VIAN Boris (1920-1959) : sa vie et son oeuvre
Publié le 13/11/2018
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«
dernier
roman qui paraîtra sous le nom de VERNON SULLI
VAN (1948)_ Vian divorce en 1952; en 1953, il publie le
roman l'Arrache-Cœur; en 1954, il se remarie avec
Ursula Kubler_ Il rédige la plupart des poèmes qui seront
réunis dans Je voudrais pas crever (posth_, 1962).
Au
cours de diverses tournées en province, il chante, notam
ment « le Déserteur», qui provoque des remous et est
interdit; il écrit des comédies musicales, des scénarios et
joue quelques rôles dans divers films.
Il crée deux opé
ras : le Chevalier de neige, musique de Georges Delerue,
à Nancy, en 1957; Fiesta, musique de Darius Milhaud, à
Berlin, en 1959.
A la suite d'un œdème pulmonaire,
Boris Vian meurt à trente-neuf ans.
Un monde inversé
L'univers de Boris Vian n'est pas un univers fantasti
que au sens où l'on entend ce mot dans les récits de
science-fiction.
C'est néanmoins un univers surnaturel,
dans lequel le lecteur se trouve sans cesse mis en pré
sence d'êtres .Stranges, d'événements merveilleux et de
situations absurdes.
A la suite de Jean Cocteau ou même
des premiers dadaïstes, Boris Vian commence par poéti
ser toute chosf en débarrassant le quotidien de sa gangue
de banalité.
A in si Je Major, qui a quitté un instant sa
voiture du regard, la retrouvera-t-il en train de «brouter
J'herbe au pi�d d'un pommier» ( « les Remparts du
Sud>> , dans le Loup-garou, posth., 1964)_ Les moindres
gestes (ouvrir une porte, se raser, saluer quelqu'un)
deviennent véritablement épiques.
Le décor lui-même
participe à cette dérision burlesque : tantôt Boris Vian
décrit avec une minutie caricaturale les objets les plus
courants, tantôt il invente un paysage purement imagi
naire, fleuri de et peuplé de «boucs de
Sodome » ou de« maliettes >>(l'Arrache-Cœur).
Cet uni
vers invraisemblable, qui n'est pas dénué d'intentions
ironiques, est visiblement une création de langage, et
correspond à une poétique.
La parodie de la littérature
« sérieuse », et plus particulièrement des romans réalis
tes, transparaît à chaque page.
Mais Boris Vian ne se
contente pas de démythifier l'institution littéraire et de
remettre en question les valeurs établies.
Il anime aussi
un monde plein de fantaisie et de fraîcheur, plus proche
du non-sens d'un Lewis Carroll que de la métaphysique
de l'absurde-- produit typiquement français : ainsi les
métamorphoses sont-elles fréquentes (le loup en homme,
le Loup-garo..t; le psychanalyste en chat, l'Arrache
Cœur, etc.), et les animaux, comme la souris de l'Écume
des jours, jou•!nt un rôle en tout point identique à celui
des êtres humains_ L'anthropomorphisme se glisse jus
que dans les objets, er, dans « l'Oie bleue>> (les Fourmis,
1949), la pédale de l'accélérateur «revint en arrière à
regret, car de sa place elle voyait un grand bout de che
min par le petit trou du plancher >>.
Boris Vian porte donc
sur les choses un regard naïf, proche de 1' imagination
enfantine, qui fait surgir les aspects surréels du monde
et débouche parfois sur une tendance au moralisme
(«L'amour est aveugle», par exemple, dans le
Loup-garou).
Le plaisir des mots
Le point de vue généralement pessimiste de Boris
Vian est tempéré par une fantaisie verbale qui coupe
court à toute prétention didactique.
Boris Vian semble se
servir du langage moins pour délivrer un message ou
même transmettre une simple information que pour jouer
avec les mots- Tantôt il les déforme à la manière de Jarry
(«- Oh! Oh! persifla Jacquemart.
vous me la baillez
belle! -Je ne baille personne, maréchala le ferrant»
[l'Arrache-Cœur]).
Tantôt il invente toutes sortes de
néologismes (cf.
les descriptions comiques de l'Automne
à Pékin, par exemple), qui font songer aux inventaires de
Prévert.
Tantôt enfin il utilise, comme Queneau, tou
tes les ressources des divers niveaux de langue : ainsi,
dans l'Écume des jours, le couple Nicolas-Colin repose
t-i 1 essentiellement sur la tyrannie du langage jusqu'à
ce que Colin s'écrie : «Pourquoi, peste diable bouffre,
mc parlez-vous toujours perpétuellement à la troisième
personne?» Ailleurs, Boris Vian n'hésite pas à utiliser
des notations phonétiques qui font songer à l'auteur de
Zazie dans le métro : « Ils zondit à la téessef, poursuivit
la logeuse, que c'est un aréosol aphrobaisiaque »
( « L'amour est aveugle » ).
Boris Vian se plaît à pasticher les stéréotypes de la
fiction réaliste; il s'en prend aussi aux artifices du ton
traditionnellement noble et« poétique », soit qu'il intro
duise un alexandrin inattendu dans la bouche d'un per
sonnage ( « Faites-vous, Nicolas, du fricandeau ce soir?
demanda Colin»), soit qu'il affecte une vulgarité systé
matique dans le texte de ses poèmes («Je voudrais pas
crever», par exemple, dans Cantilènes en gelée, 1950).
Cette désinvolture contraste avec une tendance sponta
née au lyrisme que l'on perçoit dans le choix de certaines
images,: le nénuphar comme métaphore de la maladie
dans l'Ecume des jours, l'évocation des effets de l'amour
maternel dans l'Arrache-Cœur, la jalousie dans «l'Oie
bleue», etc.
Mais l'expression des sentiments est tou
jours limitée par l'auto-ironie.
Aussi, sur Je plan narratif, Boris Vian refuse-t-il tou
jours la facilité des conventions romanesques et de l'illu
sion réaliste.
Tous ses romans sont des pastiches du
genre romanesque, directement avec la série « améri
caine» des Vernon Sullivan, indirectement avec ceux
qui, à partir de Vercoquin et le plancton, sont, dans une
certaine mesure, des « nouveaux romans» avant la let
tre : on trouve dans ce livre, après le chapitre rv, le
chapitre II ( « C'est seulement le chapitre 11 puisque les
aventures du Major ont commencé au chapitre précédent
avec l'arrivée de Zizanie»); l'Arrache-Cœur présente
une totale liberté à l'égard des repères chronologiques
issus d'un calendrier ubuesque («55 janvril », « 67
novrier » ...
); dans l'Automne à Pékin, les« possibles nar
ratifs» foisonnent à l'état pur(« PASSAGE Il y a lieu de
s'arrêter une minute, maintenant, car cela va devenir
noué et en chapitres ordinaires [ ..
.
) Une s'appellera Cui
vre, et J'autre Lavande, et les noms de certajnes vien
dront après; mais ni dans ce livre ni dans la même
histoire»).
Une philosophie?
Certains thèmes dominent l'œuvre de Boris Vian :
soif de liberté, hypersensibilité à la souffrance, révolte
contre le mal, qu'il soit dans la nature, comme la maladie
et la mort, ou quïl vienne des hommes, comme la barba
rie, la cruauté et surtout la guerre.
Mais on ne saurait
sans risque de simplification dégager de l'ensemble de
ses écrits une vision cohérente du monde et une pensée
monolithique.
Certes Boris Vian, qui avait vingt ans en
1940, est-il particulièrement sensible à la violence et à
l'atrocité de la guerre, et c'est peut-être là qu'il faut voir
la confirmation sinon l'origine du pessimisme que J'on
se plaît à lui reconnaître.
Mais si son antibellicisme appa
raît dans des textes aussi célèbres que « la Java des bom
bes atomiques » ou «Je Déserteur », il n'y a jamais chez
lui -contrairement aux existentialistes, par exemple
de prise de position concrète et politique.
Aussi a-t-on
pu lui reprocher son désengagement, voire son attitude
démobilisatrice.
Son comique est destructeur (notam
ment dans son théâtre, et plus particulièrement dans la
farce explosive l'Équarrissage pour tous, 1949, ou dans
la pochade antimilitariste le Goûter des généraux, 1951),
son érotisme est provocateur (J'irai cracher sur vos tom
bes a suscité le scandale), son scepticisme débouche sou-.
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