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«Une maxime de conduite morale», livre II - Confessions - ROUSSEAU

Publié le 13/07/2010

Extrait du document

morale

«Cette conduite d'un père dont j'ai si bien connu la tendresse et la vertu m'a fait faire des réflexions sur moi-même qui n'ont pas peu contribué à me maintenir le coeur sain. J'en ai tiré cette grande maxime morale, la seule peut-être d'usage dans la pratique, d'éviter les situations qui mettent en opposition nos devoirs avec nos intérêts, et qui nous montrent notre bien dans le mal d'autrui : sûr que, dans de telles situations, quelque sincère amour de la vertu qu'on y porte, on faiblit tôt ou tard sans s'en apercevoir, et l'on devient injuste et méchant dans le fait, sans cesser d'être juste et bon dans l'âme.

Cette maxime fortement imprimée dans le fond de mon coeur, et mise en pratique, quoiqu'un peu tard, dans toute ma conduite, est une de celles qui m'ont donné l'air le plus bizarre et le plus fou dans le public, et surtout parmi mes connaissances. On m'a imputé de vouloir être original et de vouloir faire autrement que les autres. En vérité, je ne songeais guère à faire ni comme les autres ni autrement qu'eux. Je désirais sincèrement de faire ce qui était bien. Je me dérobais de toutes mes forces à des situations qui me donnassent un intérêt contraire à l'intérêt d'un autre homme, et par conséquent un désir secret, quoique involontaire, du mal de cet homme-là. Il y a deux ans que Milord Maréchal me voulut mettre dans son testament. Je m'y opposai de toute ma force. Je lui marquai que je ne voudrais pour rien au monde me savoir dans le testament de qui que ce fût, et beaucoup moins dans le sien. Il se rendit : maintenant, il veut me faire une pension viagère, et je ne m'y oppose pas. On dira que je trouve mon compte à ce changement, cela peut être. Mais, ô mon bienfaiteur et mon père, si j'ai le malheur de vous survivre, je sais qu'en vous perdant j'ai tout à perdre, et que je n'ai rien à gagner. C'est là, selon moi, la bonne philosophie, la seule vraiment assortie au cœur humain. Je me pénètre chaque jour davantage de sa profonde solidité, et je l'ai retournée de différentes manières dans tous mes derniers écrits ; mais le public, qui est frivole, ne l'y a pas su remarquer«.

Questions

a. Repérez les différents «on« du texte et dites à qui ils renvoient, en relation avec d'autres mots du passage. Quelle est leur fonction dans l'argumentation ? b. Relevez le ou les passages où la thèse se trouve énoncée et résumez-la ; quel champ lexical est utilisé ? Analysez l'argument majeur qui l'étaye. De i quel type d'argument s'agit-il ? c. Quel(s) rôle(s) jouent le deuxième et le troisième paragraphe ? À qui l'auteur s'adresse-t-il à l a fin du troisième ? Pourquoi ? d. Quel est le terme récurrent dans le texte qui est lié à la maxime Pourquoi ? Quelle notion cette métaphore recouvre-t-elle ?

Écriture

Vous analyserez les moyens utilisés par Rousseau pour défendre son point de vue.

 

morale

« devient injuste et méchant dans le fait, sans avoir cessé d'être juste et bon dans l'âme.» Rousseau montre que lerésultat d'une action, morale en apparence, puisqu'en accord avec l'intention morale, aboutit en pratique àl'immoralité ; c'est une forme de raisonnement par l'absurde.Pour Rousseau, le danger est de dissocier l'intention et le résultat effectif, qui seul compte, et cela assezcurieusement, eu égard aux épisodes des Confessions (pour Marion, pour M.

Lemaître) où l'auteur avoue avoirprovoqué le mal d'autrui tout en voulant son bien.

Sans doute cherche-t-il ici à faire montre d'une orthodoxie moraleet d'une inflexibilité qui seraient devenue siennes, afin de restaurer son honneur perdu.

Il affirme d'ailleurs avoir miscette maxime en pratique «un peu tard».c.

Le deuxième et le troisième paragraphe apportent à la thèse des exemples généraux puis précis.

