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VAUVENARGUES, Luc de Clapiers, marquis de : sa vie et son oeuvre

Publié le 11/11/2018

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vauvenargues

 

VAUVENARGUES, Luc de Clapiers, marquis de (1715-1747). «L’homme est aujourd’hui en disgrâce chez tous ceux qui pensent... » : c’est pourtant un bien fragile champion que la tradition moraliste a choisi en la personne de Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues, pour relever l’image du héros déchu et faire réentendre, en ce milieu du xviiie siècle, le « bruit et les désordres de la vertu » sur une scène marquée par près d’un siècle de terrorisme augustinien.

 

L’histoire littéraire, de son côté, n’a pas manqué de saisir avec Vauvenargues l’aubaine d’une figure de transition; elle a su percevoir dans cette œuvre incertaine, écrite dans l’ombre et la fascination des grands textes classiques, mais désespérément fidèle, comme la vie même de l’auteur, à une vision héroïque de l’homme, l'écho de quelques idées et sentiments nouveaux.

 

« Mourir sans avoir vécu... » (Rousseau)

 

Luc de Clapiers est né à Aix-en-Provence dans une famille de petite noblesse, peu fortunée. Sa correspondance laisse supposer une enfance difficile, doublement affectée par une santé précocement fragile, qu’aggraveront plus tard les attaques de la petite vérole et les misères de la guerre, et, d’un autre côté, par une autorité paternelle mal supportée, qui explique, sans doute, l’audace et la nouveauté de certaines maximes en faveur du légitime besoin de liberté de l’enfance : « Le premier soupir de l’enfance est pour la liberté ».

 

Il entreprend tout naturellement, en 1735, une carrière militaire à laquelle le destinaient sa naissance et ses ambitions (« La plus belle gloire est celle des armes »); mais, après dix années de campagnes qui ne lui ont apporté qu’un surcroît de misères physiques (il a les jambes gelées lors de la retraite de Prague), il donne, en 1744, sa démission de capitaine au régiment du roi et tente vainement d’entrer dans la diplomatie, où il pensait pouvoir tirer parti de sa connaissance des hommes et de l’« intrigue ». Il s’installe, en 1745, à Paris, attiré dans la capitale par ce que lui en écrit Voltaire, alors bien en Cour.

 

La réussite dans le monde des lettres n'était certainement pas celle que Vauvenargues avait rêvée. En dehors d'une lecture passionnée de quelques ouvrages de l’Antiquité et malgré les encouragements de son ami Mirabeau, le père du célèbre orateur, qui avait décelé en lui des dons de « philosophe », ses incursions dans la création littéraire s’étaient limitées à la rédaction de quelques pages édifiantes destinées à l’éducation d’un jeune garçon noble, Hippolyte de Seytres, qu’on lui avait confié à l’armée. La mort de son élève au siège de Prague en août 1742 lui inspira une Oraison funèbre qu'on peut considérer comme son premier investissement dans la littérature.

 

Mais c’est la rencontre avec Voltaire, coïncidant avec la ruine définitive de ses espérances guerrières, qui lui fit entrevoir la possibilité d’une revanche sur le mauvais sort. Voltaire, de son côté, fut sans doute sensible aux marques d’estime et d’admiration qui lui venaient de ce jeune aristocrate, capitaine au régiment du roi (obscur et pauvre, certes — mais ce sont les plus arrogants!), et répondit par des éloges et des encouragements aux essais critiques que Vauvenargues lui avait fait parvenir. Ce fut le début d’une amitié à laquelle Voltaire resta fidèle jusqu’à la mort de son ami. Marmontel, dans ses Mémoires, publiés en 1806, se fit l’écho des rencontres entre Voltaire et Vauvenargues et de leurs conversations, assurant du même coup à Luc de Clapiers une relative gloire posthume.

« ... aimer les vieilles vérités »

 

Il y a une vérité de l’homme, et on doit pouvoir la dire sans se lasser, sans lasser : comment la vérité, même indéfiniment redite, pourrait-elle lasser? Et il y a une morale du moraliste, qui est de dire aux hommes la vérité, et d’en accepter les risques. Risques professionnels s’entend, pour qui se pique d’écrire : la simplicité, les répétitions, la trivialité, la clarté... Il faut aussi accepter qu’il y ait des vérités bonnes à dire, que le discours moraliste puisse être autre chose qu’une démolition systématique de l’homme. Une confusion pernicieuse, qu’il s’agit maintenant de dénoncer, car on finirait par croire qu’elle va de soi, s’est établie entre discours moraliste et discours de ruse, discours sur l’homme et discours contre l’homme. On en connaît les responsables : ce sont les grands maîtres et précurseurs du genre, Pascal et La Rochefoucauld. Et pourtant... « si on n’écrivait que ce qu'on pense », si on décidait que « le livre bien neuf et bien original [est] celui qui [fait] aimer les vieilles vérités »? Ainsi pourquoi ne pas écrire une Introduction à la connaissance de l’esprit humain, où les vertus, les valeurs, les catégories mentales et esthétiques trouveraient clairement et sagement leurs places et leurs définitions : la grandeur d’âme, l’amitié, l’imagination, le bon sens, l’esprit étendu, l’esprit profond, le goût, la finesse, les passions, l’amour-propre (qui n’est pas le monstre pervers imaginé par La Rochefoucauld), etc.? On sourit aujourd’hui devant une telle naïveté taxinomiste, s’agissant d’un domaine aussi incertain; mais, au même moment, Diderot classe les planches de son Encyclopédie, Buffon les espèces de son Histoire naturelle... Vauvenargues est aussi de son siècle.

