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VERLAINE : L'Art poétique (Jadis et Naguère)

Publié le 07/09/2006

Extrait du document

verlaine
 À Charles Morice De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.  Il faut aussi que tu n'ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise Rien de plus cher que la chanson grise Où l'Indécis au Précis se joint.  C'est des beaux yeux derrière des voiles C'est le grand jour tremblant de midi, C'est par un ciel d'automne attiédi Le bleu fouillis des claires étoiles!  Car nous voulons la Nuance encor, Pas la Couleur, rien que la nuance! Oh! la nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor !  Fuis du plus loin la Pointe assassine, L'Esprit cruel et le Rire impur, Qui font pleurer les yeux de l'Azur Et tout cet ail de basse cuisine !  Prends l'éloquence et tords-lui son cou ! Tu feras bien, en train d'énergie, De rendre un peu la Rime assagie. Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?  Ô qui dira les torts de la Rime ? Quel enfant sourd ou quel nègre fou Nous a forgé ce bijou d'un sou Qui sonne creux et faux sous la lime ?  De la musique encore et toujours ! Que ton vers soit la chose envolée Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée Vers d'autres cieux à d'autres amours.  Que ton vers soit la bonne aventure Eparse au vent crispé du matin Qui va fleurant la menthe et le thym... Et tout le reste est littérature.
 
Présentation
— Verlaine commence sa carrière poétique en 1866 par un recueil, Poèmes saturniens, encore fortement influencé par l'esthétique des poètes parnassiens. — Très vite pourtant il conquiert une entière originalité surtout à partir de sa rencontre avec Rimbaud (1871). Son meilleur recueil, Romances sans paroles (1874), en est le témoin. — En juillet 1873, Verlaine se dispute avec son ami Rimbaud et le blesse légèrement. Cela lui vaut d'être condamné à deux ans de prison. C'est en prison, en avril 1874 qu'il écrit un poème dans lequel il expose sa conception de la poésie ; il lui donne un titre déjà illustré par Boileau pour une esthétique toute différente : Art poétique. — Toutefois, il ne publiera ce poème que près de dix ans plus tard dans une revue (1882). Il le fera figurer dans son recueil Jadis et Naguère (1885).
 
 
Vue d'ensemble
Dans ce poème fait de neuf quatrains de vers de neuf pieds, Verlaine tente de définir son esthétique poétique, tant positivement que négativement. Contrairement à Théophile Gautier ou aux Parnassiens (dont pourtant il était proche à ses débuts), Verlaine ne se réfère pas aux arts plastiques, mais à la Musique qui doit être le modèle et le guide du poète. Pour y parvenir, il faut fuir les effets trop faciles et les contours trop marqués et rechercher au contraire un certain flou et une certaine imprécision. Verlaine s'efforce, dans ce poème, d'illustrer ses théories tout en les énonçant.
 

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« certain flou et une certaine imprécision.

Verlaine s'efforce, dans ce poème, d'illustrer ses théories tout en lesénonçant. Mouvement du texte Le poème est fait de trois mouvements principaux qui vont de plus en plus rapidement (4 strophes + 3 strophes + 2strophes) et suivent plus ou moins le rythme ternaire classique : thèse — antithèse — synthèse.

En effet, Verlaineénonce d'abord ce qu'il souhaite, puis ce qu'il proscrit pour terminer sur ce que doit être essentiellement le poème:quelque chose de plus que la simple littérature.Nous avons donc :A.

Ce que Verlaine souhaite (v.

1 à 16) :Musique et imprécision :— l'Impair (v.

1 à 4) ;— des limites à la précision (v.

5 à 12) ;— la Nuance (v.

13 à 16).La strophe III (v.

9 à 12) peut autant figurer comme une illustration de la strophe précédente que comme uneanticipation de la suivante.

Verlaine met en pratique son précepte : au niveau du plan du poème aussi «l'Indécis auPrécis se joint».B.

Ce que Verlaine proscrit (v.

17 à 28) :Mots d'esprit et rhétorique :— l'Éloquence et l'Esprit facile (v.

17 à 21) ;— la Rime (v.

22 à 28).Ces deux sous-parties ne recoupent pas la division enstrophes.

Ici encore, point de plan trop contraignant.C.

Ce que doit être le poème (v.