La véracité de lamaxime ne peut se vérifier in petto, c'est-à-dire du point de vue intérieur, dont seule la conscience est garante.Rousseau en montre donc les conséquences visibles.Dans le deuxième paragraphe, en expliquant l'air «le plus bizarre et le plus fou» qu'il peut avoir pour autrui, Rousseaumontre les désagréments qu'elle lui procure, preuves que sa conduite est tout sauf intéressée, et qu'il faut un solideamour de la vertu («faire ce qui était bien») pour résister aux calomnies, et une grande «force» morale aussi.Le troisième paragraphe donne un exemple de l'héroïsme de l'auteur, qui a voulu renoncer à la fortune, par amitié.

Lefait est qu'il n'a pas tout perdu dans cette affaire, puisque son bienfaiteur a trouvé le moyen de contourner sonimpératif moral en lui assurant un confort matériel de son vivant, par une rente viagère (soutien financier régulierjusqu'à la mort du donateur).

Mais on ne peut suspecter Rousseau d'avoir troqué un bienfait futur pour un bienfaitprésent, car le risque de froisser le Maréchal était bien réel ; l'auteur prend donc soin de révoquer les critiques dupublic (représenté par le «on»), dans une concession : «cela peut être», qui coupe court au débat, puis ensoulignant sa rectitude morale et la conformité de son action avec sa maxime.Ce dernier mouvement prend la forme d'une apostrophe au Maréchal, comme si Rousseau se détournait d'un publictrop malhonnête et qu'il serait las de combattre, pour se tourner vers le «bienfaiteur» et le »père», cher à soncoeur.

La répétition des pronoms «je» sujets, du verbe «perdre», et la symétrie des propositions «j'ai tout à perdreet (...)je n'ai rien à gagner» font de cette apostrophe rhétorique une révérence élégiaque qui anticipe sur la mort del'ami, source de tristesse.

Elle s'adresse au Maréchal, mais, quand elle est lue par un autre, elle montre lessentiments profonds d'un homme plein de gratitude, Rousseau, qui place l'amitiéavant l'intérêt.

Elle joue alors comme une confidence surprise au détour d'une page, détachée de tout projet dedémonstration, et donc crédible.d.

La maxime est toujours mise en relation avec le «coeur», métaphore du sentiment et de l'authenticité : la véritéchez Rousseau ne se mesure pas à une règle religieuse ou philosophique, elle prend sa source dans le sentiment.

Ellea alors pour synonyme la sincérité, état de celui qui est en accord absolu avec lui-même.

C'est là, selon Rousseau,le seul moyen de préserver sa bonne conscience et de trouver la force de lutter contre les attaques.

Elle légitime uncomportement «original» aux yeux d'autrui, motivé en fait par le seul désir «de faire ce qui (est) bien».

Or l'originalitéest mal vue en ce siècle, qui ne conçoit le bonheur que dans une intégration spontanée à la société.

Cette volontéde coïncidence avec soi est donc à la fois ce qui rend Rousseau incompréhensible aux autres et ce qui l'aide àbraver cette incompréhension : elle est la racine du martyre dont il fait sa vocation (et explicitement dans unelettre à M.

de Saint-Germain).

La primauté accordée au sentiment sera le fer de lance du romantisme. Étude composée I.

Situation de communication (reprise des questions)a.

Le projet de démonstration : jeu des pronoms (inclure ou exclure le lecteur) ;b.

L'apostrophe sentimentale. II.

La démonstrationa.

Progression logique : origine de la réflexion (attitude répréhensible du père), résultat de la réflexion (énoncé de lamaxime), démonstration à l'aide d'un raisonnement par l'absurde (une action qui a l'apparence de la moralité mais quine suit pas cette morale est immorale) puis exemples vécus et conclusion.b.

Les exemples : il n'y en a, en fait, qu'un seul, les autres restant dans l'indéterminé.

De plus, cet exemple estsujet à caution, d'où certaines lacunes dans la démonstration : répétition de la maxime à la fin du deuxièmeparagraphe où l'on aurait attendu des faits, nécessité pour Rousseau d'accentuer l'aspect sentimental avecl'apostrophe, et enfin désir de rejeter la faute sur un public prétendument aveugle. III.

Une page de philosophie moralea.

Syntaxe et lexique maîtrisés : oppositions, synonymes, symétries;b.

Primauté accordée au coeur : émergence d'une nouvelle philosophie.. »

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