 

La Bruyère a cru « qu’on ne pouvait peindre les hommes assez petits », son ouvrage manque d’« élévation » mais aussi d’ambition. Ne pourrait-on pas, animé d’une vision plus juste et plus complète du caractère humain et à la lumière des certitudes théoriques récemment établies, imaginer de nouveaux « Caractères »? Par exemple un Ménalque à l’esprit moyen mais sûr, vif mais sans profondeur, un Lycas à l’âme fière et hardie mais tempérée par un esprit profond, un Hégésippe faible et fort à la fois, et sincère dans ses artifices, etc.? Lorsque les notions sont lexicalement définies, toutes les combinaisons — et les contrariétés — sont possibles. Le résultat en est que la lecture des « Caractères » de Vauvenargues est parfaitement indigeste, mais l’Homme cesse d’être un monstre incompréhensible...

 

L'enjeu des Maximes

 

La maxime est le fleuron du discours moraliste [voir Maxime]. Le duc de La Rochefoucauld l’a portée à un degré de perfection et d’ingéniosité formelles décourageant toute prétention à rivaliser avec lui... A moins de décider que « les grandes pensées viennent du cœur » et de montrer que, derrière la séduction persuasive de leur forme, ces illustres Maximes cachent d’habiles et coupables artifices ou, au mieux, des « vérités qui courent les rues ». Il est vrai qu’on n’échappe pas si facilement aux ruses du langage, et Vauvenargues fait souvent — contre son gré? — l’expérience de la malignité de la forme brève : quelques-unes de ses meilleures maximes n’auraient pas été désavouées par La Rochefoucauld; celle-ci, par exemple :

 

Si nous voulons tromper les hommes sur nos intérêts, ne les trompons pas sur les leurs.

 

C’est donc le langage que Vauvenargues met d’abord en accusation, et la raison, dont, traditionnellement, il

vauvenargues

« procède.

Mais la vérité, elle, n'est heureusement pas« si usée que le langage >>.

Affirmer l'authenticité des vertus, la légitimité de l'amour de la gloire et même d'un certain amour de soi, la force neuve du sentiment, c'est aller contre l'usure de la langue, en renouvela nt 1' acte d'auto­ rité -ou de foi - qui fonde le sens des mots : Quand je parle des vertus, je ne parle point de ces qualités imaginaires qui n'appartiennent pas à la nature humaine; je parle de cette force et de cette grandeur d'âme qui, compa­ rées aux sentiments des esprits faibles, méritent le nom que je leur donne .

On rencontrera souvent, chez Vauvenargues, cet emploi emphatique de la première personne, qui se veut argument de vérité, et une rhétorique de l'émotion qui n'est pas sans évoquer le lyrisme de Rousseau : Nous sommes susceptibles d'a m iti � , de justice, d'huma­ nité, de compassion et de raison.

0 mes amis! qu'est-ce donc que la vertu? cc Vivre comme si on ne devait jamais mourir ...

,, Une telle démarche devait naturellement conduire le moraliste à souhaiter franchir ce qu'il appelait « les limi­ tes du langage >>.

Lorsque la vérité est en butte à l' insuffi­ sance ou à la malice des mots, et qu'elle ne trouve plus guère une émouvante et fragile épiphanie que dans le mouvement d'indignation ou de conviction qui anime un discours ou ponctue une phrase; lorsque 1' amour de la gloire n'est plus que cette fugitive lueur qui colore un visage d'adolescent, et que la vertu cesse d'être discours pour devenir spectacle (Maximes 623, 757, 758), alors s'impose, au-delà des mots, la nécessité de l'action («L'homme ne peut jouir que par l'action » ).

II faut prouver, contre les nouveaux sophistes de la morale, la vertu en la pratiquant, comme on prouve le mouvement en marchant.

Mais ici on quitte le domaine de la littéra­ ture ...

Le paradoxe, tragique, est que, né trop pauvre pour obtenir les emplois que sa fierté exigeait, trop laid (on ne possède pas de portrait de Vauvenargues, mais il a évoqué en termes douloureux sa disgrâce physique) pour approcher les femmes qu'il aurait voulu aimer, trop fai­ ble (. »

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