« Une distinction est à faire entre ce qu'on propose à imiter et ce qu'on propose à admirer. Les exemples à imiter doivent toujours avoir quelque chose de médiocre et de bourgeois, car la pratique est roturière. Mais pour obtenir des hommes le simple devoir, il faut leur montrer l'exemple de ceux qui le dépasseront ; la morale ne se maintient que par les héros. » Ces quelques lignes de Renan ne fournissent-elles pas un point de vue intéressant pour la lecture de Corneille?
Publié le 08/02/2016
Extrait du document
La plupart des hommes sont médiocres dans le bien comme dans le mal. Les héros sont rares. Et ce n’est pas seulement par manque de générosité, mais aussi parce qUi? les occasions font défaut. Combien se sont élevés au-dessus d’eux-mêmes pendant la guerre, dont la vie avait été et est redevenue plate et bourgeoise. Il y a d’ailleurs un héroïsme de la vie commune aussi difficile que l’autre. Mais la pratique en est roturière, elle n’attire pas l’attention. Et pour être vertueux et rester fidèle à l’humble devoir de tous les jours, la fréquentation des grandes âmes est bien utile. Renan a raison. La morale ne se maintient que par les héros. Et c’est pourquoi le théâtre de Corneille est si bienfaisant.
«
14
XVII' SIÈCLE
LI.
Cependant le théâtre de Corneille est sain et forti-
fiant, car la morale ne se maintient que par les héros.
L Les héros nous donnent de l'estime pour nous-mêmes, ils
nous rendent fiers d'être hommes, car nous savons que nous
sommes de leur race et que ce qu'ils ont fait, nous serions,
si nous le voulions, capables de le faire nous-mêmes.
Au contraire
la faiblesse des autres excuse notre lâcheté.
(Cf.
effet moral de
Corneille et de Racine.)
2.
Ils nous convainquent de notre liberté et nous montrent
comment nous pouvons rester maîtres de nous-mêmes.
Pour
être libre, il faut se croire libre.
Et s'il est vrai que la vie est
un combat, c'est tous les jours que nous avons besoin de nous
croire libres.
3.
Enfin
les
héros nous apprennent à nous surpasser.
En
morale il faut viser plus haut que le but que l'on veut atteindre.
Or le théâtre de Corneille nous arrache à nos petites misères,
il nous met devant un idéal d'honneur, de vertu, d'héroïsme
que nous n'atteindrons peut-être pas, mais qui nous éclaire
et nous facilite l'accomplissement du devoir quotidien.
Il
nous apprend qu'il est des choses que nous devons savoir
préférer à nos plaisirs, à la satisfaction de nos passions, et même
à nos sentiments les plus légitimes.
Il nous montre à quelles
conditions la vie mérite d'être vécue.
Tel est le profit, que l'on peut tirer de Corneille et voilà
comment il faut le lire.
Ne lui reprochons donc pas ce qui fait
justement sa gloire.
Assez d'autres nous tiennent les yeux
fixés sur nos faiblesses, la tyrannie de nos instincts.
Lui nous
élève et nous fortifie.
9.
CORNEILLE
Amiel écrit dans son journal
J'ai relu le Cid et Rodogune.
C'est puissant, mais on a devant soi des idées héroïques plutôt
que des êtres vivants.
On peut voir dans ces paroles une condamnation de la psycho-
logie de Corneille en général.
En prenant cos exemples dans les
pièces de ce poète que cous connaissez le mieux, cous direz si les
personnages cornéliens cous paraissent justijier le jugement
écôre d' Amiel..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Dans Les Mouches, pièce de Jean-Paul Sartre, l'un des personnages expose ce qu'est pour lui la culture (il s'agit du pédagogue qui s'adresse à son élève, Oreste, un jeune homme de dix-huit ans) : « Que faites-vous de la culture, monsieur?... Ne vous ai-je pas fait, de bonne heure, lire tous les livres, pour vous familiariser avec la diversité des opinions humaines et parcourir cent États, en vous remontrant en chaque circonstance comme c'est chose variable que les mœurs des hommes? A
- On pouvait lire dans Les Lettres françaises du 25 février 1954 (Gallimard) ces lignes de Thomas Mann : «Le classicisme, ce n'est pas quelque chose d'exemplaire ; en général, et hors du temps, même s'il a beaucoup et tout à faire avec les deux idées implicites ici, celle d'une forme, et celle de la précellence de cette forme. Bien loin de là, le classicisme est plutôt cet exemple tel qu'il a été réalisé, la première création d'une forme de vie spirituelle se manifestant dans la vie indi
- Commentez ces lignes de Sylvain Menant (Littérature française, t. VI : De l'Encyclopédie aux Méditations, Arthaud, 1984) : «Tout le monde, de Voltaire à Diderot, cherche à définir un «droit naturel», droit absolu inscrit dans la raison humaine et antérieur, d'un point de vue intellectuel, à l'existence des sociétés. Ce droit naturel doit s'imposer dans tous les régimes politiques. Il protège la liberté des individus et leur fixe des devoirs. Chaque intervention dans les affaires du tem
- La morale moyenne se maintient par les héros. Montrez que Renan a voulu dire, par là , combien il était nécessaire, même pour ceux qui ne l'atteignent pas complètement, de poursuivre toujours un idéal héroïque, de chercher à imiter les héros.
- A l'aide d'exemples précis expliquez la conception du théâtre défendue par J. Giraudoux dans les lignes suivantes : « Mon cher poète, quand vous aurez mon âge, vous trouverez la vie un théâtre par trop languissant. Elle manque de régie à un point incroyable. Je l'ai toujours vue retarder les scènes à faire, amortir les dénouements. Ceux qui doivent y mourir d'amour, quand ils y arrivent, c'est péniblement et dans leur vieillesse. Puisque j'ai un magicien sous la main, je vais enfin m'o