Valéry Larbaud: « Ce vice impuni, la lecture. » Que pensez-vous de l'idée exprimée dans ce titre ?
Publié le 22/02/2012
                             
                        
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                                «
                                                                                                                            d'autre part que Victor Hugo voyait entre l'analphabétisme et la criminalité un rapport direct de cause à effet.
                                                            
                                                                                
                                                                    Sanspartager les exagérations de cette thèse, on ne peut pas envisager la formation de la pensée, du jugement, dugoût, raffinement de  la sensibilité, le développement  de l'imagination sans la lecture.
                                                            
                                                                                
                                                                    Certes,  les philosophes del'Antiquité avaient coutume  de pratiquer un enseignement  uniquement oral.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais ils groupaient  autour d'eux desdisciples peu nombreux,  adeptes libres et volontaires.
                                                            
                                                                                
                                                                     La civilisation  actuelle doit s'adresser  à la  masse,  à lacollectivité.
                                                            
                                                                                
                                                                    Car la hâte et la précipitation du monde actuel ne permettent plus de ces lents cheminements de lapensée,  de ces  retours  constants  sur soi-même.
                                                            
                                                                                
                                                                     L'héritage des siècles  passés  est trop  considérable  et tropécrasant  pour pouvoir  être transmis  par l'audition seule.
                                                            
                                                                                
                                                                    La langue elle-même  s'altère et se déprave  rapidement(l'évolution du latin au français en est la preuve) si on ne la voit pas écrite et formulée sur le papier.
                                                            
                                                                                
                                                                    Enfin, à undegré supérieur, tout travail de synthèse et de  confrontation, dans quelque domaine que ce soit, est impossiblesans le secours du texte et sans le recours au texte.
                                                            
                                                                                
                                                                    La forme malcommode des volumina dans l'antiquité interdisaitaux historiens  de se référer  simultanément  à plusieurs  textes, d'où les disparates  de l'ouvrage  d'histoire et lesincertitudes  de l'historien  incapable de dominer  par la seule  mémoire  plusieurs  versions différentes  du mêmeévénement.
III.
                                                            
                                                                                
                                                                    — Lecture et méditation.
Peut-on  même concevoir  la vie intérieure,  la méditation,  sans le stimulant  de la lecture?  L'une nourrit  l'autre :Montaigne est là pour nous le prouver.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'esprit ne doit pas s'enfermer, selon lui, dans une seule forme d'activité : «Les plus belles âmes sont celles qui ont le plus de variété et de souplesse.
                                                            
                                                                                
                                                                    » Sans doute, la principale étude estcelle de soi.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais peut-on s'y adonner sans  l'initiation préalable par les livres? Bien entendu, le livre ne doit pasétouffer la personnalité et Montaigne proteste contre la tyrannie de la chose imprimée.
                                                            
                                                                                
                                                                    Si le livre est un instrumentde sagesse, il n'est pas l'instrument unique.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais il a une stabilité qui pallie les effets changeants de nos humeurs :« Car ils (les livres) reçoivent toujours de même visage.
                                                            
                                                                                
                                                                    »
La méditation de  l'homme occidental  s'exerce à vide, elle risque  de tourner  court, si elle n'a pas d'objet.
                                                            
                                                                                
                                                                    Notrecivilisation repose en grande partie sur la mémoire visuelle.
                                                            
                                                                                
                                                                    Les peuples d'Extrême-Orient arrivent incontestablementà des formes de méditation plus profondes et plus élevées, mais elles ne sont pas communicables, parce qu'elles nes'expriment pas à l'aide de concepts.
                                                            
                                                                                
                                                                    Pour les Anciens, le retour incessant sur le même texte est la démarche la plussûre qui conduit à l'enrichissement moral; ainsi l'enseigne Sénèque : nihil est tam utile quod in transitu prosit.
IV.
                                                            
                                                                        
                                                                    — Lecture et création artistique.
Bien plus, la lecture est le stimulant et souvent même la source de la création littéraire.
                                                            
                                                                                
                                                                    Qu'aurait été le théâtre deRacine sans la connaissance des Anciens, de Tacite, d'Homère, de Platon.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le goût du romanesque ne dérive pas quede l'époque : la lecture faite en cachette du roman d'Héliodore y est pour quelque chose chez l'auteur d'Alexandre.Enfin, Valincourt  nous rapporte que les tragédies de  Sophocle et d'Euripide  enchantaient Racine à ce point qu'ilpassait les journées à les lire et à les apprendre par cœur.
Augustin  Thierry a senti  sa vocation  d'historien  se réveiller  grâce à la  lecture  des Martyrs  : «  Ce  mouvementd'enthousiasme, écrit-il, fut peut-être décisif pour ma vocation à venir...
                                                            
                                                                                
                                                                    Voilà ma dette envers l'écrivain de géniequi a ouvert et qui domine le nouveau siècle littéraire.
                                                            
                                                                                
                                                                    Tous ceux qui, en divers sens, marchent dans les voies de cesiècle, l'ont rencontré de même à la source de leurs études et à leur première inspiration; il n'en est pas qui ne doivelui dire comme Dante à Virgile : Tu duca, tu signore e tu maestro.
                                                            
                                                                                
                                                                    » On pourrait multiplier les exemples de ce genre :Victor Hugo enfant lisant la Bible aux Feuillantines, Rousseau s'engouant pour Plutarque et gardant ainsi toute sa viece goût de l'héroïque.
La lecture peut aussi inspirer de grandes actions : la description d'une contrée encore inexplorée, d'une cime encoreinviolée peut inspirer le violent désir de se lancer à l'aventure : La Fontaine nous le montre bien dans sa fable Lesdeux Aventuriers et le Talisman.
                                                            
                                                                                
                                                                    La lecture qui suscite l'admiration incite très souvent à l'imitation.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il en est ainsisurtout de la biographie d'un grand homme : Napoléon lisait et relisait les Commentaires de César, les Mémoires deFrédéric, roi de Prusse.
                                                            
                                                                                
                                                                    Chacun de nous a son livre de chevet, dont la lecture n'est jamais achevée, parce qu'on ymet infiniment plus qu'il ne contient en réalité.
Conclusion particulière.
Ainsi, notre vie intérieure comme notre vie sociale, notre civilisation matérielle et morale nous semblent impossiblessans  le secours  de la lecture.
                                                            
                                                                                
                                                                     Jules Romains,  dans le dernier  tome des Hommes  de Bonne  Volonté  analyselonguement  le rôle  que joua  la presse  dans la société  contemporaine.
                                                            
                                                                                
                                                                     Condition de la civilisation,  moyen parexcellence de l'éducation, point de départ de la méditation, stimulant de la création artistique et même de l'action,la lecture ne saurait donc être considérée comme un vice et la boutade de Valéry Larbaud paraît bien irréfléchie ettéméraire.
Mais voici qu'on se prend à songer au vieil Esope faisant à son maître l'apologie de la parole, puis prononçant lacondamnation  de cette  même  puissance.
                                                            
                                                                                
                                                                     La meilleure  des choses  peut aussi  devenir  la pire.
                                                            
                                                                                
                                                                     Comme  beaucoupd'instruments dont disposent les hommes, la lecture est, elle aussi, une arme à double tranchant.
Deuxième partie : l'acte d'accusation..
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