Devoir de Philosophie

Une Société idéale, d'après Rousseau (Emile, livre IV)

Publié le 14/02/2012

Extrait du document

rousseau

Là, je rassemblerais une société, plus choisie que nombreuse, d’amis aimant le plaisir et s’y connaissant, de femmes qui pussent sortir de leur fauteuil et se prêter aux jeux champêtres, prendre quelquefois, au lieu de la navette et des cartes, la ligne, les gluaux, le râteau des faneuses, et le panier des vendangeurs. Là, tous les airs de la ville seraient oubliés, et, devenus villageois au village, nous nous trouverions livrés à des foules d’amusements divers qui ne nous donneraient chaque soir que l’embarras du choix pour le lendemain. L’exercice et la vie active nous feraient un nouvel estomac et de nouveaux goûts. Tous nos repas seraient des festins, où l’abondance plairait plus que la délicatesse. La gaieté, les travaux rustiques, les folâtres jeux, sont les premiers cuisiniers du monde, et les ragoûts fins sont bien ridicules à des gens en haleine depuis le lever du soleil. Le service n’aurait pas plus d’ordre que d’élégance ; la salle à manger serait partout, dans le jardin, dans un bateau, sous un arbre ; quelquefois au loin, près d’une source vive, sur l’herbe verdoyante et fraîche, sous des touffes d’aunes et de coudriers ; une longue procession de gais convives porterait en chantant l’apprêt du festin ; on aurait le gazon pour table et pour chaise ; le bords de la fontaine serviraient de buffet, et le dessert pendrait aux arbres. Les mets seraient servis sans ordre, l’appétit dispenserait des façons ; chacun se préférant ouvertement à tout autre, trouverait bon que tout autre se préférât de même à lui : de cette familiarité cordiale et modérée naîtrait, sans grossièreté, sans fausseté, sans contrainte, un conflit badin plus charmant cent fois que la politesse, et plus fait pour lier les cœurs. Point d’importun laquais épiant nos discours, critiquant tout bas nos maintiens, comptant nos morceaux d’un œil avide, s’amusant à nous faire attendre à boire, et murmurant d’un trop long dîner. Nous serions nos valets pour être nos maîtres, chacun serait servi par tous ; le temps passerait sans le compter ; le repas serait le repos, et durerait autant que l’ardeur du jour. S’il passait près de nous quelque paysan retournant au travail, ses outils sur l’épaule, je lui réjouirais le cœur par quelque bons propos, par quelques coups de bon vin qui lui feraient porter plus gaiement sa misère ; et moi j’auras aussi le plaisir de me sentir émouvoir un peu les entrailles, et de me dire en secret : Je suis encore homme.

Ce tableau idyllique, où le paradoxal auteur de l'Emile, ennemi de la Société, nous représente des plaisirs de société, soi-disant simples et naturels, en réalité raffinés et aristocratiques, se trouve vers la fin du IVe Livre de ce "roman pédagoique" où Rousseau se propose d'enseigner aux hommes la manière d'elever l'enfant et l'adolescent conformément à la «Nature «. Ce texte - amputé de façon quelque peu arbitraire - vient, dans le long développement sur ce thème : Si j'étais riche ... , aussitôt après la description célèbre de la « maison blanche aux contrevents verts «. C'est «là« que J.-J. rassemblerait une société, etc; ...

rousseau

« alors de son democratisme? La democratie a des preferences, mais souvent avec un bandeau sur les yeux.

Par ses goats, par ses desirs, par ses decep- tions, Rousseau est un aristocrate.

N'en pourrait-on pas dire autant de son disciple Robespierre? Non, il n'a pas ete ce qu'un vain peuple pense 2,; et son altruisme est etroitement limite.

La societe qu'il reve - pour faire un moment diver- sion a son humeur sombre - est une societe d'amis; le choix qu'il reve, c'est lui qui le dirigera.

Pas de profanes : a Nul n'aura de resprit, hors nous et nos amis.

> Robinson Crusoe n'etait pas tres social; mais sa vie manquait vraiment trop de confortable.

Un Rousseau ne dedaigne pas le bien -titre; autour de lui, on aimera le plaisir et l'on s'y connaitra.

C'est de repicurisme bien entendu, sinon noble, ni meme logique; car enfin, si vous aimez tant le plaisir, la satisfaction de vos penchants individuels, n'entrerez-vous pas bientot en conflit les uns avec les autres? Plus vous vous y connaitrez, plus la lutte sera violente, vu qu'en votre qualite de connaisseurs, vous serez unanimes a preferer les meilleurs objets.

