Victor Hugo - Les Contemplations : « On vit, on parle, on a le ciel et les nuages »
Publié le 08/09/2006
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On vit, on parle, on a le ciel et les nuages Sur la tête ; on se plaît aux livres des vieux sages ; On lit Virgile et Dante ; on va joyeusement En voiture publique à quelque endroit charmant, En riant aux éclats de l’auberge et du gîte ; Le regard d’une femme en passant vous agite ; On aime, on est aimé, bonheur qui manque aux rois ! On écoute le chant des oiseaux dans les bois Le matin, on s’éveille, et toute une famille Vous embrasse, une mère, une sœur, une fille ! On déjeune en lisant son journal. Tout le jour On mêle à sa pensée espoir, travail, amour ; La vie arrive avec ses passions troublées ; On jette sa parole aux sombres assemblées ; Devant le but qu’on veut et le sort qui vous prend, On se sent faible et fort, on est petit et grand ; On est flot dans la foule, âme dans la tempête ; Tout vient et passe ; on est en deuil, on est en fête ; On arrive, on recule, on lutte avec effort… – Puis, le vaste et profond silence de la mort ! 11 juillet 1846, en revenant du cimetière.
Le livre IV des Contemplations, «Pauca meae«, est consacré à Léopoldine, la fille aînée de Hugo, morte noyée à dix-neuf ans. Dix ans après le drame, le poète peut enfin trouver les mots pour exprimer sa douleur, sa révolte contre un Dieu qui a per-mis cette injustice, puis sa résignation. Or, moins de trois ans après Léopoldine, la fille de Juliette, la compagne de Hugo, est morte à son tour. Ce poème qui lui est consacré trouve tout naturellement sa place dans le recueil.
«
1.
La volonté de généralisation- L'énonciation (cf.
question 1).- Les références personnelles : rien ne permet de distinguer cet homme d'u autre : une mère, une femme, une fille ;aucun métier précis ; certes, quelqw.
allusions sont lisibles pour qui connaît Hugo, et comme le rappelle la note.Même la formule finale « en revenant du cimetière » a été écourtée ; la pre-mière version mentionnée « de Saint-Mandé » ; ainsi, la dédicace s'élargit : on revient toujours d'un cimetière.
2.
L'absurdité des activitésSi les scènes du début ont le charme de ce qui est saisi sur le vif, l'absence de coordination logique leur ôte toutsens.
Au contraire, ces activités font l'objet de contrastes parfois très forts : « On aime/on est aimé », traduitl'harmonie de la réciprocité au début, pour céder la place à l'opposition à la fin : « faible et fort », « petit et grand», « vient et passe », « deuil, fête, arrive, recule ».
On pourrait résumer dans le vers 15 la petitesse de l'homme : «veut/prend » traduit les limites de la volonté humaine devant le « sort », c'est-à-dire la vie.
Les contrastess'accentuent à la fin dans une structure plus nettement binaire.
3.
La formule conclusiveLe dernier vers tombe comme un couperet.
L'absence de verbe, les voyelles ouvertes « a, o, on, en » traduisent labéance du trou que vient de voir le poète au cimetière.
La mort nous coupe dans notre élan, brise une vie dans sonactivité, comme celle de la jeune fille qu'on vient d'enterrer.
III.
La méditation : vanitas vanitatum
1.
La mort de l'être aimé renvoie à sa propre mortLes circonstances éclairent sur la démarche de la méditation, démarche qui est celle de tout être humain : au-delàdu chagrin, le deuil invite à une méditation sur la condition humaine.
Par la situation du poème dans le livre IV desContemplations, Hugo associe les deux jeunes mortes, mais aussi lui-même et toute l'humanité dans ce sortcommun, la condition mortelle de l'homme.
Le poème prend alors sa dimension universelle.
2.
La mort est une défaiteLa suractivité de la vie est brusquement interrompue par le dernier vers.
Il rend dérisoire notre agitation.
Pourtant,le vers 19 insiste sur la lutte, qui est pour Hugo une définition de la vie : ainsi commence un des poèmes desChâtiments, qui précèdent immédiatement la publication des Contemplations, et sont écrits en même temps : « Ceuxqui vivent, ce sont ceux qui luttent.
»Ne peut-on voir une autre présentation du mythe de Sisyphe par lequel Albert Camus exprimera l'absurdité de lacondition humaine ?Ce vers confère au poème une tonalité pathétique en concluant sur la défaite de l'homme.
3.
La mort est le videVide spatial et vide sonore, « vaste, silence ».
Donc absence aussi de communication : on ne peut plus dialoguer.La phrase nominale nous met en face de ce trou béant.
Par contraste, et rétrospectivement, elle souligne le vide de la vie.
On peut s'étonner de l'absence de référencereligieuse.
Durant ces années, Hugo a médité, a lu la Bible, et a pu accorder sa révolte devant le mal avec sa foi enDieu.
Par ailleurs, les lectures mentionnées sont celles de poètes racontant des aventures « métaphysiques » :Virgile et Dante ont tous deux écrit sur la « descente aux Enfers », lieux effrayants, certes, mais habités et peuplésd'hommes et de divinités.
Le néant décrit ici est d'autant plus inquiétant.
Conclusion
Une méditation, ou plutôt une contemplation : devant le mystère de la vie, le poète s'interroge.
La pensée part del'observation, de la narration pour gagner l'ampleur de la méditation sur le sens de la vie..
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