Un mathématicien et homme d'esprit du xviiie siècle se serait écrié, après avoir vu une tragédie de Racine : « Qu'est-ce que cela prouve ? » A la lumière de cette boutade, vous vous demanderez si une oeuvre littéraire doit « prouver » quelque chose pour retenir l'attention.
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
Elle s'est affirmée au siècle : avec les romantiques, qui ont tendance à assigner à l'écrivain — et surtout au poète— un rôle de prophète et de guide ; ou de porte-parole des espoirs et des colères de la cité : cf.
Hugo dans lesChâtiments, où il se compare d'ailleurs à Josué, « prophète irrité ».
Cette conception se retrouve encore, quoiquedans une perspective résolument moderniste, chez Apollinaire qui, dans Calligrammes, donne au poète « l'art deprédire » :
« Certains hommes sont des collinesQui s'élèvent d'entre les hommesEt voient au loin tout l'avenirMieux que s'il était le présentPlus net que s'il était le passé »
Mais, dans un autre ordre d'idée, Zola pense avec un mélange de naïveté et de générosité que le romancier peutjouer un rôle prépondérant pour attirer l'attention sur l'horreur de la condition ouvrière et aider ainsi à satransformation (cf.
l'Assommoir et surtout Germinal).
Quitte, à la première déception à se réfugier dans l'amertumeet le sarcasme.
Flaubert déclare en 1852 :« De la foule à nous aucun lien, tant pis pour la foule, et surtout tant pis pour nous.
»Au xx' siècle l'écrivain, souvent, appelle à la lutte et y participe.
La montée du fascisme, la guerre d'Espagne, larésistance, par exemple, susciteront un grand nombre d'oeuvres de valeur qui sont aussi des manifestations activesde lutte : B.
Brecht (Les Fusils de la mère Carrar; Misère et grand peur du Ille Reich; La résistible ascension d'ArturoCh); Alberti, Machado, Hernandez, en Espagne ; Desnos, Aragon, Eluard...
sous l'occupation nazie.
Aragon théorisece choix lorsqu'il écrit, en 1940, dans la préface du Crèvecœur: «Jamais peut-être faire chanter les choses n'a étéplus urgente et noble mission à l'homme, qu'à cette heure où il est plus profondément humilié, plus entièrementdégradé que jamais.
»Sartre radicalise même cette position, dans un texte théorique important paru en 1948.
Pour lui, toute littératureest engagée, quoi qu'elle fasse et quoi qu'elle veuille être.
L'écrivain « est dans le coup », il est « en situation dansson époque » et « chaque parole a des retentissements ».
Donc, autant qu'il s'engage consciemment, qu'il choisisseson camp et le bon : « Puisque l'écrivain n'a aucun moyen de s'évader, nous voulons qu'il embrasse étroitement sonépoque.
» Inversement, le refus de s'engager est une forme d'engagement dans le conservatisme social : « Serions-nous muets et cois comme des cailloux, notre passivité même serait une action.
Celui qui consacrerait sa vie à fairedes romans sur les Hittites 1, son abstention serait par elle-même une prise de position.
»Limites de cette position : ce sont les limites même de l'engagement, le refus d'aveuglement, de fanatisme, desimplification du monde, des rapports humains en situations trop tranchées, en noir et blanc.
C'est alors aussi lerisque d'un certain conformisme : la révolution russe, par exemple, n'a pas engendré que des Maïakovski ou desBabel, mais les ternes productions du « réalisme socialiste ».
C'est en ce sens que Robbe-Grillet mettra en gardecontre la subordination de la création littéraire à une cause : « Dès qu'apparaît le souci de signifier quelque chose(quelque chose d'extérieur à l'ait) la littérature commence à rebuler, à disparaître.
»
III.
Prouver ou connaître ?
Mais la littérature peut être aussi un moyen, non de trier dans le réel ce qui est utile à la cause, mais d'explorercelui-ci dans sa complexité, d'explo rer les mécanismes sociaux comme les ressorts et les cavernes de l'âmehumaine.
Elle peut être un moyen de connaissance.Certains écrivains assument ce rôle consciemment.
Il inspire leur projet.
C'est le cas des grands romanciers dusiècle, de Stendhal, de Flaubert ; de Balzac qui, dans les romans de la Comédie humaine, décrit minutieusement lamutation de la société française au début de son siècle ; de Zola qui, dans les Rougon-Macquart, se propose deretracer « l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire ».D'autres écrivains suivent cette démarche d'une manière indirecte.
C'est le cas de Corneille ou de Racine dont lethéâtre décrit les nouveaux rapports de pouvoir qui se mettent en place avec les débuts de l'absolutisme royal ets'interroge sur les fonctions et les images du monarque : harmonisateur du corps social, réconciliateur, dispensateurdu pardon et de la clémence (Don Fernand dans le Cid, Auguste dans Cinna); despote porteur de la vengeance(Orode dans Suréna, le Sultan Amurat dans Bajazet) ; garant de la norme et de la morale mais aussi jouet du destin(Thésée dans Phèdre).Enfin l'écrivain peut vouloir être simplement un témoin, celui qui exprime l'humanité à travers les formes expressivesles plus exactes et les plus séduisantes possibles, avec générosité et exigence dans son métier.
Schiller disait : «Lepoète parfait est celui qui exprime l'ensemble de l'humanité.
» Et Picasso, parlant plus généralement de l'artisteinterroge : « Que croyez-vous que soit un artiste ? Un imbécile qui n'a que des yeux s'il est peintre, des oreilles s'ilest musicien, ou une lyre à tous les étages du coeur s'il est poète, ou même, s'il est boxeur, seulement des muscles? Bien au contraire, il est en même temps un être politique, constamment en éveil devant les déchirants, ardents oudoux événements du monde, se façonnant de toute pièce à leur image.
»
Conclusion.
»
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- Un mathématicien et homme d’esprit du XVIIIe siècle se serait écrié, après avoir vu une tragédie de Racine : « Qu’est-ce que cela prouve ? » A la lumière de cette boutade, vous vous demanderez si une œuvre littéraire doit «prouver » quelque chose pour retenir l’attention.
- L'histoire est bien connue de ce mathématicien qui, au sortir de la représentation d'une pièce de théâtre, s'écria : «Mais qu'est-ce que cela prouve ?» Et il est d'usage de s'indigner de sa naïveté... Vous vous demanderez si ce point de vue est aussi naïf qu'il peut paraître et si, en un certain sens, une oeuvre littéraire n'a pas elle aussi à prouver.
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