Fau- drait-il done les mettre en commun? C'est un reve de nos jours assez re- pandu; est-ce vraiment desirable? En tout cas, ce n'est pas toujours pos- sible. Rousseau, l'homme de l'a Ermitage n'aime pas les moines;it fera pourtant grace a une abbaye ; l'abbaye de Theleme.

Au nombre des rares amis dont il a resolu de s'entourer, it vent voir figurer des femmes.

Nous le savions par avance : nous connaissions Mme de Warens,.

Mme d'Houdetot, et meme Therese Levasseur, car notre homme est un eclectique sur ce chapitre.

Pour etre misanthrope, on n'est pas misogyne; Alceste a long- temps soupire apres Celimene, Emile saurait encore moires se passer de Sophie.

Si Jean-Jacques n'est pas moral, il a du goat.

Il ne ressemble que de tres loin, lui, le champion de la a nature notre ecole naturaliste.

Les details ou il entre seraient Out& propres a nous rappeler l'age d'or decrit par Virgile; mais encore, la similitude serait incomplete : car le travail est un tresor et Virgile se garde bien de l'oublier; Rousseau en fait litiere, ou n'admet le travail qu'en fonction du plaisir; encore toute la besogne utile - fenaison et vendange - est-elle executee par des femmes.

Chez le misanthrope, couve souvent un amour-propre excessif et me- connu.

Ce malade imaginaire n'est pas le moires malade des hommes : la maladie peut devenir mortelle, et Rousseau parait en avoir ete un exemple. Or, de pareilles desillusions ne se rencontrent guere que dans les villes; aussi les fuira-t-on, tachant de les oublier jusqu'it devenir villageois au village.

Est-ce bien facile? est-ce meme, habituellement, possible? Les citadins se l'imaginent parfois; mais le vrai paysan ne s'y trompe guere. Ce dont il vous saura gre, ce ne sera pas d'adopter ses faeons rustiques, ce qui, apres tout, pourrait bien n'etre pour vous qu'une forme nouvelle du dilettantisme, du snobisme, mais d'abdiquer toute espece d'orgueil dans vos relations avec lui; de ne jamais, devant lui, manquer de naturel, soit dans une intention de parade et de pose : it ne prendra pas le change; soit par un calcul d'interet : vous etes moires fort que lui sur ce terrain. Mais s'agit bien de paysans! Rousseau vivait a l'epoque des berqui- 'lades; et, au moment ou ecrivait, les Trianons allaient s'ouvrir.

Si deli- cieux qu'en soit le charme, ils n'ont rien de commun avec la vraie cam- pagne.

Fi des laboureurs veritables! Ce que Rousseau demande a son pre- tendu village, c'est une foule d'amusements divers.

La vie est-elle done faite pour l'amusement? Mais, direz-vous, j'ai assez souffert dans les villes; et j'ai bien besoin d'une détente.

- Pardon, une détente est momentanee; or, vous declarez vous-meme vouloir ne plus accepter que l'embarras du choix pour le lendemain.

Au fond, vous etes un sybarite; vous visez a faire durer indefiniment votre plaisir; dans votre village de caprice, et que les meilleurs geographes n'inscriront pas de silk sur leurs cartes, vous revez d'installer un paradis...

mais un paradis de Mahomet; gardez-le! Rousseau preconise l'exercice et la vie active; il a raison pratiquement, mais dans quelle intention les prone-t-il? Est-ce dans une pensee morale, economique, scientifique ou sociale? Ne cherchez pas si loin, ni si haut : notre homme redoute les angoisses de la gastralgie; aussi tient-il a se faire un nouvel estomac! Il n'envisage ici l'hygiene que pour son tres petit groupe et notamment pour lui-meme; or, l'hygiene personnelle, on en fait le plus possible, on en parle le moires que l'on peut.

Nous savons d'ailleurs alors de son démocratisme? La démocratie a des préférences, mais souvent avec un bandeau sur les yeux.

Par ses goûts, par ses désirs, par ses· décep­ tions, Rousseau est un aristocrate.

N'en pourrait-on pas dire autant de son disciple Robespierre? .

N~n, il n'a.

p:;ts.

été «ce .

Robinson Crusoé n'était pas très social; mais sa vie manquait '\Traiment trop de confortable.

Un Rousseau ne dédaigne pas le bien-être; autour de lui, on aimera le plaisir et l'on s'y connaîtra.

