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VERLAINE (1844-1896) : CHARLEROI

Publié le 30/06/2012

Extrait du document

verlaine

Dans l'herbe noire

Les Kobolds vont.

Le vent profond

Pleure, on veut croire.

Quoi donc se sent ?

L'avoine siffle.

Un buisson gifle

L'oeil au passant.

Plutôt des bouges

Que des maisons.

Quels horizons

De forges rouges 1

On sent donc quoi ?

Des gares tonnent,

Les yeux s'étonnent,

Où Charleroi ?

Parfums sinistres 1

Quest-ce que c'est ?

Quoi bruissait

Comme des sistres ?

Sites brutaux 1

Oh 1 votre haleine,

Sueur humaine,

Cris des métaux 1

Dans l'herbe noire

Les Kobolds vont.

Le vent profond

Pleure, on veut croire.

(Romances sans paroles, 1873)

verlaine

« Commentaire du texte --------------- Le lecteur de ce poème convient d'emblée qu'il se trouve devant un texte novateur et déconcertant, fait pour subvertir son horizon d'attente : il n'est pas question ici de satisfaction facile ou de joliesse.

Le poète refu­ se à la fois les valeurs académiques et les moyens d'expression qui étaient jusqu'alors ceux de la poésie, pour nous engager dans d'autres voies ...

Une atmosphère pesante Contrairement à la promesse que laissait entendre le titre léger du recueil, Romances sans paroles, Verlaine inscrit d'emblée son poème dans une atmosphère assez tendue, pesante et dramatique.

Aussi ne peut-on considérer le titre de la section, "Paysages belges", que comme un point de départ, tout au plus.

C'est que le contemplateur ne se trouve pas placé dans des conditions ordinaires : le paysage est saisi au vol, depuis un train.

Sitôt esquissé, il est métamorphosé par la vitesse du chemin de fer, modelé par les impressions aussi vivement que confusé­ ment ressenties par le poète :c'est tout cela qu'il plaque sur la réalité de ce paysage industriel -au point de le transfigurer et de nous introduire dans un univers plus étrange que réaliste.

Ainsi la gamme des notations de couleurs, "l'herbe noire", les "forges rouges", introduit-elle une dimension déjà surnaturelle : il n'est certaine­ ment pas anodin de retrouver ici les couleurs de l'enfer ...

Dès lors, tout est possible, et la réalité s'infléchit en faveur d'un fantastique inquiétant : les éléments (le vent) et la végétation (avoine /buisson) s'animent ; ils cessent d'être ordinaires, se dégagent de la banalité pour prendre des caractéris­ tiques humaines alarmantes ou agressives :"pleure 1 siffle 1 gifle"-la multi­ plication des verbes donne l'impression d'une activité nocive, leurs sono­ rités participent à cette impression déstabilisante d'un univers hostile.

Faut-il attribuer cette déformation du monde aux lutins, ces Kobolds malé­ fiques dont la ronde semble imprimer au poème sa structure circulaire ? : L'observateur communique son incertitude: le lecteur ressent avant tout le malaise de l'être immergé dans ce monde dont les clés lui échappent.

L'inquiétude qu'inspire un monde instable L'inquiétude est immédiatement perceptible au parti pris du lexique, dont nous pouvons constater le pessimisme.

Le poète est, pour le moins, sur ses gardes.

Mais s'agit-il bien de lui? Il est question du "passant", terme qui évoque moins le voyageur que celui qui, symboliquement, accomplit 41. »

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