Victor Hugo, Les Misérables: Cosette dans la forêt
Publié le 12/02/2011
Extrait du document
Dans Les Misérables de Victor Hugo, la petite Cosette, âgée de huit ans, a été envoyée de nuit remplir un seau d'eau à une source située en plein bois, loin de toute habitation. Au dessus de sa tête, le ciel était couvert de vastes nuages noirs qui étaient comme des pans de fumée. Le tragique masque de l'ombre semblait se pencher vaguement sur cet enfant. Jupiter se couchait dans les profondeurs. L'enfant regardait d'un œil égaré cette grosse étoile qu'elle ne connaissait pas et qui lui faisait peur. La planète, en effet, était en ce moment très près de l'horizon et traversait une épaisse couche de brume qui lui donnait une rougeur horrible. La brume, lugubrement empourprée, élargissait l'astre. On eût dit une plaie lumineuse. Un vent froid soufflait de la plaine. Le bois était ténébreux, sans aucun froissement de feuilles, sans aucune de ces vagues et fraîches lueurs de l'été. De grands branchages s'y dressaient affreusement. Des buissons chétifs et difformes sifflaient dans les clairières. Les hautes herbes fourmillaient sous la bise comme des anguilles. Les ronces se tordaient comme de longs bras armés de griffes cherchant à prendre des proies : quelques bruyères sèches, chassées par le vent, passaient rapidement et avaient l'air de s'enfuir avec épouvante devant quelque chose qui arrivait. De tous côtés il y avait des étendues lugubres.
L'obscurité est vertigineuse. Il faut à l'homme de la clarté. Quiconque s'enfonce dans le contraire du jour se sent le cœur serré. Quand l'œil voit noir, l'esprit voit trouble. Dans l'éclipsé, dans la nuit, dans l'opacité fuligineuse (1) il y a de l'anxiété, même pour les plus forts. Nul ne marche seul la nuit dans la forêt sans tremblement... On éprouve quelque chose de hideux comme si l'âme s'amalgamait à l'ombre. Cette pénétration des ténèbres est inexprimablement sinistre dans un enfant. Victor Hugo, Les Misérables: Cosette dans la forêt
(1) fuligineux : qui rappelle la suie. SUJET En étudiant ce texte sous forme de commentaire composé, vous montrerez par quels moyens Victor Hugo nous fait ressentir l'angoisse de Cosette.
«
peut s'étonner de la tournure un peu lourde «le contraire du jour».
C'est la Nuit avec ses secrets, qui ne se laissedéfinir que négativement.
Mais rien n'en peut épuiser le champ puisque c'est le cerveau qui crée ces propresfantasmes.
L'abîme.
La planète Jupiter effraie également parce qu'elle a pour nom celui du roi des dieux.
Surtout, le termeimprécis «les profondeurs» évoque une plongée infinie qui appelle la phrase « l'obscurité est vertigineuse».
De même une fuite éperdue, un mouvement perpétuel anime le second paragraphe.
Comme souvent dans l'œuvre deHugo, la vie sourde de la nature effraie l'homme.
Le sifflement des buissons, la comparaison des hautes herbes avecles anguilles évoque l'image maléfique du serpent.
La laideur («chétifs et difformes», «se tordaient») agressevéritablement l'enfant : « comme de longs bras armés de griffes ».
La bête féroce guette «sa proie», d'autant plusaffreuse qu'elle est mi-homme (les bras), mi-bête (les griffes).
Deuxième partie.
Le discours du poète.
Comme si la description du paysage ne suffisait pas, Hugo ajoute toute une série d'adjectifs, d'adverbes quiinsistent encore sur la crainte : «horrible» détermine «rougeur», «la brume lugubrement empourprée».
Les «grandsbranchages s'y dressaient affreusement», les étendues sont «lugubres» et le sentiment qui dépeint la fuite desbruyères sèches est bien évidemment l'épouvante.
Le personnage de Cosette sert également à mettre en évidence l'angoisse : d'abord par la peur qu'elle-mêmeressent : «l'œil égaré», «qui lui faisait peur».
Ensuite par la disproportion entre la petite fille et l'immensité de laforêt, des êtres qui la peuplent.
A ce sujet, on peut mieux mesurer le contraste entre Cosette et l'immense étoile —et son symbole, — Jupiter.
Il faut noter également la relative discrétion de Hugo sur les sentiments même de l'enfant: ce procédé permet de laisser un doute.
Le spectacle est-il réel ou fruit de l'imagination ?
Enfin, dans le deuxième paragraphe, l'auteur établit une sorte de loi : le présent « éternel » rompt d'ailleurs avec lepassé du récit.
Délaissant le cadre romanesque, Hugo généralise sa réflexion : «l'homme», «quiconque», «Nul nemarche», «on éprouve».
L'écrivain veut écarter l'hypothèse d'une vision uniquement puérile.
«Même les plus forts»sont sujets à l'angoisse.
A vrai dire, le développement n'explique rien.
Il constate : «il y a de l'anxiété».
L'incapacitéde donner des raisons est d'ailleurs consubstantielle à la crainte.
De là, l'emploi de « inexprimablement» dans ladernière phrase du texte.
Le mystère résiste à l'usage des mots.
Pour évoquer ce que l'homme ressent alors, Hugoécrit : «On éprouve quelque chose de hideux comme si l'âme s'amalgamait à l'ombre».
Le terme «quelque chose*, lacomparaison «comme si» montrent bien qu'il ne s'agit là que d'une approche et que le verbe, lui-même, estimpuissant à percer le secret.
CITATIONS
«On voit flotter, dans l'espace ou dans son propre cerveau, on ne sait quoi de vague et d'insaisissable comme lesrêves des fleurs endormies.
» Hugo, Les Misérables.
Cosette devant sa poupée : «Elle croyait voir le paradis.
Il y avait d'autres poupées derrière la grande qui luiparaissaient des fées et des génies »..
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