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Victor Hugo, Hernani : Acte IV, scène 2, vers 1481 à 1514 - Littérature

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

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  DON CARLOS, seul.

[…]

L’empereur ! l’empereur ! être empereur ! Ô rage, Ne pas l’être ! et sentir son cœur plein de courage ! Qu’il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau ! Qu’il fut grand ! De son temps, c’était encor plus beau. 1485 Le pape et l’empereur ! ce n’était plus deux hommes. Pierre et César ! en eux accouplant les deux Romes, Fécondant l’une et l’autre en un mystique hymen, Redonnant une forme, une âme au genre humain, Faisant refondre en bloc peuples et, pêle-mêle, 1490 Royaumes, pour en faire une Europe nouvelle, Et tous deux remettant au moule de leur main Le bronze qui restait du vieux monde romain ! Oh ! quel destin !… Pourtant cette tombe est la sienne ! Tout est-il donc si peu que ce soit là qu’on vienne ? 1495 Quoi donc ! avoir été prince, empereur et roi ! Avoir été l’épée, avoir été la loi ! Géant, pour piédestal avoir eu l’Allemagne ! Quoi ! pour titre césar et pour nom Charlemagne ! Avoir été plus grand qu’Annibal, qu’Attila, 1500 Aussi grand que le monde !… et que tout tienne là ! Ah ! briguez donc l’empire, et voyez la poussière Que fait un empereur ! Couvrez la terre entière De bruit et de tumulte ; élevez, bâtissez Votre empire, et jamais ne dites : C’est assez ! 1505 Taillez à larges pans un édifice immense ! Savez-vous ce qu’un jour il en reste ? Ô démence ! Cette pierre ! Et du titre et du nom triomphants ? Quelques lettres à faire épeler des enfants ! Si haut que soit le but où votre orgueil aspire, 1510 Voilà le dernier terme !… Oh ! l’empire ! l’empire ! Que m’importe ! J’y touche, et le trouve à mon gré. Quelque chose me dit : Tu l’auras ! Je l’aurai… Si je l’avais !… Ô Ciel ! être ce qui commence ! Seul, debout, au plus haut de la spirale immense ! […]

 

La scène a lieu à Aix-la-Chapelle (et non à Francfort où l'Histoire, en réalité, a vu se faire l'élection de l'Empereur). Le choix du dramaturge rend possible la confrontation spectaculaire entre un aspirant à l'Empire et l'ombre grandiose d'un Empereur défunt.

Le décor - le tombeau de Charlemagne, ses voûtes sombres et son mystère - incite Don Carlos à une méditation sur le pouvoir. Ce long monologue a la structure d'une rêverie où divers motifs réapparaissent, figures antithétiques qui hantent l'imaginaire du Roi. Il présente en outre un remarquable mélange des tons. Nous l'étudierons sous ces trois aspects.

 

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« Le drame romantique • Un monologue/discours D'une longueur inusitée au théâtre (il dépasse même celle, contestée par Hugo, des grands monologues du théâtreclassique), il s'explique par le moment prolongé d'une expectative dramatique - l'attente d'une élection - pendantlaquelle le Roi court quelque danger, puisque les conjurés se rassemblent contre lui.

Ce monologue permet audramaturge une réflexion sur la nature de deux pouvoirs : l'un dynastique (le Roi), l'autre électif (l'Empereur).

Il alliedonc à la forme argumentative celle, associative, de la rêverie. La rhétorique du discours La parole proférée et rapportée comporte les marques du discours oratoire qui conviennent parfaitement à la naturede ce monologue où des interrogations demeurent sans réponse.

(v.

1506 et 1507) et à la situation du locuteur quipense tout haut. La ponctuation marque fortement les pauses respiratoires (tirets, points de suspension).

Elle se caractérise aussipar l'usage répété des points d'exclamation que l'on qualifie souvent de points « pathétiques ».

Leur emploi intensifindique les sautes brutales du ton ou de la voix et les variations des intonations.