C'est de l'épicurisme bien entendu, sinon noble, ni même logique; car enfin, si vous aimez tant le plaisir, la satisfaction de vos penchants individuels, n'entrerez-vous pas bientôt en conflit les uns avec les autres? Plus vous vous .

'f connaîtrez, plus la lutte sera violente, vu qu'en votre qualité de connazsseurs, vous serez unanizqes à r.réfèrer les meilleurs obJets.

Fau­ drait-il donc les mettre en commun? C est un rêve de nos jours assez ré­ pandu; est-ce vraiment désirable? En tout cas, ce n'est pas toujours pos­ sible.

Rousseau, l'homme de l'« Ermitage», n'aime pas les moines; il fera pourtant grâce à une abbaye : l'abbaye de Thélème.

Au nombre des rares amis dont il a résolu de s'entourer, il veut voir figurer des femmes.

Nous le savions ·par avance: nous connaissions Mme de Warens, Mme d'Houdetot, et même Thérèse Levasseur, car notre homme est un éclectique sur ce chapitre.

Pour être misanthrope, on n'est pas misogyne; Alceste a long­ temps soupiré après Célimène, Emile saurait encore moins se passer de Sophie.

.

Si Jean-Jacques n'est pas moral, il a du goût.

Il ne ressemble que de très loin, lui, le champion de la « nature >, à notre école naturaliste.

Les détails où il entre seraient plutôt propres à nous rappeler l'âge d'or décrit par Virgile; mais encore, la similitude serait incomplète : car le travail est un trésor et Virgile se garde bien de l'oublier; Rousseau en fait litière, ou n'admet le travail qu'en fonction du plaisir; encore toute la besogne utile - fenaison et vendange -est-elle exécutée par des femmes.

Chez le misanthrope, couve souvent un amour-propre excessif et mé­ connu.

Ce malade imaginaire n'est pas le moins malade des hommes : la maladie peut devenir mortelle, et Rousseau parait en avoir été un exemple.

Or, de pareilles désillusions ne se rencontrent guère que dans les villes; aussi les fuira-t-on, tâchant de les oublier jusqu'à devenir villageois au village.

Est-ce bien facile? est-ce même, habituellement, possible? Les citadins se l'imaginent parfois; mais le vrai paysan ne s'y trompe ~ère.

Ce dont il vous saura gré, ce ne sera pas d'adopter ses façons rustiques, ce qui, après tout, pourrait bien n'être pour vous qu'une forme nouvelle du dilettantisme, du snobisme, mais d'abdiquer toute espèce d'orgueil dans vos relations avec lui; de ne jamais, devant lui, manquer de naturel, soit dans une intention de parade et de pose : il ne prendra· pas le change; soit :(lll.r un calcul d'intérêt : vous êtes moins fort que lui sur ce terrain.

Mais il s'agit bien de paysans! J;l.ousseau vivait à l'épo9ue des berqui­ nades · et, au moment où il écrivait, les Trianons allaient s ouvrir.

Si déli­ cieux' qu'en soit le charme, ils n'ont rien de commun avec la vraie cam­ pagne.

Fi des laboureurs véritables! Ce que Rousseau demande à son pré­ tendu village, c'est une foule d'amusements divers.

La vie est-elle donc faite vour l'amusement? Mais, direz-vous, j'ai assez souffert dans les villes; et j'ai bien besoin d'une détente.

- Pardon, une détente est momentanée; or vous déclarez vous-même vouloir ne plus accepter que l'embarras du ch'oix _pour le lendemain.

Au fond, vous êtes un sybarite; vous visez à faire durer mdéfiniment votre plaisir; dans votre village de caprice, et que les meilleurs géographes n'inscriront pas de sitôt sur leurs cartes, vous rêvez d'installer un l?aradis ...

mais un paradis de Mahomet; gardez-le 1 Rousseau preconise l'exercice et la vie active; il a raison pratiquement, mais dans quel~e i!ltention les prône-t-il? Est-ce dans l!ne .pens~e .morale, économique, scientifique ou sociale? Ne cherchez pas s1 lom, ni si haut : notre homme redoute les angoisses de la gastralgie; aussi tient-il à se faire un nouvel estomac/ Il n'envisage ici l'hygiène que pour son très petit groupe et notamment pour lui-même; or, l'hygiène J>ersonnelle, on en fait Ie plus possible, on en parle le moins que l'on peut.

Nous savons d'ailleurs. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles