V. Hugo, La Légende des Siècles : Le Petit Roi de Galice, III, v. 51 à v. 72.
Publié le 17/02/2011
Extrait du document
Le sentier a l'air traître et l'arbre a l'air méchant; Et la chèvre qui broute au flanc du mont penchant, Entre les grès lépreux trouve à peine une câpre, Tant la ravine est fauve et tant la roche est âpre. 5 De distance en distance, on voit des puits bourbeux Où finit le sillon des chariots à boeufs; Hors un peu d'herbe autour des puits, tout est aride; Tout du grand midi sombré a l'implacable ride; Les arbres sont gercés, les granits sont fendus; 10 L'air rare et brûlant manque aux oiseaux éperdus. On distingue des tours sur l'épine dorsale D'un mont lointain qui semble une ourse colossale. Quand, où Dieu met le roc, l'homme bâtit le fort, Quand à la solitude il ajoute la mort, 15 Quand de l'inaccessible il fait l'inexpugnable, C'est triste. Dans des plis d'ocre rouge et de sable, Les hauts sentiers des cols, vagues linéaments, S'arrêtent court, brusqués par les escarpements. Vers le nord, le troupeau des nuages qui passe, 20 Poursuivi par le vent, chien hurlant de l'espace, S'enfuit, à tous les pics laissant de sa toison. Le Corcova remplit le fond de l'horizon.
Le Petit Roi de Galice parut dans la première Légende, en 185g. Mais la conception du poème, et notamment du décor, date d'avant 1848. Au cours de l'été 1843, V. Hugo avait visité une partie de l'Espagne. Il y était entré par Saint-Sébastien, puis avait traversé le village d'Ernani, les gorges de Tolosa et passé par Pampelune, Roncevaux et le cirque de Gavarnie. Les paysages espagnols du Petit Roi de Galice sont le fruit de ce voyage. Dans l'édition actuelle, cette « petite épopée « se trouve placée dans la partie intitulée « Les Chevaliers errants «. Les exploits de ces paladins et l'horreur des crimes qu'ils châtient sont mis en relief par l'âpreté du paysage : leur action de justiciers doit s'exercer dans un endroit propice aux tueries où nulle justice régulière n'a cours. C'est pourquoi V. Hugo s'attache à décrire le paysage et les sentiments qu'il inspire.
«
Les pitons des sierras, les dunes du désert0ù ne pousse jamais un seul brin d'herbe vert;Les monts aux flancs zébrés de tuf, d'ocre et de marne,Et que l'éboulement de jour en jour décharne,Le grès plein de micas papillotant aux yeux,Le sable sans profit buvant les pleurs des cieux,Le rocher refrogné dans sa barbe de ronce.
La comparaison montre que le style de V.
Hugo est plus naturel, plus simple, moins surchargé.La nature du sol continue à être peinte par une seconde notation visuelle, un trait à dessiner : le sillon des chariotsà bœufs.
Les puits sont des sortes de mares servant d'abreuvoirs; l'herbe rare en fait des oasis dans l'ariditégénérale.
Le bruit que font les sabots des boeufs s'enfonçant dans la terre humide est rendu par les sons : dist, oi,ui, ill, io.
Mais la répétition de tout nous ramène dans le désert.
Après le détail précis, c'est une perspective plusvaste qui s'ouvre (v.
8).
Les épithètes traduisent l'aspect moral du paysage : il est implacable.
La terre semblecrevassée, craquelée sous l'effet du soleil.
Elle se ride, se fronce comme les sourcils ou le front Sous l'effet de lalumière.
L'adjectif sombre accolé à midi est caractéristique, de l'art de Hugo : c'est la sombre mort qui se préparedans le cadre sinistre.
Le mot sombre peut aussi s'entendre au sens propre : la réverbération du soleil sur les rochesblanches éblouit tellement qu'elle aveugle, que le ciel bleu paraît sombre en comparaison.
