Un roman philosophique : le sentiment de l'absurde - Camus L'Etranger
Publié le 09/08/2014
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« Un style de l'absence qui est presque une absence idéale de style «
A une telle expérience, il fallait un langage qui soit accordé. Tous les lecteurs de L'Etranger ont noté l'étonnante et envoûtante simplicité du style : c'est par endroits seulement que le ton est rompu et que refait surface la superbe prose poétique de Camus. Dans la majeure partie du livre, la syntaxe, en effet, est directe, le vocabulaire dépouillé et l'auteur, se refusant à exploiter toute la gamme que lui offre la langue française, n'utilise que le passé composé — le moins littéraire des temps.
Il va de soi que cette simplicité est calculée : elle ne traduit pas l'incapacité de son auteur à la virtuosité stylistique. Camus a fait ailleurs la preuve de son adresse à travailler la langue. Mais il choisit dans L'Etranger une absence d'artifice littéraire qui, bien entendu, n'est rien d'autre qu'une autre forme de l'artifice littéraire.
Ce choix s'est imposé pour des raisons qui sont d'abord de vraisemblance : puisque Meursault est le narrateur, il lui faut utiliser un langage qui, par sa simplicité, soit à son image. Mais il y a plus : ce que Barthes nommera le « degré zéro de l'écriture « est la voie obligée qui nous mène à l'expérience de l'absurde.
Sartre, ici encore, nous livre la clé de ce langage. Si l'auteur opte aussi clairement pour la simplicité, s'il détache ses phrases et les juxtapose en résistant toujours à la tentation de la période, du développement, de l'envolée, c'est parce que l'expérience absurde ne peut se dire autrement. Elle est un présent perpétuel dans lequel l'évidence s'impose sans qu'il soit possible de hiérarchiser ou d'organiser. Ainsi, «chaque phrase est un présent «.
«
posée dès 1938 par Albert Camus.
L'occasion lui en
avait été donnée par la publication du premier roman
de
Jean-Paul Sartre, La Nausée, dont Camus rendit
compte dans
Alger républicain, le 20 octobre 1938.
Avec beaucoup de perspicacité
et de jugement litté
raire, Camus saluait dans
La Nausée «le premier
roman
d'un écrivain dont on peut tout attendre».
Il exprimait cependant quelques réserves à l'égard du
livre et notamment à propos de la manière dont la
thèse philosophique de celui-ci constituait comme un
corps étranger que le récit ne parvenait pas totalement
à assimiler.
Si le lecteur n'entre pas véritablement dans
le livre, c'est à cause de
«ce déséquilibre si sensible
entre la pensée de l'œuvre et les images où elle se
joue» qui caractérise La Nausée.
D'où ces quelques
critiques qui sont aussi des remarques très générales sur
la littérature
et la philosophie, par lesquelles débute
l'article de
Camus:
«Un roman n'est jamais qu'une philosophie mise en
images.
Et dans un bon roman, toute la philosophie est
passée dans les images, mais il suffit qu'elle déborde les
personnages et les actions, qu'elle apparaisse comme
une étiquette
sur l'œuvre, pour que l'intrigue perde son
authenticité et le roman sa vie.
Pourtant, une œuvre durable ne peut se passer de
pensée profonde.
Et cette fusion secrète de l'expérience
et de la pensée, de la vie et de la rénexion
sur son sens,
c'est elle qui fait le grand romancier (tel qu'il se mani
feste dans un livre comme la Condition humaine, par exemple).,.
La position de Camus, on le voit, est double.
D'un
côté, il affirme qu'il ne saurait y avoir de grand roman
sans véritable pensée qui le soutienne.
Mais de l'autre,
il précise que cette pensée doit «passer» dans le tissu
même du roman, qu'elle ne doit pas
y rester étrangère.
Un équilibre est nécessaire, une «fusion secrète de
l'expérience
et de la pensée»..
»
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