VAL D'AOSTE (littérature d'expression française)
Publié le 11/11/2018
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VAL D'AOSTE (littérature d'expression française). Est-ce parce qu’il est à la fois peu étendu, peu peuplé et très étroitement soudé à la France que celle-ci n’a guère plus conscience de l’existence du Val d’Aoste que d’un grain de beauté parant discrètement son flanc?
Toujours est-il que l’on va volontiers débusquer, s’agissant de francophonie, des minorités éparses aux quatre coins du monde et qu’on oublie assez régulièrement qu’il est encore une Gaule cisalpine où. entre Cha-monix, Bourg-Saint-Maurice et Martigny, le français fut consacré langue officielle à Aoste en 1536, trois ans avant que le décret de Villers-Cotterêts ne l’imposât en France. C’est assez dire que les Valdôtains sont authentiquement francophones, et d’autant plus méritoirement qu’on les a, voici cent trente ans, arrachés à leur ethnie naturelle et séparés de leurs frères savoyards pour les sacrifier au dessein piémontais de l’unité italienne.
La nature intramontaine de ce grandiose petit pays — 115 000 habitants dans un écrin de hautes montagnes couvrant quelque 3 260 km2 au cœur de l’arc alpin — a profondément conditionné un développement socioculturel étroitement dépendant de la notion d’enclave, zone verrou de transit et d’échanges. D’où, essentiellement :
• une civilisation régionale typique, soutenue par un dialecte — protofrançais de l’aire lyonnaise — toujours bien vivant, à vocation pratique, surtout agricole et domestique;
• un particularisme psychologique, se traduisant par un constant et prévalant souci d’autonomie, nonobstant les allégeances politiques, les sophismes du droit ou les diktats de la force;
• une culture générale de seconde main, véhiculée par le français officiel, reçue par les notables et par eux filtrée puis inculquée, moins portée vers l’ouverture et la lucidité critique que sollicitée par le régionalisme et la moralité chrétienne sur fond de valeurs classiques;
• des incursions étrangères et des pulsions migratoires, respectivement porteuses et rapporteuses de « nouveautés », c’est-à-dire — qu’on nous passe l’expression — d’oxygène mental.
«
leurs
bien plus rural que citadin, obstinément attaché
à préserver son pays des intrusions prédatrices et des
convoitises des grands, découlent peut-être le peu de
propension du Valdôtain pour la création littéraire,
l'égotisme culturel et son penchant marqué, au contraire,
pour l'histoire, la chronique, le droit coutumier, les cho
ses de la cité et la réflexion morale ou religieuse.
Aussi bien -si l'on exclut quelques fragments de
textes médiévaux d'origine incertaine; si l'on se réfère
- premier document poétique en français de la littéra
ture valdôtaine - à l'émouvant quatrain
Pauvre oyseillon qui de chez moi
T'envoles si loin de la Doyre
En ton cœur conserve memoyre
De qui prie et pleure pour toi
que Boniface de Challant aurait composé en 1402, lors
du départ de sa fille Bonne, devenue dame d'Uriage; si
l'on mentionne pour la forme, et un peu pour sa forme,
l'auteur anonyme du Mystère de Saint-Bernard, au
xv• siècle, et si l'on cite de la même époque, Pierre du
Bois, secrétaire du comte Jacques de Challant et consul
de la cité d'Aoste, estimable auteur de la Chronique de
la maison de Challant (achevée en 1465), ainsi que le
scribe responsable de la plaisante version valdôtaine en
prose de la Chastelaine du vergier; si l'on évoque, pour
la chronologie, les hagiographes, prédicateurs, théolo
giens, humanistes, juristes, généalogistes, historiens et
autres érudits qui se sont succédé de la Renaissance au
xvrn• siècle -force nous est bien d'observer que la
littérature valdôtaine, en tant que telle, n'a pris quelque
consistance qu'à compter du x1x• siècle.
Ce n'est pas pourtant que cette production littéraire
puisse être tenue pour remarquable, une fois remarquée.
Car si la poussée du romantisme ambiant -le lamarti
nien plus que le hugolien -contribua grandement à
provoquer cette floraison, il n'en reste pas moins que les
Valdôtains d'alors, coulés dans le moule conservateur,
conventionnel et bien-pensant d'une pédagogie cléricale,
confinés loin du cœur de la francophonie créatrice, coif
fés par un État plus pressé de fonder sa politique ita
lienne que d'encourager les belles-lettres, soumis enfin
à la censure sous-jacente de l'Index, se contentèrent de
faire valoir leur acquis sans lui rien conférer de bien
original.
Ces poètes en effet, tel Léon Clément Gérard, n'arri
vent guère à se dégager de la règle classique la plus
rebattue -sauf à donner dans son avatar parnassien,
comme fit Anselme Perret -, bornant leur raisonnable
romantisme à chanter la nature, le terroir, la foi reli
gieuse et les traditions.
A peine si s'en différencie un
peu Alcide Bochet, superficiel, consciencieux et tardif
prospecteur, entre 1818 et 1859, de la veine hédoniste
et galante du xvm• siècle français, légèrement teintée
d'anticléricalisme.
