Victor HUGO, L'Homme qui rit: Gwynplaine à la chambre des Lords
Publié le 17/09/2011
Extrait du document
Dans un roman dont l'action se situe en Angleterre au tout début du
xviiie siècle, Victor Hugo nous présente un personnage imaginaire,
Gwynplaine, dont le visage a été déformé en une sorte de rictus
grotesque afin de distraire les puissants. Grandi dans le peuple
misérable, Gwynplaine se trouve projeté par le hasard à la Chambre
des lords.
« Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme
est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On
lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence,
comme à moi les yeux, les narines et les oreilles; comme à moi, on
lui a mis au coeur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face
un masque de contentement. Où s'était posé le doigt de Dieu, s'est
appuyée la griffe du roi. Monstrueuse superposition. Évêques, pairs
et princes, le peuple c'est le souffrant profond qui rit à la surface.
Mylords, je vous le dis, le peuple, c'est moi. Aujourd'hui vous
l'opprimez, aujourd'hui vous me huez. Mais l'avenir, c'est le dégel
sombre. Ce qui était pierre devient flot. L'apparence solide se
change en submersion. Un craquement, et tout est dit. Il viendra
une heure où une convulsion brisera votre oppression, où un
rugissement répliquera à vos huées. ( ... ) Tremblez. Les incorruptibles
solutions approchent, les ongles coupés repoussent, les langues
arrachées s'envolent, et deviennent des langues de feu
éparses au vent des ténèbres, et hurlent dans l'infini; ceux qui ont
faim montrent leurs dents oisives, les paradis bâtis sur les enfers
chancellent, on souffre, on souffre, on souffre, et ce qui est en haut
penche, et ce qui est en bas s'entrouvre, l'ombre demande à devenir
lumière, le damné discute l'élu, c'est le peuple qui vient, vous dis-je,
c'est l'homme qui monte, c'est la fin qui commence, c'est la rouge
aurore de la catastrophe, et voilà ce qu'il y a dans ce rire, dont vous
riez !
Victor HUGO, L'Homme qui rit (1869).
Vous présenterez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez par exemple étudier ce que le choix des images, le symbolisme du personnage, le ton du passage révèlent de la pensée politique et de l'art de l'écrivain.
«
lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face
un masque de contentement.
Où s'était posé le doigt de Dieu, s'est
appuyée la griffe du roi.
Monstrueuse superposition .
Évêques, pairs
et princes, le peuple c'est le souffrant profond qui rit à la surface.
Mylords, je vous le dis, le peuple, c'est moi.
Aujourd'hui vous l'opprimez, aujourd'hui vous me huez.
Mais l'avenir, c'est le dégel sombre.
Ce qui était pierre devient flot.
L'apparence solide se change en submersion.
Un craquement, et tout est dit.
Il viendra
une heure où une convulsion brisera votre oppression, où un
rugissement répliquera à vos huées.
( ...
) Tremblez.
Les incorrupti
bles solutions approchent, les ongles coupés repoussent, les lan gues arrachées s'envolent, et deviennent des langues de feu
éparses au vent des ténèbres, et hurlent dans l'infini; ceux qui ont faim montrent leurs dents oisives, les paradis bâtis sur les enfers chancellent, on souffre, on souffre, on souffre, et ce qui est en haut
penche, et ce qui est en bas s'entrouvre, l'ombre demande à devenir lumière, le damné discute l'élu, c'est le peuple qui vient, vous dis-je, c'est l'homme qui monte, c'est la fin qui commence, c'est la rouge
aurore de la catastrophe, et voilà ce qu'il y a dans ce rire, dont vous
riez 1"
Victor HUGO, L'Homme qui rit (1869).
Vous présenterez de ce texte un commentaire composé.
Vous pourrez par exemple étudier ce que le choix des images, le
symbolisme du personnage, le ton du passage révèlent de la pensée politique et de l'art de l'écrivain.
A partir de 1843, Victor Hugo, douloureusement éprouvé par la
mort de sa
fille Léopoldine, se tourne davantage vers l'action
politique.
L'épreuve de l'exil
le confirme dans sa volonté d'être
pour son siècle
un « écho sonore " des préoccupations morales,
sociales et politiques, aussi bien que des aspirations littéraires
de
ses contemporains.
C'est ainsi qu'en 1869, sept ans après la
parution du " poème de la conscience humaine " qu'était selon lui
Les Misérables, il publie un autre roman :L'Homme qui rit.
Par
l'intermédiaire de son porte-parole, Gwynplaine, un personnage
symbolique dont
le visage a été déformé en un grotesque rictus afin
de distraire les puissants, Hugo nous révèle, dans une vision
saisissante, sa pensée sociale et politique.
Dès
le début du texte, il apparait clairement que le « rire » de
Gwynplaine a une fonction symbolique.
La mutilation physique
subie par
le personnage (on lui a déformé" les yeux, les narines et
les oreilles
») devient le signe de la mutilation morale subie par
l'humanité:
c Ce qu'on m'a fait, affirme Gwynplaine, on l'a fait au.
»
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