ambiguë -, est parfois rétabli pour le plaisir sacrilège du blasphème.
Le libertin est un homme soumis à ses passions, mais aussi, en un second temps - selon ce qu'on a pu appeler, sur le modèle du paradoxe du comé dien, le paradoxe du libertin -, un homme de pure céré bralité qui commande à ses passions.
Le libertinage devient alors une ascèse.
Le «divin marquis » pourrait être rapproché de certains mystiques.
Il y a danger à systématiser ce qui chez lui n'apparaît que sur le mode de l'intervention.
Son œuvre est litté raire en ce sens qu'elle tente l'impossible synthèse de contradictions.
Le choix du roman épistolaire, du dialo gue est à cet égard significatif.
La pensée de Sade se
dissémine en points de vue de personnages.
Envisageant les mesures à prendre pour radicaliser la Révolution, il propose de réduire au minimum la législation, de détruire la religion, sans préciser le contenu positif du régime qu'il appellerait de ses vœux.
C'est un anarchisme ou un libéralisme qui permettrait une autorégulation des pas sions les plus violentes, mais, à cet horizon, se mêle l'image obsédante du despote tout-puissant, à la fois
seigneur féodal, roi et financier richissime.
Les modèles économiques sur lesquels repose la fic tion sadienne sont ceux, contradictoires, du château médiéval et de l'atelier; l'idéal est tantôt cherché du
côté d'un sérail fermé, tantôt du côté d'une prostitution
généralisée.
Le libertin ne parvient pas à choisir entre le passé et l'avenir, l'immobilité et le mouvement.
Sade, grand seigneur sans-culotte, libertin solitaire, vit dans sa chair et dans sa pensée les contradictions de son temps.
Sade et le sadisme
Le sadisme, affirme Roland Barthes, n'est que le contenu grossier du texte sadien.
Viols, incestes, sodo
mie, tortures ponctuent ce texte qu'on ne peut réduire à.
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