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Un sonnet « précieux ». Le Sonnet de Trissotin. Les Femmes Savantes - Molière

Publié le 06/07/2011

Extrait du document

Dans les Femmes Savantes (1672), Molière ridiculise un sonnet de Cotin qui avait été publié pour la première fois en 1659, l'année même où furent jouées les Précieuses Ridicules :

Sonnet.

A Mlle de Longueville, à présent duchesse de Nemours, sur sa fièvre quarte.

Votre prudence est endormie De traiter magnifiquement Et de loger superbement Votre plus cruelle ennemie. Faites-la sortir, quoi qu'or die, De votre riche appartement, Où cette ingrate insolemment Attaque votre belle vie. Quoi, sans respecter votre rang, Elle se prend à votre sang, Et jour et nuit vous fait outrage ! Si vous la conduisez aux bains, Sans la marchander davantage, Noyez-la de vos propres mains !

Par une étude détaillée de ce sonnet (insignifiance du sujet, manière de le mettre en valeur, expressions recherchées, pointes, etc...), définissez ce qu'on a appelé la poésie précieuse. Dites les principales raisons que Molière et Boileau eurent d'attaquer la société précieuse et ses poètes.

Conseils pratiques. — Matière très détaillée. Suivez le plan qu'elle vous conseille, ou qu'elle vous impose: mais il y a un : etc... qui vous laisse quelque initiative et quelque liberté. Il y a surtout l'indication du dessein général de votre travail ; il a pour but de définir ce qu'on appelle « la poésie précieuse «. Et alors vous serez bien obligés de vous demander si Molière et Boileau n'avaient pas sous les yeux des textes beaucoup plus affectés et beaucoup plus ridicules. Vous en connaissez, sans aucun doute. Donc il se pourrait que le choix que Molière a fait de ce sonnet sur la fièvre ne fût pas dû simplement à des raisons littéraires. Ou encore il se pourrait que Trissotin fût plus ridicule que Cotin lui-même, soit par l'importance qu'il apporte à ce badinage, présenté comme un chef-d'œuvre, soit par les commentaires qu'il provoque dans le salon de Philaminte et qu'il savoure avec tant de béate suffisance.

« Explication proposée. IDans le salon où se trouvent réunies Philaminte, Bélise et Armande, toutes prêtes à se pâmer, et aussi Henriette,bien résolue à ne point écouter de fadaises.

Monsieur Trissotin va lire des vers.

Cette fois, il s'est mis en dépense.

Acet auditoire d'élite, Monsieur Trissotin ferait trop peu d'honneur s'il offrait seulement les huit vers d'une épigrammeou d'un madrigal.

II traite tous les genres, tous les genres badins.

Il va présenter à la grande faim littéraire desfemmes savantes, le ragoût d'un sonnet.

Le poème a eu du succès chez la Princesse qui l'a inspiré, il ne sauraitmanquer d'en obtenir dans la circonstance présente.

Voyons donc ce qu'était la poésie précieuse, comment ellefaisait tressaillir d'admiration les femmes et les hommes qui se piquaient d'apprécier délicatement le fin du fin. IISonnet à Mlle de Longueville, duchesse de Nemours...

Arrêtons- nous à ces premiers mots de la dédicace.Longueville, Nemours, voilà de bien grands noms; les Longueville, les Nemours sont des ducs dont le nom estcélèbre.

Mais alors comment distinguer, ainsi qu'on le fait souvent, entre les précieuses de cour, dignes de tous leséloges, et les précieuses de ville, dignes de toutes les critiques? Ces dernières seules, dit-on, auraient étéattaquées par Molière.

Madame la duchesse était pourtant une précieuse de marque; on ne saurait la rendreresponsable de tous les mauvais vers qui lui ont été dédiés, mais du moins on peut dire qu'elle apparaissait auxTrissotins comme une protectrice capable de se plaire à leurs productions maniérées.

Molière n'aurait pas d'ailleursosé dire que le sonnet avait été bien accueilli chez la Princesse si celle- ci l'avait désavoué.

Il semble donc que lemal était plus grand qu'on ne veut le reconnaître, et que la Cour elle-même comptait des partisans de Trissotin.

Celadonne encore plus de prix au service que rendaient Molière et Boileau, en s'attaquant à la poésie précieuse et à sesprotecteurs, déclarés ou non.Sur sa fièvre quarte...

La fièvre quarte est celle dont les accès viennent le quatrième jour.

C'est une maladie à lamode en ce temps-là.

Le sujet choisi par le poète précieux est donc mesquin, ou plutôt insignifiant.

