Une pièce à scandale: Dom Juan au xviie siècle
Publié le 05/08/2014
Extrait du document
Si Molière espérait, en donnant Dom Juan, renflouer son
théâtre, conforter sa carrière et désarmer les cabales, les
événements ne répondirent guère à son attente. Peu de
pièces furent en effet aussi décriées, et donnèrent lieu à une
polémique aussi intense; tuée dans l'oeuf, malgré son succès,
soumise à des remaniements qui furent en fait de véritables
trahisons, tronquée par des coupures qui la dénaturèrent
gravement, l'oeuvre n'échappa que par miracle à une disparition
irrémédiable.
La carrière théâtrale
Les représentations
• La. création. Dès le 14 février 1665, Loret, dans la Muse
historique, signale le pro,chain spectacle de Molière:
L' effroy abie Festin de Pierre
Si fameux par toute la terre,
Et qui réussissait si bien
Sur le théâtre italien,
Va commencer, l'autre semaine,
A paraître sur notre scène.
Cette indication ne va pas sans inexactitude, puisque la
pièce, annoncée pour la semaine suivante, fut représentée
dès le lendemain : le chroniqueur avait-il été mal renseigné?
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Ou la date fut-elle avancée? Il est bien difficile de le dire.
Mais la deuxième hypothèse prouverait une hâte pleine de
signification : Molière n'a pas joué en public depuis le 1er
février 1665 et a peut-être un besoin urgent de se refaire;
peut-être aussi s'attend-il au déchaînement de la cabale et
a-t-il décidé de la prendre de court.
Quoi qu'il en soit, Dom Juan fut donné, pour la première
fois, sur la scène du Palais-Royal, à une date qui ne fait
aucun doute, puisqu'elle est indiquée avec précision dans le
registre de la troupe que tenait le comédien La Grange :
« Pièce nouvelle de M. de Molière. La Troupe a commencé
le Festin de Pierre le dimanche 15 février«. Son succès fut
certain. Convaincus par les séductions du merveilleux et les
attraits de la machine, les spectateurs s'y -pressèrent en
grand nombre, comme le prouvent les recettes signalées
par La Grange : certes. elles ont tendance à diminuer durant
la deuxième partie de la courte carrière de la pièce, puisque
se situant, du 1 5 février au 6 mars. entre 1 054 et 2 390
livres, elles tomberont de 792 livres à 500 livres. entre le
9 et le 20 mars; mais, si cet amenuisement suppose une
certaine usure. le phénomène n'a rien de surprenant,
s'expliquant par une saturation progressive du public, et
est d'ailleurs constatable pour toutes les oeuvres de Molière :
ainsi, dans sa première série de représentations. /'École des
femmes débute. le 26 décembre 1662, avec une recette de
1 518 livres, le cycle s'achevant, le 9 mars 1663, avec
520 livres; ainsi le Misanthrope qui fait, le 4 juin 1666,
·1 447 livres, ne réalise plus, le 18
' août de la même année,
que 268 livres.
Les chiffres atteints par Dom Juan l'emportent aussi,
nous le voyons, en valeur absolue, sur ceux des autres
pièces, cette supériorité apparaissant encore plus nette, si
on les compare aux recettes des spectacles qui précèdent
immédiatement sa création : 1er février, /'École des maris,
258 livres; 30 janvier, /'École des maris, 112 livres; 25 janvier,
/'Étourdi, 316 livres; 23 janvier, /'Étourdi, 141 livres; 20 janvier,
le Dépit amoureux, 140 livres ...
La réussite de Dom Juan fut donc incontestable. La
brièveté de sa carrière n'est pas due à la désaffection du
public : s'il ne connut que quinze représentations, du 15
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février au 20 mars, c'est qu'une interdiction discrète, prise
devant la vigueur des protestations, fut notifiée à Molière
qui dut s'incliner une fois encore. Mais contrairement à ce
qui se passa pour Tartuffe, il ne réussit pas à faire reprendre
sa pièce qui resta, de longues années durant, sous l'étouffoir.
• Un oubli relatif. Dom Juan cessa-Hl de paraître sur le
théâtre, tout au cours du xv11 8 siècle? Il convient en fait de
nuancer l'affirmation. L'oeuvre ne tomba pas dans un oubli
total; des recherches semblent prouver qu'elle continua à
être jouée en province, du vivant même de son auteur : une
annonce de spectacle atteste notamment qu'elle fut donnée
dans le Dauphiné. Ce prospectus, dont des documents
permettent de situer la date entre 1665 et 1669, promet
sans ambiguïté : « La description des superbes machines et
des magnifiques changements de théâtre du Festin de pierre
ou /'athée foudroyé de M. de Molière«, et fournit un plan
de la pièce assez voisin de celui de l'original.