On pense à ce paysageafricain Salammbô où, au fond du défilé de la Hache, les mercenaires sont dévorés par les lions abrutis de chaleur.Le paysage semble avoir un visage, avec un sourcil froncé, un oeil sombre et implacable.La rigueur quasi parnassienne du style se manifeste aussi dans les épithètes et les consonnes des vers 9 et 10 : rbr,rc, gr, s, c, br ; les r sont répétés pour accentuer l'impression de dureté.
V.
Hugo voit les effets de la chaleur surles plantes et les animaux : chèvres, bœufs, arbres, oiseaux.
On dirait que la chaleur a fait éclater l'écorce desarbres et même les roches.
Le grès et les granits sont deux roches qui généralement ne se trouvent pas au mêmeendroit.
Mais leur localisation est assez vague ici, et la nature des roches peut changer d'une vallée à l'autre.
Ledernier vers de la première partie exprime par les r l'impression de râle, d'asphyxie due à la faible densité de l'air.
Lacésure après manque donne une impression de chute.
Ce vers prépare la deuxième partie en invitant le regard às'élever.
II - LES HAUTEURS (v.
11-22)
Après le dessin terrestre et précis, la vision s'élargit.
La vue devient lointaine et fantastique.
Le paysage devientvivant : le mont se transfigure en ourse colossale.
La férocité de l'homme alliée à celle des éléments émeut le poètequi intercale dans la description une réflexion désolée : les vers 13 à 16 sont composés d'une période où troissubordonnées commençant par quand précèdent une principale brève, mise en rejet, suivie d'une césure autroisième pied.
Les trois subordonnées sont elles-mêmes bâties sur trois antithèses : homme-tort; solitude-mort;inaccessible-inexpugnable.
Les trois inversions (où Dieu; à la solitude; de l'inaccessible), accentuent la dureté decet univers sans pitié.
La volonté malfaisante de l'homme (fort, inexpugnable, mort) s'ajoute à la solitude voulue parDieu et contredit vaguement ses desseins.Mais au moment où V.
Hugo écrit ses « petites épopées », il n'est pas le mage des Contemplations.
Il sait se limiter.Il ne continue pas à « flotter dans le vague ».
Une notation très précise par le dessin et la couleur corrige aussitôtla vision : dans les plis (qui sont les creux du terrain, les ornières, les parties ravinées), la couleur de la terre privéede végétation apparaît mieux; l'oxyde ferrique donne à l'ocre une couleur jaune ou rouge.
Ce pigment est fixé sur uncomplexe de silice et d'oxyde d'aluminium; c'est pourquoi le sable apparaît en même temps que l'ocre.
V.
Hugoesquisse un dessin où apparaissent deux sortes de traits : les raies d'ocre, les ragues linéaments des sentiers.Ceux-ci sont brusquement interrompus là où la roche est plus abrupte.
Ces trois vers sont remarquables par leursallitérations et le rythme : les plis sont suggérés par les consonnes : D, d, d, pl, cr, bl ; le rejet de s'arrêtent courtsuivi d'une césure au quatrième pied indique la surprise du voyageur devant un précipice ou une paroi verticale.
Leregard qui suit la description s'est arrêté au-dessus des cols et se porte naturellement vers le ciel.Au réalisme succède à nouveau la vision : on dit couramment que le ciel est moutonné.
De cette expression le poètetire un tableau fantastique: troupeau, chien, toison.
L'idée d'une course est suggérée par le rythme :Vers le nord est suivi d'une césure au troisième pied; s'enfuit est placé en rejet et suivi de la césure au deuxièmepied.
Ailleurs ce sont des groupes le 6, g, o pieds exprimant le glissement en ligne droite du vent et des nuages.
Lespics sont ceux des Pyrénées que survolent les nuages poussés par le vent d'ouest.
Cette image qui évoque leslégendes du chasseur sauvage inscrit d'avance dans le ciel le dénouement du drame.Le tableau est complété par le mont Corcova.
Ce mont, dont le nom signifie bosse, est imaginaire.
Le vers sanscoupe évoque l'immensité du massif qui bouche l'horizon.
Peut-être V.
Hugo a-t-il transposé ici l'impression que lui fitle Pic du Midi plusieurs fois nommé dans la Légende..
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