Victor Hugo — La Fin de Satan - II - L'ENTRÉE DANS L'OMBRE
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Tout avait disparu. L'onde montait sur l'onde. Dieu lisait dans son livre et tout était détruit. Dans le ciel par moments on entendait le bruit Que font en se tournant les pages d'un registre. L'abîme seul savait, dans sa brume sinistre, Ce qu'étaient devenus l'homme, les voix, les monts. Les cèdres se mêlaient sous l'onde aux goémons; La vague fouillait l'antre où la bête se vautre. Les oiseaux fatigués tombaient l'un après l'autre. Sous cette mer roulant sur tous les horizons On avait quelque temps distingué des maisons, Des villes, des palais difformes, des fantômes De temples dont les flots faisaient trembler les dômes; Puis l'angle des frontons et la blancheur des fûts S'étaient mêlés au fond de l'onde aux plis confus; Tout s'était effacé dans l'horreur de l'eau sombre. Le gouffre d'eau montait sous une voûte d'ombre; Par moments, sous la grêle, au loin, on pouvait voir Sur le blême horizon passer un coffre noir; On eût dit qu'un cercueil flottait dans cette tombe. Les tourbillons hurlants roulaient l'écume en trombe. Des lueurs frissonnaient sur la rondeur des flots. Ce n'était ni le jour, ni la nuit. Des sanglots, Et l'ombre. L'orient ne faisait rien éclore. Il semblait que l'abîme eût englouti l'aurore.
I. La description du déluge
- Un grand mouvement
- La force d'engloutissement
II. L'horreur généralisée
- La misère de l'homme
- La mort
III. Le chaos
- Le silence de Dieu
- Le chaos originel
«
100
eaux.
Mais cette dernière elle-même est saisie de deux tendances contraires.
« L'onde montait sur l'onde » (v.
1), comme «Le gouffre d'eau montait sous une voûte d'ombre» (v.
17).
Dans le même temps, les chutes se précipitent : « Les cèdres se mêlaient sous l'onde aux goémons » (v.
7), « Les oiseaux fatigués tombaient» (v.
9), les monuments humains s'effondrent «au fond de l'onde» (v.
15).
Ces mouvements contraires s'expliquent par le vertige des vaguer; qui forment des «tourbillons » qui « roulaient l'écume » (v.
21), et animent «cette mer roulant» (v.
10) dans «la rondeur des flots» (v.
22) et leurs «plis confus» (v.
15).
Cette confusion est manifeste dans le résultat du déluge, tous les règnes terrestres s'amalgamant sous l'eau : animaux, végétaux, minéraux (que signalent les « monts », y.
6).
Tous les êtres vivants subissent le mêmesort : « l'homme » (v.
6), «la bête» dans son « antre » (v.
8), «les oiseaux» (v.
9).
Ce sont les premiers, dansl'ordre du texte, à disparaître, avec la flore.
C'est ainsi que «Les cèdres se mêlaient sous l'onde aux goémons» (v.7), dans une image qui fait plonger au milieu des algues les plus majestueux des arbres.
Le même verbe est employépour rendre compte ensuite de l'effondrement des palais dont les frontons et les colonnes « s'étaient mêlés au fondde l'onde » (v.
15).
L'allitération* en [f] souligne de manière sonore ce frottement des matières dans les profondeursmarines.
Les mouvements de l'eau, par ailleurs, sont indistincts dans leur ampleur et leur violence.
Aussi ladescription doit-elle parfois se contenter de notations d'instants fugitifs : « par moments» (v.
3 et 18), «On avaitquelque temps distingué» (v.
11).
La vision se déchire en de rapides scènes entrevues et aussitôt disparues dans lemaelstrom marin.
Les éléments marins sont les instruments du déluge et le champ lexical* de l'eau est évidemment abondant : «l'onde » (v.
1, 15), «la vague» (v.
8), « mer » (v.
10), « flots » (v.
13, 22), « eau » (v.
16, 17), « écume» (v.
21).Ces mots rythment le texte qui s'en trouve saturé.
Ils marquent ainsi la puissance du déluge qui tient à sa forced'engloutissement.
Le vocabulaire aquatique est essentiel, bien sûr, mais le mot clef est sans doute cet « abîme»qui revient à plusieurs reprises.