Pouvait-ild'ailleurs en être d'autre sorte? Il est bon de bien voir à qui étaient destinées ces poésies : à un public de salons etde ruelles, frivole et oisif.

C'étaient bien là les divertissements qu'il réclamait.

Je n'ai pas à étudier ici quelle a été surla littérature l'influence des salons en général, et de ceux du 17e siècle en particulier, ni à chercher si une poésie desalon, en quelque circonstance que ce soit, n'est pas condamnée, par définition, à éviter tout sujet un peu relevéet qui oblige à penser, à réfléchir.

Mais si je trouve que Trissotin va perdre bien du temps pour bien peu de chose, jedois ajouter qu'il lui était impossible d'aborder, poète mondain, d'autres genres, au risque d'ennuyer et de se fairemettre à la porte.

Il n'y avait qu'un moyen d'échapper à l'obligation d'employer son talent à des balivernes : c'étaitde rester chez soi, et d'éviter toutes les ruelles et tous les salons.Au contraire, plus le sujet sera mesquin et plus il y aura du mérite à en tirer un sonnet qui ait l'air distingué,ingénieux, spirituel.

Tout l'effort du poète va consister à faire quelque chose de rien.

S'il est vraiment habile, léger,exquis, ce sera un triomphe.

En revanche, s'il est gauche, lourd, prétentieux, ce sera une chute lamentable.Examinons comment Trissotin s'est tiré de la redoutable épreuve. IIIIl commence, pour donner du piquant à la pensée, par personnifier la fièvre quarte.

Elle est l'ennemie de la tropbienveillante princesse; autant celle-ci est loyale, autant celle-là est perfide.

Et en effet que de reconnaissancedevrait avoir la fièvre quarte envers celle qui, sans défiance, lui offre un somptueux asile ! Or elle n'a ni gratitudepour les bienfaits, ni respect pour les grandeurs.

La conclusion s'impose: il faut jeter dehors l'impudente.

Ce seraitmême là un châtiment trop doux pour ses forfaits.

Quand la princesse ira aux bains, qu'elle n'ait aucun scrupule, etqu'elle noie délibérément la criminelle que nul ne plaindra.Évidemment, il faut ne pas trop « appuyer», et se souvenir que nous sommes en plein badinage.

Ne pesons pas cesonnet de Trissotin à la même balance qu'une scène de Racine.

Mais cependant cette personnification de la fièvrequarte, qui abuse de l'hospitalité, qu'on doit expulser d'abord, noyer ensuite dans la baignoire, est peut-être un peuétrange.

Cette personnification n'eût été ni plus ni moins condamnable que tant d'autres, si elle n'avait pas étéprécisée par des actes aussi matériels, aussi vulgaires.

Faisons toutefois l'effort nécessaire pour nous mettre auniveau, et soyons indulgents pour le procédé.

Mais puisque Trissotin court après la finesse, nous sera-t-il permisd'observer que l'idée essentielle manque de précision? La personnification de la fièvre entraîne, pour ainsi parler, lanécessité du « dédoublement » de la princesse : l'âme généreuse de celle-ci accueille avec bonté, dans lesomptueux domicile qu'elle habite, la fièvre quarte ; ce domicile, c'est le corps.

Seulement, si ce domicile est offert(est-il« offert », et la fièvre ne s'est-elle pas introduite clandestinement, par les fenêtres, pour parler commeTrissotin?) à quoi bon cette hospitalité, sinon pour que la fièvre pousse régulièrement ses accès ? Admettons mêmeque la fièvre se soit glissée par surprise, et que, malgré cela, Uranie lui prête volontairement une superbeinstallation.

Mais la fièvre ne lui doit aucune reconnaissance, s'il ne lui est pas permis de se manifester aux heuresfixes.

Offrir un asile à la fièvre quarte sous cette condition qu'elle ne se fasse pas sentir, c'est une bonneplaisanterie, ou c'est un marché de dupe : je vous accueille, et je vous tue.

Ce n'est pas l'ingéniosité qui manque àTrissotin ; au contraire, il en a trop ; mais puisqu'il excite la nôtre, et qu'il la met en jeu, nous lui dirons que sonprocédé ne nous satisfait pas, et que ni sa personnification ni sa métaphore ne nous paraissent, à l'analyse, desplus heureuses.Une fois cette personnification imaginée, une fois cette métaphore trouvée, le travail de Trissotin est facile à suivre.Tous ses efforts tendent à mettre en valeur son idée ingénieuse, en l'entourant de fioritures.

Il brode sur un. »

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