Plus tard, après la mort de Molière, d'autres tentatives
de réhabilitation de la comédie virent le jour. Une capilotade
fut composée par Champmeslé qui. ne gardant que les
passages les plus anodins, constitua un mélange bizarre,
en amalgamant des scènes de Dom Juan et des fragments
des Fourberies de Scapin; essai peu convaincant qui ne fut
représenté qu'un nombre de fois limité à Fontainebleau, en
1677, puis à Paris, en 1681.
Plus contestable encore et plus dangereuse, parce que
plus durable, fut l'adaptation que Thomas Corneille fit de la
pièce; commandée par la troupe du théâtre de !'Hôtel
Guénégaud, avec le consentement de la veuve de Molière,
elle fut créée le 12 février 1677; le compte rendu' de la
délibération des comédiens telle que la rapporte le Registre
de la Comédie-Française précise en effet :
Ce jourd'hui lundi 8 mars 1677, la Troupe s'est assemblée
à la chambre commune, dans la résolution d'achever
de payer le Festin de Pierre qu'elle a acheté à la veuve
du sieur P. de Mollière et du sieur de Corneille qui l'a
mise en vers : cet achat fait moyennant deux cents
louis d'or. A cause que ce dit Festin de pierre n'a pu être
représenté que le 12 février de la dite année, quoiqu'il le
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dût être six semaines entières auparavant [. . .), la Troupe
a délibéré de payer [. .. ] la somme de douze cent-vingtsept
livres huit sous [. .. ].
Ce «rhabillage« eut du succès, si l'on en croit l'article que
lui consacre Donneau de Visé dans le Nouveau Mercure
galant : «Vous voyez bien que c'est du Festin de pierre du
fameux Molière dont je vous parle. Il a été extrêmement
suivi pendant les six représentations qui en ont été données
[ ... ] Le grand succès de cette pièce est un effet de la prudence
de M. de Corneille le jeune, qui en a fait les vers [. .. ] «. Ce
fut hélas cette version prudente qui prévalut jusqu'en 1841,
ne comptant, il est vrai, durant un siècle et demi, que 564
représentations.
«
Ou la date fut-elle avancée? Il est bien difficile de le dire.
Mais la deuxième hypothèse prouverait une hâte pleine de signification : Molière n'a pas joué en public depuis le 1er
février 1665 et a peut-être un besoin urgent de se refaire;
peut-être aussi s'attend-il au déchaînement de la cabale et
a-t-il décidé de la prendre de court.
Quoi
qu'il en soit, Dom Juan fut donné, pour la première
fois, sur la scène du Palais-Royal, à une date qui ne fait
aucun doute, puisqu'elle est indiquée avec précision dans le
registre de la
troupe que tenait le comédien La Grange :
« Pièce nouvelle de M.
de Molière.
La Troupe a commencé
le Festin de Pierre le dimanche 15 février».
Son succès fut
certain.
Convaincus par les séductions du merveilleux et les attraits de la machine, les spectateurs s'y -pressèrent en
grand
nombre, comme le prouvent les recettes signalées par La Grange : certes.
elles ont tendance à diminuer durant la deuxième partie de la courte carrière de la pièce, puisque
se
situant, du 1 5 février au 6 mars.
entre 1 054 et 2 390 livres, elles tomberont de 792 livres à 500 livres.
entre le 9 et le 20 mars; mais, si cet amenuisement suppose une
certaine usure.
le phénomène n'a rien de surprenant,
s'expliquant par une saturation progressive du public, et est d'ailleurs constatable pour toutes les œuvres de Molière :
ainsi, dans
sa première série de représentations.
/'École des
femmes débute.
le 26 décembre 1662, avec une recette de
1 518 livres, le cycle s'achevant, le 9 mars 1663, avec
520 livres; ainsi le Misanthrope qui fait, le 4 juin 1666,
·1 447 livres, ne réalise plus, le 18
' août de la même année,
que
268 livres.
Les chiffres atteints par Dom Juan l'emportent aussi,
nous le voyons, en valeur absolue, sur ceux des autres
pièces,
cette supériorité apparaissant encore plus nette, si
on les compare aux recettes des spectacles qui précèdent immédiatement sa création : 1er février, /'École des maris,
258 livres; 30 janvier, /'École des maris, 112 livres; 25 janvier,
/'Étourdi, 316 livres; 23 janvier, /'Étourdi, 141 livres; 20 jan
vier, le Dépit amoureux, 140 livres ...
La réussite de Dom Juan fut donc incontestable.
La
brièveté de sa carrière n'est pas due à la désaffection du
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