Une pièce destinée à ne pas être représentée: Lorenzaccio --> pièce de théâtre d'Alfred de Musset,
Publié le 30/01/2020
Extrait du document
Nous l’avons vu : la révolution de Juillet 1830 empêcha la représentation de sa première pièce, La Quittance du Diable, « bluette fantastique » selon son frère Paul. À la fin de cette même année, Musset subit un terrible fiasco avec sa première pièce jouée, La Nuit vénitienne ou les Noces de Laurette, comédie en 1 acte (3 scènes) qui ne connut que deux représentations à l’Odéon (1er et 2 décembre 1810), quelques jours avant le 20e anniversaire de l’auteur : fiasco dont il ne s’est jamais vraiment remis.
h Placée sous la tutelle de Shakespeare - remis à la mode par la publication de Racine et Shakespeare (1823) de Stendhal et par la tournée parisienne triomphale des comédiens anglais (1827) -, avec une épigraphe (« Perfide comme
Et de détailler ces trois motivations, derrière chacune desquelles il est difficile de ne pas lire ses propres mobiles de jeune écrivain, alors dans sa 24e année : « Si le désir de gloire est le premier mobile d'un artiste, c'est un noble désir, qui ne trouve place que dans une noble organisation. [...] l'homme, et surtout le jeune homme qui, se sentant battre le cœur au nom de gloire, de publicité, d'immortalité, etc., pris malgré lui par ce je ne sais quoi qui cherche la fumée, et poussé par une main invisible à répandre sa pensée hors de lui-même ; que ce jeune homme, dis-je, qui, pour obéir à son ambition, prend une plume et s'enferme, au lieu de prendre son chapeau et de courir les rues, fait par cela même une preuve de noblesse, je dirai même de probité, en tentant d'arriver à l'estime des hommes et au développement de ses facultés par un chemin solitaire et âpre, au lieu de s'aller mettre, comme une bête de somme, à la queue de ce troupeau servile qui encombre les antichambres, les places publiques et jusqu'aux carrefours. [...] Si le besoin d'argent fait travailler pour vivre, il me semble que le triste spectacle du talent aux prises avec la faim doit tirer des larmes des yeux les plus secs. Si enfin un artiste obéit au mobile qu'on peut appeler le besoin naturel du travail, peut-être mérite-t-il plus que jamais l'indulgence : il n'obéit alors ni à l'ambition ni à la misère, mais il obéit à son cœur ; on pourrait croire qu'il obéit à Dieu. Qui peut savoir la raison pour laquelle un homme qui n'a ni faux orgueil ni besoin d'argent se décide à écrire ? »
a Pour comprendre donc ce paradoxe littéraire et éditorial fondamental, c’est-à-dire originel, de Lorenzaccio, pièce écrite pour n’être pas jouée et qui ne le fut effectivement pas du vivant de son auteur - elle ne fut créée, très amputée, que près de quarante ans après sa mort -, il faut remonter aux débuts, désastreux, de Musset au théâtre.
«
• le contexte éditorial
• Le théâtre, meilleure tribune des hommes de lettres
• Précisément, la vie éditoriale, dans la première moitié du XIXe siècle, ne laisse
guère de chance aux auteurs de se faire connaître, ni tout simplement de sub
sister, par les seuls livres qu'ils publient, l'immense majorité de la population
vivant dans l'illettrisme et l'analphabétisation 1.
Balzac a d'ailleurs laissé, sur
la vie éditoriale vue du côté des auteurs, un témoignage capital avec sa somme
romanesque Illusions perdues (1837 à 1843) : dédié à Victor Hugo, ce sommet
de La Comédie humaine, entièrement consacré aux aspects les plus matériels
(imprimeurs, libraires, journalistes) de la vie littéraire sous la Restauration et
la monarchie de Juillet, offre une description impitoyable des mœurs souvent
cyniques du monde de lédition dans· le premier tiers du XIXe siècle.
11 C'est pourquoi le théâtre, spectacle oral et visuel par excellence, susceptible
de toucher simultanément un vaste public, fait rêver de gloire littéraire tous les
auteurs, romanciers comme poètes, jeunes et moins jeunes : de Dumas, avec
notamment Henri III et sa Cour (1829, «acte de naissance» du drame roman
tique), Antony (1831) et Kean (1836), à Balzac, avec sa pièce Vautrin (1840),
en passant par Vigny, avec Le More de Venise, Othello (1829), puis Chatterton
(1835), Hugo, avec, entre autres, Cromwell (1827), Marion de Lanne (1829,
pièce censurée), Hernani ou !'Honneur castillan (1830), Le roi s'amuse (1832,
pièce interdite) et Ruy Blas (1835), ou encore Nerval, avec Leo Burckart (1839),
presque aucun de nos grands écrivains ne s'est détourné du théâtre, bien au
contraire.
•Mais, s'il est vrai que toute la génération romantique a vu dans la scène l'occa
sion de se faire un nom et, dans le meilleur des cas, une fortune, Musset, lui,
fut dès l'enfance attiré par le théâtre : ce n'est donc pas par opportunisme ou
carriérisme, mais bel et bien par passion et même par vocation, qu'il se tourna
très tôt vers la scène, la plupart de ses productions versifiées privilégiant la
forme dramatique, c'est-à-dire théâtrale, du dialogue.
Néanmoins, son train de
vie dispendieux de dandy mondain pouvait aussi justifier cette motivation, le
théâtre lui permettant donc de joindre l'utile à l'agréable, de concilier passion
littéraire et raison sociale.
• Les motivations de l'écrivain selon Musset
111 D'ailleurs, dans l'Avant-propos d' Un spectacle dans un fauteuil.
Prose (1834),
premier recueil de son théâtre, Musset énumérait les trois motivations possibles
de tout homme de lettres : «premièrement, l'amour-propre, autrement dit, il
désire de la gloire; secondement, le besoin de s'occuper, et, en troisième lieu,
1.
Cf François Furet et Jacques Ozouf, Lire, Écrire.
L'alphabétisation des Français de
Calvin à Jules Ferry, Minuit, 1977..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Lorenzaccio --> pièce de théâtre d'Alfred de Musset: comment se traduit cette spécificité éditoriale, propre à ce drame, d’être une pièce non destinée à la représentation ?
- Une pièce finalement jouée tardivement: Lorenzaccio --> pièce de théâtre d'Alfred de Musset,
- La France de 1830 sous le masque de la Renaissance italienne: Lorenzaccio --> pièce de théâtre d'Alfred de Musset,
- L'essentiel sur l'œuvre: Lorenzaccio --> pièce de théâtre d'Alfred de Musset,
- Lorenzaccio --> pièce de théâtre d'Alfred de Musset,