29 à 36) :(Dans cette partie, on peut si l'on veut, isoler le dernier vers qui s'oppose aux sept précédents (v.

29 à 35), mais cen'est pas indispensable.) Éléments pour une analyse de détail — (v.

1) De la musique avant toute chose.

Le principe directeur de la poésie verlainienne est immédiatement nommé: il ne faut pas que le poème ressemble à la musique, il faut qu'il soit «de la musique», ou qu'il contienne en lui de lamusique.

Verlaine s'oppose ici aux poètes parnassiens qui voulaient une poésie inspirée des arts plastiques.

Avanttoute chose souligne que le reste ne doit venir qu'après.

Verlaine est ici sur un terrain solide : la poésie, comme lamusique est un art du Temps (et non de l'Espace), et, comme celle-ci, elle est fondée sur le rythme.— (v.

2) Préfère.

Ce n'est pas une nécessité, mais un choix plus judicieux selon Verlaine, qui a écrit beaucoup depoèmes dans lesquels l'Impair ne joue aucun rôle.

Ici, il met ses conseils en pratique puisque le poème est écrit envers de 9 pieds (la coupe étant en règle générale 4 + 5, ce qui était très rare : Verlaine lui-même ne l'avaitemployée qu'une fois auparavant, les deux autres poèmes en vers de 9 pieds qu'il avait écrits étaient coupés 3 + 3+ 3, procédé fréquent dans les livrets d'opéra de l'époque).

Dans la poésie française, surtout depuis Malherbe etl'époque classique, on préfère ordinairement des vers pairs : avant tout l'alexandrin coupé symétriquement àl'hémistiche (12 = 6 + 6), mais aussi le décasyllabe malgré son asymétrie (10 = 4 + 6) ; le plus fréquent des verscourts (c'est-à-dire ne nécessitant aucune coupe) est l'octosyllabe (8).

Il faut pratiquement remonter à l'époque dela Pléiade pour trouver une utilisation régulière des vers impairs (sauf dans quelques pièces isolées, chez VictorHugo, par exemple).

On peut remarquer que le poème comporte également un nombre impair de strophes.

Ceci évitenaturellement une division en parties symétriques (voir plus haut : le mouvement du texte).

Toutefois la strophechoisie est la plus fréquente des strophes françaises, le quatrain qui n'a rien d'impair.

Ajoutons que les rimes sontembrassées (abba) et que Verlaine respecte le principe classique de l'alternance des rimes masculines et féminines.On voit donc qu'il ne pousse pas son goût pour l'Impair jusqu'au fanatisme.

Il considère seulement que c'est un bonmoyen de mettre «de la musique» dans les vers : d'où l'expression pour cela.

— (v.

3 et 4) Pour caractériser lesqualités de l'Impair (vague et solubilité) et les défauts auxquels il échappe (lourdeur) Verlaine se sert d'allitérationsexpressives et opposées : liquides (I, r) dans le vers 3 ; labiales (p) dans le vers 4.Plus vague et plus soluble dans l'airSans rien en lui qui pèse ou qui pose.— (v.

5 et 6) L'enjambement gomme en un certain sens la rime, déjà assez moyenne (cf.

y.

22).

Quelque mépriseveut dire que les mots doivent parfois (quelque) être légèrement (quelque) impropres.

La même idée qui jouait auniveau du rythme, le vague (v.

3) doit aussi présider au choix du vocabulaire.— (v.

7) Chanson grise.

C'est le titre que choisira (au pluriel) Reynaldo Hahn pour un cycle de très belles mélodiessur des paroles de Verlaine.

Ici la chanson est grise parce que le gris n'est aucune couleur véritable, mais unmélange variable de blanc et de noir, de lumière et d'ombre.— (v.

8) L'Indécis au Précis se joint.

Ce vers allie, joint, deux termes opposés Indécis et Précis.

Verlaine ne souhaitedonc pas une imprécision totale, mais une certaine imprécision seulement.

Il s'oppose ici aux Parnassiens et rejoint(dans une certaine mesure) les Romantiques.— (v.

9 et 12) Comme exemples de ce qu'il désire, Verlaine donne ici trois images.

L'anaphore de c'est (trois fois)souligne qu'il n'y a pas de lien logique entre ces images, mais qu'elles sont simplement juxtaposées.

Elles ont. »

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