Victor HUGO : Vieille chanson du jeune temps
Publié le 15/09/2006
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Bien que publié en 1855, ce charmant poème a été, si l'on en croit Hugo, composé en 1831. A ce moment, l'auteur a vingt-neuf ans, âge auquel il peut se pencher avec un sourire attendri et moqueur sur ses premières émotions et sur la « stupidité « de l'adolescent qu'il fut : « En ce temps-là j'étais un garçon rose et bête ; Je vivais, griffonnant avec une encre honnête, Force thèmes latins et peu de billets doux, Inflammable, et pour sens ayant des amadous, Mais stupide, essuyant ma plume sur ma manche, Coupant ma barbe avec des ciseaux le dimanche.« écrit-il dans un fragment inachevé des Contemplations. De fait, «Vieille chanson du jeune temps« apparaît dans la partie intitulée « Aurore « du premier tome des Contemplations, baptisé «Autrefois «. Ce poème y est mêlé à d'autres oeuvres de même tonalité légère et tendre, comme « Lise «, «Vers 1820 «, «La Coccinelle« ou «La Fête chez Thérèse «. Tout suggère donc l'autobiographie, l'évocation de la jeunesse enfuie, le souvenir des moments heureux... Pourtant on ne trouve pas, dans la vie de Victor Hugo, trace d'une jeune fille prénommée Rose. Ainsi, cette évocation n'est-elle peut-être qu'une anecdote imaginée de toutes pièces pour évoquer l'éternelle histoire d'un jeune homme naïf et d'une jeune fille avertie ; ou la transposition d'un souvenir émouvant...
«
Le poème, écrit à l'imparfait, est une remémoration.
Le narrateur y évoque un épisode de son passé non plus tel qu'ill'a vécu, mais tel qu'il le comprend à présent qu'il a vieilli.Ce mécanisme doit être bien souligné dans l'explication du texte.
C'est un phénomène que chacun connaît : on vitune situation, puis on apprend ou on comprend après coup quelque chose qui fait voir cette situation sous un angletotalement différent.
Toute la scène vécue est alors reconstruite par l'esprit et la mémoire, certains élémentsnégligés prenant soudain une
importance essentielle.
Quelquefois même, on se rend soudaincompte que l'on est apparu aux autres sous un jour peu flatteur.
Ici, comme nous le verrons au cours du commentaire, toute la scène racontée par le narrateur a subi un semblablechangement de perspective.
C'est tout bonnement l'histoire d'une occasion manquée, par timidité et par ignorance.
Le jeune homme n'a pas saisi,sur le moment, les avances de la jeune fille.
Ce n'est qu'après, une fois trop tard, qu'il a compris sa sottise.
C'estpourquoi il peut dire, par exemple, «Je ne vis pas son pied nu » (vers 28) : s'il ne l'avait pas vu, il ne pourrait pas en parler.
En fait il a vu ce pied, mais pas avec la signification qu'il lui accorde maintenant.
Le vers veut dire en fait : «Je ne le vis pas comme j'aurais dû le voir.
»
De même, avec le recul, le narrateur prête à la nature, aux bois et aux oiseaux une attitude complice ou moqueuse.Il se souvient que « [le] taillis [offrait] ses parasols » (vers 10) comme une invitation qu'il n'a pas su voir, et que «les merles [le] sifflaient » (vers 16) comme un public aurait sifflé le mauvais acteur qu'il se reproche aujourd'hui d'avoir été.
Toute l'histoire nous est ainsi racontée sur le mode du « Je comprends maintenant que...
»
Du point de vue de la construction, le poème est une véritable petite comédie.
Elle se déroule graduellement, lajeune fille tentant des avances de plus en plus précises tandis que le jeune homme passe d'une agitation aveugle àun abattement muet.
Rose, en effet, prend l'initiative d'accompagner le narrateur dans la forêt.
«Je ne songeais pas à Rose » nous dit-il d'emblée.
C'est donc la jeune fille qui a décidé de se joindre à lui.
Elle semble avoir une idée précise : son œil brille(vers 14) et semble provoquer ou inviter (vers 8).
Elle trouve moyen de laisser apparaître son bras (vers 18), puis sajambe (vers 25-28).
Elle alterne sourires et soupirs (vers 31-32)...
Pendant ce temps, le jeune homme «froid comme les marbres » (vers 5) parle de tout et de rien (vers 7), sans avoir véritablement conscience de la situation (vers 20 et 28).
Puis, paralysé par la timidité, il se tait peu à peu(vers 29) et perd toute initiative (vers 30).
Le texte se clôt sur une chute à la fois humoristique et nostalgique, avec l'opposition des vers 35-36.
Humoristique,par le contraste (ou antithèse) entre les termes « plus » et « toujours ».
Humoristique aussi, dans la mesure où le narrateur repense peut-être à l'incident avec le sentiment cuisant de son ridicule.
Mais nostalgique, pour les mêmesraisons, si l'on imagine que ce narrateur a connu une vie triste et regrette cette occasion qui aurait pu changer sonexistence.
Dans cette perspective, on pourra évoquer l'émouvant poème d'Antoine Pol, « Les Passantes » (voir enfin de chapitre).
LECTURE SUIVIE
Le poème est composé en heptamètres, vers de sept syllabes donnant à l'oeuvre une légèreté musicale.
On sesouviendra, à ce sujet, du conseil que Verlaine donnera aux poètes, des années plus tard, dans son Art poétique :
«De la musique avant toute chose,Et pour cela, préfère l'impair»
Le titre
Dès l'abord, on relève dans ce titre une antithèse entre les mots «vieille » et «jeune ».
Le «jeune temps » désigne ici le temps de la jeunesse, l'adolescence.
Quant au terme « vieille chanson », il peut avoir deux significations.
D'une part, il peut désigner une chanson évoquant le temps passé, comme si le narrateurconsidérait qu'il s'agit là d'une époque à jamais enfuie, celle justement de son «jeune temps ».
Mais d'autre part, il peut s'agir d'une chanson « vieille comme le monde », racontant une histoire éternelle, appelée à se répéter tantqu'il y aura des jeunes gens et des jeunes filles...
On pourra rappeler à cette occasion qu'un poème de Victor
Hugo en forme de déclaration d'amour, daté de 1834 et publi é dans Les Chants du Crépuscule, s'intitule de la même façon «Nouvelle chanson sur un vieil air ».
Comme si, déclarant sa flamme, Hugo avait conscience de rejouer avecdes mots neufs une scène mille et mille fois répétées.
Quant au terme « chanson », il indique d'emblée le ton léger du texte.
Dans la tradition du folklore français, beaucou p d'auteurs de l'époque, comme par exemple le célèbre Béranger (1780-1857), avaient composé des airs populaires bien connus sur le thème de l'amourette ou des promenades sentimentales .
En employant ce mot, Victor.
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