Dans ce monologue composé selonun mode plus associatif que logique, et qui traduit les états d'âme successifs du personnage, la ponctuation révèlela succession de ces états d'âme.

On lit ainsi la violence de la parole dans le souhait répétitif, ordonné selon unrythme ternaire, du vers 1481, et la ponctuation du vers 1482, soulignée par le contre-rejet : « - L'empereur ! l'empereur ! êtreempereur ! - ô rage, / Ne pas l'être ! et sentir son cœur plein de courage ! ». Modes et temps verbaux Le style oratoire se manifeste aussi par l'emploi des modes verbaux.

On relèvera l'usage des infinitifs pour énoncer -sur le mode du procès virtuel - des faits présentés comme incroyables : « avoir été plus grand qu'Annibal...

» oupour signifier l'incrédulité devant la discordance entre une situation et une ambition : « ne pas l'être ! et sentir soncoeur plein de courage.

» L'infinitif présent marque également au début comme à la fin de ce passage un désir mêléde crainte : « Etre empereur », « Etre ce qui commence », projetant ainsi dans l'avenir le voeu de Don Carlos. L'alternance des pronoms personnels révèle la volonté de confronter le vivant au défunt.

Entre eux, l'ombremajestueuse du pouvoir et de la mort sépare et réunit les deux interlocuteurs « fictifs » du monologue : le « je » deDon Carlos qui se voit empereur et le « il » qui renvoie à Charlemagne et à son passé glorieux.

Mais ce passé estrévolu.

Le constat se fait au présent : « cette tombe est la sienne ! Don Carlos annonce comme possible etréalisable dans le futur l'ambition du Roi qui reprend, avec l'usage du pronom personnel "Je" (v.

1510), contact avecl'attente de l'élection qu'il nous représente comme acquise » : « Tu l'auras...

Je l'aurai ! » introduit un court soliloquefictif de Don Carlos. Une rêverie sur le pouvoir L'expression épouse l'abandon d'une pensée qui tour à tour se révèle active, tournée vers un projet, ou soumise auximages d'un rêve illusoire et presque chimérique.

L'unité de ce texte vient de sa thématique : les figures du pouvoirqui sont évoquées donnent la mesure de cette ambition. Grandeur et magnificence Le champ lexical dominant est celui de la grandeur et même du grandiose : « grand, plus beau, géant, aussi grand,plus grand ».

L'auteur use de figures symboliques : « Pierre et César », « Le Pape et l'Empereur » dont l'union exaltela puissance.

« Charlemagne, Annibal, Attila » renvoient explicitement aux caractérisations des personnages del'Histoire, tandis que, sans être jamais nommé, le personnage de Napoléon, implicitement présent, prolongel'évocation de l'Empereur dans l'Histoire moderne.

Le texte prend ici un caractère épique. La vanité du pouvoir Cette rêverie s'élève, grâce à son décor, à une méditation sur la vanité du pouvoir et son néant.

L'expression letraduit par l'usage répété d'antithèses vigoureuses (v.1494 / v.1500) renforcées par les images choisies.

Ainsi : « Etdu .titre et du nom triomphants ? / Quelques lettres à faire épeler des enfants ! ».

Les formules de cette méditationsur la mort ne négligent pas l'usage d'un certain réalisme : « Voyez la poussière que fait un empereur ! » Le mélange des tons Un lyrisme certain Ce monologue use d'une expression lyrique qui dévoile l'exaltation du personnage.

Son appétit de puissanceemprunte le lexique de la démesure et recourt aux termes affectifs et moraux paroxystiques : « Ô rage », « Ôdémence » dont l'effet est accru par leur place à la rime.

Les épithètes choisis appartiennent au vocabulaireévaluatif de la grandeur : l'Empereur est ainsi assimilé au démiurge évoqué à travers l'image du sculpteur et lamétaphore filée des vers 1490 à 1492.

Les connotations du sacré attaché à ce pouvoir apparaissent à traversl'expression hyperbolique « mystique hymen ».

L'image finale de ce texte est visuelle, elle renvoie au domaine du. »

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