Valéry LARBAUD, Enfantines
Publié le 25/02/2011
Extrait du document
Au bord du petit ruisseau immobile et noir, auquel ne conduit aucun sentier, et qu'on découvre par hasard, tout à coup, dans un repli des taillis où il n'est qu'un reflet de feuillages amoncelés sur le ciel, nous1 avons enfin trouvé la solitude. Sans doute, si nous étions si content d'être en vacances, c'était parce que nous nous retrouvions dans notre famille. En aurait-il pu être autrement? Mais une bonne partie de notre gaieté venait aussi d'avoir enfin trouvé un peu de solitude. Pourquoi donc, à la maison évitions-nous de rester longtemps seul avec nos parents?
Pourquoi craignions-nous de nous laisser aller à leur raconter des histoires de collège? Était-ce parce que l'expérience d'anciens déboires nous avait instruit? On voit dans les journaux amusants des plaisanteries sur les enfants terribles; pourquoi n'y a-t-il jamais de plaisanteries sur les «parents terribles«? C'est peut-être parce qu'ils sont trop terribles... Mais il y a autre chose : on renonce peu à peu, à se faire comprendre. La vie de collège nous a donné tant de souvenirs qui n'ont rien de commun avec ceux de nos parents : on dirait qu'ils ont tout oublié de leur enfance, eux... Et peu à peu, nous nous sommes aperçu que cette partie déjà ancienne de notre existence que nous avons vécue devant eux, près d'eux sur leurs genoux, leur a été presque aussi étrangère que notre vie de collège : ils en ont une version qui diffère de la nôtre. On dirait qu'ils ne nous ont pas connu. Ils racontent aux étrangers des anecdotes sur notre petite enfance, dans lesquelles nous ne retrouvons rien de ce que notre souvenir a gardé. Ils nous calomnient. On dirait même parfois qu'ils ont pris, pour nous les attribuer, des mots d'enfant qu'ils ont lus dans les livres. Cela nous rend honteux devant les gens; mais comme nous sommes très lâches, nous rions de nous-même avec les grandes personnes. (...) Mais bientôt ont commencé les préparatifs de départ pour La Bourboule. D'où venait cette joie que nous avions toujours à quitter la maison? (...) Tout nous paraissait si beau, si luxueux, ailleurs qu'à la maison. Même le bouillon des buffets de gares, que papa déclarait «infâme«, nous paraissait avoir bien meilleur goût que celui de la table de famille... Valéry LARBAUD, Enfantines, Gallimard (Rééd. Gallimard, 1977, pp. 190-193) 1. Ici le «nous« est équivalent à «je«. Dans ce cas-là, l'accord se fait au singulier. sujets au choix 1) Au moment du départ, l'enfant a le sentiment que tout sera mieux «ailleurs qu'à la maison«. Imaginez ce début de vacances. 2) «Mais il y a autre chose : on renonce peu à peu à se faire comprendre. La vie de collège nous a donné tant de souvenirs qui n'ont rien de commun avec ceux de nos parents : on dirait qu 'ils ont tout oublié de leur enfance, eux... « Vous est-il déjà arrivé de vous heurter à l'«incompréhension« des adultes? Dans quelles circonstances? Comment avez-vous réagi? Quels ont été vos sentiments? 3) «Mais une bonne partie de notre gaieté venait d'avoir enfin trouvé un peu de solitude. « Aimez-vous la solitude? Pourquoi? 4) Présentez en les ordonnant les réflexions que ce texte vous inspire.
«
autour d'un souvenir vécu.
• Notez bien l'explication que donne V.
Larbaud, de cette impossibilité du dialogue avec les parents.
Il ne s'agit pas d'intelligence, de mauvaise foi ou de mauvaise volonté mais plutôt d'un décalage, d'uneincompatibilité entre deux expériences qui ne coïncident jamais parce qu'elles sont chronologiquement trop éloignéesl'une de l'autre et que le temps a effacé le souvenir de la plus ancienne, celle des parents.
Sujet 3
• La solitude goûtée par le jeune V.
Larbaud est de même nature que celle chantée par La Fontaine dans Le songed'un habitant du Mogol :
«Solitude où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais?»
(Livre XI, fable 4.)
• Cette solitude bucolique est un refuge de calme et de silence, accueillant à tous ceux qui fuient l'agitation dumonde.
Y êtes-vous sensible?
• On peut également être seul dans sa chambre, dans un grenier, parmi les livres ou les disques...
• On choisit parfois la solitude, parfois aussi on la subit : sans famille, sans amis, dans une ville inconnue et pastoujours souriante, la solitude peut être bien pesante.
• La meilleure ou la pire des choses...
à vous de dire pourquoi et comment.
Sujet 4
• Sans penser à votre place, il est permis d'accompagner votre réflexion au moyen de quelques remarques: — Il estmille et une façons d'exprimer les malentendus parents/enfants.
La manière de V.
Larbaud est à la fois sévère ettendre: on ironise sur «les parents terribles», mais on se réjouit de se retrouver dans sa «famille» et l'on évoque «papa».
— On opposera, à cette sévérité tempérée, celle de J.-P.
Sartre dans Les Mots pour noter à quel point celui-ci estplus fielleux, déclarant par exemple : «Il n'y a pas de bon père, c'est la règle» ou encore, à propos des «motsd'enfant» : «Je suis un caniche d'avenir; je prophétise.
J'ai des mots d'enfant, on les retient, on me les répète :j'apprends à en faire d'autres» (chapitre I, « lire »).
— A l'opposé, Françoise Mallet-Jorris dans La Maison de papier donne de la famille une image moderne et sansconflits ; Albert Cohen, dans Le Livre de ma mère trace un portrait quasiment mystique de celle qu'il nomme laSainte Maman.
On méditera cette pensée du grand écrivain : « Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra, et tous les fils sefâchent et s'impatientent contre leurs mères, les fous, si tôt punis.
»
— On pourrait multiplier les exemples, qui montreraient que la famille est le lieu des contradictions au traversdesquelles chacun s'affirme, se pose en s'opposant, selon le mot de Paul Bourget.
Soyez donc le moins simpliste possible!.
»
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