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Victor Hugo : Elle avait pris ce pli

Publié le 17/01/2022

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Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin De venir dans ma chambre un peu chaque matin ; Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère ; Elle entrait, et disait : « Bonjour, mon petit père » ; Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait, Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe. Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse, Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant, Parmi mes manuscrits je rencontrai souvent Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée, Et mainte page blanche entre ses mains froissées Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers. Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts, Et c'était un esprit avant d'être une femme. Son regard reflétait la clarté de son âme. Elle me consultait sur tout à tous moments. Oh ! que de soirs d'hiver radieux et charmants Passés à raisonner langue, histoire et grammaire, Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère Tout près, quelques amis causant au coin du feu ! J'appelais cette vie être content de peu ! Et dire qu'elle est morte ! hélas ! que Dieu m'assiste ! Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ; J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux. Novembre 1846, jour des morts. Hugo revient à Paris en 1870 et consacre les poèmes de L'Année terrible (1872) aux communards. Le poète, prophète doué d'une imagination visionnaire, l'auteur des Misérables et de Quatre-vingt-treize, meurt le 22 mai 1885, peu après Juliette Drouet. La République lui fait alors des obsèques nationales.

« Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ; J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux. Novembre 1846, jour des morts. Le jour des morts ravive la peine de Victor Hugo, ainsi que l'image de sa Léopoldine disparue.

Le texte poétique estalors un moyen de redonner un souffle de vie à la défunte.

Il permet au souvenir de prendre corps.

Le souvenir dontil est question ici ne doit pas son apparition au hasard.

Il concerne une habitude de Léopoldine enfant, un « pli » qui doit son ancrage dans l'esprit du poète au fait qu'il est le fruit d'une répétition.

La scène avait lieu « chaque matin » (vers 2).

La comparaison contenue dans le troisième vers indique que l'homme mûr avait besoin de la bonne humeurcontagieuse de l'enfance pour commencer sa journée : « Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère ». Les quatre vers suivants nous permettent de ressentir la présence de Léopoldine : on l'entend parler, puisque sesparoles sont rapportées au style direct : « Bonjour, mon petit père ».

On la voit bouger, évoluer follement dans la chambre, grâce au rythme saccadé de la phrase, renforcé par l'adverbe de temps « soudain » et par la comparaison de la jeune fille et de l'oiseau (qui souligne encore sa fraîcheur et sa vivacité) : « Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe ». Des vers 8 à 13, l'étude du vocabulaire nous conduit à dégager le thème de l'activité littéraire (« manuscrit », « page blanche », « oeuvre », « écrivant », « vers »).

Nourri de l'énergie qui se dégage de l'enfant, ému par les traces qu'elle a laissées sur son passage, le père, qui est poète, trouve l'inspiration : « Et mainte page blanche entre ses mains froissées / Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers ».

S'ensuit un court portrait de la jeune fille, que l'on découvre pleine d'innocence et de pureté, comme Victor Hugo se plaît à voir ses enfants (il fautlire en particulier le poème Mes deux filles, qui se trouve au début des Contemplations).

La pureté est rendue au vers 16 par l'image de la transparence : « Son regard reflétait la clarté de son âme ». Par la suite, on comprend qu'en quelques vers Léopoldine a grandi : le souvenir de l'enfant traçant « quelque arabesque folle » sur les livres de son père a cédé la place à un autre, plus récent, mais non moins heureux.

C'est même une représentation classique du bonheur : une famille unie rassemblée au sein du foyer, mot qui retrouve icison origine puisque les amis du poète sont assis « au coin du feu » (vers 21).

L'activité littéraire est maintenant partagée avec Léopoldine.

Alors que la première moitié du texte nous l'avait montrée comme une activité lassante etsolitaire, on voit qu'à présent le poète partage son savoir et prend plaisir à le communiquer.

Les questions poséespar la jeune fille à son père étaient apparemment plus que de simples interrogations, sans doute des manifestationsdiscrètes de son amour : « Elle me consultait surtout à tous moments » (vers 17).

Notons que la chaleur de la cheminée est l'image de la chaleur humaine que dégagent les discussions passionnées entre les membres de lafamille et les amis. Les exclamations des vers 18 à 21 marquent ainsi le regret de ce bonheur perdu.

Les quatre derniers vers du textenous permettent, selon la volonté du poète, d'évaluer la perte qu'il a subie.

Les exclamations ont ici une toute autrefonction : elles expriment le désarroi de Victor Hugo, son vertige face au gouffre de sa peine et devant lequel il sesent défaillir : « que Dieu m'assiste ! » On comprend que cette perte a ouvert une blessure qui restera à jamais inguérissable tant était puissant l'amour qui unissait le père et sa fille, tant était étroit le lien tissé entre eux au fildes ans : une « ombre » de tristesse, même fugitive, du temps de son vivant, plongeait son père dans une inquiétude sans borne.

Si une cause aussi infime avait une conséquence aussi lourde, on imagine (si cela estpossible) quelle conséquence a pu engendrer la mort de la jeune fille.. »

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