L'abîme est capable d'absorber le monde entier, y compris la lumière (v.
25).
Sapuissance à noyer le monde est signalée par la reprise de la proposition « sous », l'ensemble du monde sombrant partourbillons au fond d'un abîme justement sans fond : «sous l'onde » (v.
7), «sous cette mer» (v.
10), « sous une voûte» (v.
17).
Le gouffre seul a trace de cet engloutissement : « L'abîme seul savait, dans sa brume sinistre» (v. 5), puisque tout le reste a disparu.
Ce passage propose donc une vision tout à fait vivante du Déluge, dans sa violence destructrice qui force lerespect mais se présente comme le spectacle de l'horreur généralisée.
***
En effet, l'angoisse étreint le lecteur, étourdi par ces mouvements qui brassent dans un même anonymat les ancienshabitants du monde, les hommes.
Les humains ne sont jamais individualisés dans ce passage, comme s'ilsn'existaient déjà plus dans l'esprit de Dieu.
Victor Hugo parle de « l'homme» en général (v.
6) et des « voix» (v.
6)qui peuvent aussi bien être celles des êtres humains que des bêtes.
On ne reconnaît plus de l'humanité que sesdérisoires constructions, sorte de concurrence orgueilleuse à la Création divine et que les flots balaient : « desmaisons,/Des villes, des palais difformes, des fantômes/De temples» (v.
11-13).
Les qualifications sont nettement péjoratives* : « difformes » et « fantômes » soulignent la vanité de ces bâtisses qui étaient le fleuron politique(palais) et religieux (temples) de la civilisation humaine.
La place finale du mot « fantômes» (v.
12) ne faitqu'accentuer cette inutilité.
L'anonymat des humains se manifeste également dans l'abondance des articles définisde la généralité : «les cèdres» (v.
7), «les oiseaux» (v.
9), «le gouffre» (v.
17), «les tourbillons» (v.
21), « l'ombre »(v.
24), etc.
Il faut mettre sur le même plan les articles indéfinis au pluriel : «des maisons,/Des villes» (v.
11-12),«des sanglots» (v.
23).
Quant au pronom indéfini « on » qui revient à quatre reprises, il est le signe d'un témoinoculaire et auditif, le poète sans doute, mais dénué de toute individualité («on entendait», v.
3, «on avait [...]distingué», v.
11, «on pouvait voir», y.
18, «on eût dit», v.
20).
Bien plus, au lieu de voir dans l'arche de Noé une promesse de résurrection de l'humanité, Victor Hugo en fait un «cercueil» (v.
20).
Les seuls survivants, auxquels Dieu a accordé sa grâce, sont des morts flottant « dans cettetombe» (v.
20) qu'est devenu le monde.
A l'exception du «coffre noir» (v.
19), dans lequel errent les humains et lescouples d'animaux sauvés, sont anéantis tous les autres êtres, l'océan étant effectivement leur tombe.
Lesqualifications du déluge suggèrent l'abomination : «brume sinistre» (v.
5), « l'horreur de l'eau sombre» (v.
16).
Cette situation d'angoisse est suggérée par d'autres termes forts comme «les tourbillons hurlants» (v.
21) ou «des lueurs frissonnaient» (v.
22).
Les vers 16 et 21 sont, de plus, marqués par une allitération* en [r] qui accentue le mouvement tournant des eaux et le sentiment de vertige qu'il provoque chez le lecteur.
L'enjambement des vers 23-24 (« Des sanglots,/Et l'ombre») déhanchent le vers pour mimer le sanglot, ce que renforce le caractère nominal decette phrase brève, formée de deux substantifs à la fois liés par la conjonction de coordination « et » et séparéspar la virgule et la fin du vers.
Mais que valent les sanglots au milieu des trombes d'eau?
L'ombre qui hante l'ensemble du spectacle est celle de la mort certes, mais aussi celle, primordiale, du chaosoriginel, d'avant la création.
***
Dieu a pris la décision d'envoyer le Déluge aux hommes, déçu par leur attitude.
Dès ce moment, l'inéluctable est enmarche.
Le « livre » (v.
2) dans lequel Dieu est plongé est le « registre » (v.
4) où sont consignés les faits de.
»
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