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Victor Hugo, Préface de Lucrèce Borgia

Publié le 13/04/2012

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hugo

L'auteur de ce drame sait combien c'est une grande et sérieuse chose que le théâtre. Il sait que le drame, sans sortir des limites impartiales de l'art, a une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine. Quand il voit chaque soir ce peuple si intelligent et si avancé qui a fait de Paris la cité centrale du progrès s'entasser en foule devant le rideau que sa pensée, à lui chétif poète, va soulever le moment d'après, il sent combien il est peu de chose, lui, devant tant d'attente et de curiosité; il sent que si son talent n'est rien, il faut que sa probité soit tout ; il s'interroge avec sévérité et recueillement sur la portée philosophique de son oeuvre ; car il se sait responsable, et il ne veut pas que cette foule puisse lui demander compte un jour de ce qu'il lui aura enseigné. Le poète aussi a charge d'âmes. Il ne faut pas que la multitude sorte du théâtre sans emporter avec elle quelque moralité austère et profonde. Aussi espère-t-il bien, Dieu aidant, ne développer jamais sur la scène (du moins tant que dureront les temps sérieux où nous sommes) que des choses pleines de sens et de conseils. Il fera toujours apparaître volontiers le cercueil dans la salle du banquet, la prière des morts à travers les refrains d'orgie, la cagoule à côté du masque. Il laissera quelquefois le carnaval débraillé chanter à tue-tête sur l'avant-scène ; mais lui criera du fond du théâtre : Memento quia pulvis es. Il sait bien que l'art seul, l'art pur, l'art proprement dit, n'exige pas cela du poète; mais il pense qu'au théâtre surtout il ne suffit pas de remplir seulement les conditions de l'art.

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« L'ŒUVRE o' ART et de fanatisme pour ou contre la pièce en question.

Il n'en demeure pas moins que toute œuvre d'art produit un effet " public "• et que l'artiste doit donc s'interroger, comme le fait ici Hugo, sur sa responsabilité morale et politique.

Comme le souligne l'auteur au début du texte, la responsabilité de l'artiste se mesure d'abord à l'impact que produit son art dans le réel ; or le théâtre joue un rôle social de facto qui en fait un instrument à manipuler avec une attention extrême.

Hugo précise ensuite la façon dont l'ar­ tiste doit assumer cette responsabilité : non par un " engagement , militant, mais par un tra­ vail civilisateur.

Hugo ajoute enfin une nuance importante en rappelant que la responsabilité morale et politique, spécifique à l'auteur de théâtre, ne peut pas nécessairement être étendue à d'autres formes d'art.

Nous approfondirons cette problématique en soulignant que si l'artiste possède une responsabilité, cela ne peut se faire au détriment de son art, et que sa première responsabilité est d'abord d'être à la hauteur de sa mission de créateur.

* Le théâtre, écrit Hugo, a" une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine"· Il faut apercevoir derrière cette énumération une gradation : la nation, la société, l'humanité sont trois niveaux d'appartenance, à chaque fois plus larges, de l'individu.

Il faut donc com­ prendre que, si l'artiste conçoit une responsabilité qui lui soit propre, celle-ci n'est pas stricte­ ment politique, au sens restrictif du terme, mais plus largement morale et humaine.

Hugo précise ensuite la raison pour laquelle l'artiste, dans certains cas, doit prendre conscience de cette responsabilité : il s'adresse à un " peuple intelligent "• rempli d'attente et de curiosité, avide d'émotions, mais aussi de vérités.

Hugo précise que le peuple dont il s'agit est le peuple parisien : et de fait, le peuple de Paris a, au XIX' siècle, " fait , l'histoire.

En 1833, au moment où Hugo écrit la préface de Lucrèce Borgia, les événements qui ont donné naissance à la monarchie de Juillet ont déjà mis sur le devant de la scène ce peuple d'ouvriers, de petits arti­ sans, de petits commerçants dont la conscience politique se nourrit d'une culture et d'un accès à l'information qui le distinguent du peuple passif des campagnes, voire de la province en géné­ ral.

La révolution de 1848, et plus encore la Commune de Paris en 1870, confirmeront cette formule prophétique de Hugo.

Mais à cette spécificité du public parisien s'ajoute le rapport spécifique qui lie l'auteur de théâtre à son public.

Tout auteur, tout artiste peut- s'il a du talent- avoir un. »

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