Un personnage de roman doit-il nécessairement surmonter des épreuves pour être considéré comme un héros de fiction ?

« Contrairement au héros « traditionnel » que nous venons de décrire, le héros « classique », ou encore romanesque et réaliste possède des valeurs différentes.

Ce hérosmoderne est reconnu par son savoir et ses faiblesses.

Il incarne parfaitement le personnage de la vie réelle.La seconde moitié du XIXe siècle voit se développer un nouveau genre littéraire : le réalisme.

Il vise à donner une représentation exacte, complète et éclairante de laréalité.

C'est dans ce contexte que Stendhal dit dans son roman Le Rouge et le Noir : «Un roman, c'est un miroir que l'on promène le long de son chemin ».

AlbertCamus a développé cette idée plus explicitement dans l'Homme Révolté, rédigé en 1951 : « Qu'est ce que le roman […] sinon cet univers où l'action trouve forme, oùles mots de la fin sont prononcés […] où toute une vie prend le visage du destin.

Le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci, suivant le désirprofond de l'homme.

Car il s'agit bien du même monde.

[…] Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces.

Leur univers n'est ni plus beau, ni plus édifiantque le nôtre.

Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin et il n'est de si bouleversants héros qui vont jusqu'à l'extrémité de leur passion, […] C'est icique nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n'achevons jamais.

»Parmi les héros « classiques », on retrouve le héros tragique au cœur d'un conflit, mais qui accepte sa défaite.

Il est écrasé particulièrement par le destin qui le mène àcette défaite.

Cependant, cela ne dément pas pour autant sa vitalité héroïque.

Dans Un Balcon en Forêt de Gracq, le capitaine Grange, personnage principal duroman, est blessé.

« Je vais peut-être mourir » se répète-t-il.

Le soldat est considéré comme un héros dans notre vision actuelle du monde.

C'est un être courageuxmais faible.

Il a vécu l'expérience traumatisante de la guerre et meurt en l'honneur de son pays, en rendant service à l'humanité.

Il ne prend pas conscience de lagrandeur de son geste.

Dans La Débâcle de Zola, la mort du soldat français Gaude se termine par une connotation épique : « Avec lui, finissait une légende.

».

Lepersonnage se hisse au statut de héros malgré lui mais n'accompli pas des épreuves héroïques comme un brave chevalier.

Il a des faiblesses et des doutes, comme toutêtre humain.

C'est justement ce procédé qui rapproche le lecteur du personnage romanesque.

Le personnage est un être tout à fait « normal », qui parfois se démarquepar un acte courageux, au grand étonnement du lecteur.

C'est le cas dans Pauline d'Alexandre Dumas où Horace de Beuzeval, personnage d'apparence fragile, décided'affronter une tigresse à lui seul afin d'impressionner ses confrères : « La tigresse avait reçu dix-sept coups de poignard, le comte un coup de dent qui lui avait briséle bras gauche, et un coup de griffe qui lui avait déchiré la poitrine.

».

Ce geste là n'implique pas pour autant de la bravoure selon moi.

Cet acte me parait impulsif etirréfléchi, jusqu'au point de ridiculiser le comte.Les personnages romanesques de démarquent également par leur savoir, leur idéologies, leur sagesse et le message qu'ils cherchent à faire passer.

Par exemple, dansle roman Pantagruel écrit par Rabelais, Gargantua donne des conseils à son fils Pantagruel : « Rien ne te soit inconnu »; « en tenant conclusions de tout savoirpubliquement, envers tous et contre tous, et hantant les gens lettrés qui sont à Paris comme ailleurs.

».

Le personnage Kyo, leader communiste en Chine dans LaCondition Humaine de Malraux, se suicide pour éviter de parler et trahir sa cause. Les héros traditionnels sont des êtres dotés d'une force et d'un courage exceptionnels.

Ils ont ce sens de sacrifice, d'abnégation, de courtoisie.

Ils doivent surmontercertaines épreuves qui les hissent sur un piédestal.

Ils accomplissent plusieurs actes héroïques qui les rendent inaccessibles et mystiques.

Contrairement à ces héros, ilen existe d'autres qui s'éloignent de cet idéal héroïque parfait.

Ce sont des héros parfaitement humains qui n'ont absolument rien de divin.

Ces personnagesromanesques sont beaucoup plus réalistes et se rapprochent du lecteur parce qu'ils ont des faiblesses comme n'importe quel autre être humain.

Le roman a perdu deson caractère épique pour devenir réaliste.

Le lecteur est ainsi confronté aux dures réalités de la vie.

Personnellement, je trouve que le personnage de roman n'est pasobligé de surmonter des épreuves pour être considéré comme un héros de fiction.

Il peut très bien posséder d'autres qualités tout à fait remarquables, mais certeshumaines et réalistes.

Je préfère m'identifier à un personnage qui commet des erreurs et apprend de ses fautes que d'idolâtrer un héros inhumain, divin qui est, detoutes façons, inaccessible à nos yeux.

L'erreur est humaine et personne n'est parfait dans un monde réaliste.

On retrouve cependant une illusion de la réalité illustréeà l'aide d'effets de style, sans pour autant représenter la réalité exacte.. »