Seul René Alby émerge du lot, encore qu'il se soit
affirmé avec discrétion, par le biais d'une traduction en
vers français de l'Enfer de Dante, publiée d'abord en
feuilleton dans la Gazette de Nice vers 1858, puis en
livraisons partielles hors commerce.
Un temps consul de
France à Port-Empédocle, il manifesta, à l'occasion de
cette mise en français, un sens de la métrique et une
qualité d'écriture indéniables, dont le classicisme
accompli conféra à son travail une tenue demeurée
remarquable.
Quant au genre narratif- de même que la presse, la
recherche historique ou la pensée valdôtaines de l' épo
que -, il n ·offre rien qui transcende, littérairement par
lant, un honnête ordinaire, pour sympathiques ou loua
bles qu'en soient les propos.
Il y a pourtant lieu de faire état d'un romancier
notoire, également auteur dramatique, né d'une famille
valdôtaine de Torgnon émigrée à Soldatenthal : il s'agit
2524 d'Alexandre
Chatrian (1826-1890).
Son patronyme,
associé à celui d'Émile Erckmann, fut familier à des
générations de Français, l'œuvre de ces deux amis, éditée
chez Hetzel comme celle de Jules Verne, ayant joui
d'une très large audience auprès du grand public.
[Voir
ERCKMANN-CHATRIAN).
Or, dans le même temps que prenait corps ce premier
contingent d'écrivains valgôtains, prenait forme aussi
constitué en 1861 -cet Etat italien qui n'aura dès lors
de cesse d'entraver le rayonnement du français dans le
val d'Aoste, puis d'empêcher que ne perdure son emploi.
Ainsi s'accentuèrent peu à peu et le décalage culturel
entre Aoste et Paris et la pression du langage et des tours
italiens sur le français local, si bien que, la persécution
fasciste aidant, l'encore modeste mais prometteur mou
vement littéraire valdôtain ne tarda pas, végétant en vase
clos, à stagner puis à régresser.
II n'y a donc pas à
s'étonner si les auteurs valdôtains du xxe siècle, au lieu
d'accomplir les progrès escomptables en de normales
circonstances, n'ont fait que marquer le pas, laissant
se creuser d'autant plus leur handicap que la créativité
française était en plein essor.
Deux notables exceptions cependant permettent de
corriger ce bilan et d'augurer encore favorablement des
ressources du pays d'Aoste en matière d'écriture.
Et ce
n'est sans doute pas un hasard- eu égard aux réflexions
qui précèdent -s'il s'agit d'auteurs expatriés, comme
déjà l'avait été Alby.
Il y eut d'abord Léon Marius Manzetti (1 903-1936),
dont l'indéniable tempérament poétique se serait beau
coup mieux affirmé s'il n'avait lui aussi -élève des
Salésiens de Turin, puis du lycée d'Aoste -pâti d'une
éducation restrictive et d'un exil culturel, mais, surtout,
s'il n'était mort à trente-trois ans en Syrie, dans un acci
dent de motocyclette, sur la route de Damas.
L'influence
du symbolisme et des poètes décadents est perceptible
dans ses poèmes, élégamment articulés et, pour la plu
part, regroupés en trois recueils : Première Mois,son
( 1923, sous le pseudonyme de MARIUS LÉMAN), l'Ame
ensoleillée (1932), pièce en vers en un acte, et Fiançail
les dans l'ombre (1935).
Sur le renouveau prosodique qui transformait radica
lement la poétique française durant cette époque, il sem
ble bien qu'aucune information ne lui soit parvenue.
Il
n'est pas interdit d'imaginer, au vu de ses dons, combien
l'effervescence parisienne eût été plus profitable à son
évolution littéraire que le poste de professeur de français
qu'il s'apprêtait à occuper à l'université américaine de
Beyrouth.
Ceux de ses récits publiés, Pour lire à la veillée
(1929), comme ses romans: L'amour qui tue, Zainab
fleur de l'Oronte, Habib et Ley/a, parus en feuilleton
dans des journaux libanais, le Guide, couronné sur épreu
ves par l'Académie française, dénotent encore, pour atta
chants qu'ils soient, un certain manque de maturité.
Il
nous reste à rêver sur trois titres annoncés : L'homme
qui avait perdu son opacilé, l'Enchantement syrien et
Baribar ou l'Amour immortel...
Et l'on en arrive à Pierre Lexert : né en 1923, mais
venu à la publication sur le tard bien qu'il se soit adonné
au journalisme par intermittence, de pure souche valdô
taine mais passé par l'émigration, ce qui a son impor
tance -Paris longtemps fut son port d'attache -, Pierre
Lexert est sans doute 1 'auteur valdôtain le moins caracté
ristique et le plus original.
Le moins caractéristique, car
formé dans le sérail du cosmopolitisme parisien et peu
enclin aux délectations régionalistes; le plus original,
parce que se distinguant de ses compatriotes par sa maî
trise de la langue, sa science prosodique et la qualité
d'un style élaboré où le plaisir d'écrire affleure parfois
sous les espèces d'une préciosité ludique.
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