Un vrai faux roman policier - Thérèse Raquin de Zola
Publié le 14/03/2020
Extrait du document
trahir, provoque chez eux un fort dérèglement physiologique. Progressivement chacun devient victime de ses nerfs, et finalement de son propre complice.
Des assassins victimes de leurs nerfs
Ni l’un ni l’autre ne sont capables d’assumer leur forfait.
Laurent a des « sueurs glacées » quand il songe qu’« on aurait pu découvrir son crime et le guillotiner »1. Il est en proie à des insomnies (chap. XVIII) et il éprouve de terribles épouvantes (p. 153). L’image du noyé le poursuit, le plongeant dans des cauchemars et des hallucinations. Rêve-t-il à l’époque heureuse où il rejoignait Thérèse par une porte dérobée? « Au lieu de la jeune femme en jupon, la gorge nue, ce fut Camille qui lui ouvrit, Camille tel qu’il l’avait vu à la morgue, verdâtre, atrocement défiguré. Le cadavre lui tendait les bras, avec un rire ignoble » (p. 154).
Thérèse connaît, de son côté, « une crise nerveuse » qui « la rend comme folle » (p. 163). Passant d’une « rêverie vague », qui « la faisait rire ou pleurer sans motif » à des moments d’angoisse (p. 143), elle ne peut oublier le spectre de Camille (p. 159).
Eux qui ont tué pour vivre leur passion au grand jour, librement, ne trouvent pas dans leur mariage le bonheur espéré. Camille les sépare encore plus fortement que lorsqu’il était vivant. « Eux seuls savaient que le cadavre de Camille couchait entre eux » (p. 222).
«
1 .
Par une ironie tragique 1, tous deux contribuent inconsciemment à
accréditer la thèse de l'accident et, par voie de conséquence, à
assurer l'impunité des meurtriers.
Olivier fait en effet « connaître sa
qualité d'employé supérieur de la Préfecture
..
(p.
119) à l'agent qui
effectue les premières constatations.
Comment celui-ci mettrait-il en
doute la parole de cet
« employé supérieur ..
? Les investigations
cessent presque aussitôt.
« [ ...
] tout fut terminé en dix minutes »
(p.
119).
Michaud et son fils présentent même Laurent
« comme le meilleur
ami de la
victime"· Ils veillent en outre à faire inscrire dans le procès
verbal que
« le jeune homme s'était jeté à l'eau pour sauver Camille
Raquin
» (p.
119).
Qui pourrait soupçonner le courageux sauveteur
d'être
un meurtrier?
1 Des assassins impunis
Que ce soit juste après le meurtre ou durant le reste de leur exis
tence, Thérèse et Laurent ne sont jamais inquiétés par la justice.
Ils vivent dans la peur d'être percés
à jour, multiplient les précau
tions
en feignant la tristesse, en espaçant leurs rencontres, en
contrôlant leurs gestes et leurs paroles (chap.
XVI).
Mais ils ne cou
rent vraiment de risque qu'une seule fois, lorsque Mme Raquin, qui
a fini par découvrir la vérité, veut les dénoncer aux invités du jeudi
soir.
L'alerte est chaude : Laurent
« crut que tout était perdu, il sentit
sur son être la pesanteur et
le froid du châtiment, en voyant cette
main revivre pour révéler l'assassinat de Camille
» (p.
248-249).
Quant
à Thérèse, elle « faillit crier d'angoisse » (p.
248).
Mais la para
lytique ne peut livrer son secret et les deux assassins sont saufs.
LE POIDS DU CRIME
La tension nerveuse, générée par le meurtre puis exacerbée par
les précautions que prennent Thérèse et Laurent pour ne pas se
1.
C'est ironique, car ce n'est évidemment pas le rôle de représentants de la police de
disculper des assassins.
Et c'est tragique, parce que le meurtre de Camille va rester offi
ciellement impuni.
· PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 51.
»
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