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« Un journal n'a pas à suivre ses lecteurs, à leur complaire. S'il se veut à leur service, ce ne saurait être pour flatter leurs tendances naturelles. Il honore son public en refusant de céder aux engouements, à la mode du jour ! » En appuyant votre réflexion sur des arguments et des exemples précis, vous discuterez ces propos de Beuve-Méry —fondateur du journal Le Monde — rapportés par Claude Julien dans Le Monde diplomatique de septembre 1989.

Publié le 22/02/2012

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Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal Le Monde, expose ici des propos utopiques sur le fonctionnement de la presse écrite. Pour lui, un journal ne doit pas s'attacher aux « tendances naturelles » de son lectorat. Il ne doit pas chercher la satisfaction à tout prix et le respect du public se trouve dans le refus « de céder aux engouements, à la mode du jour ».
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« ayant donc vocation « populaire », à partir des années 1830, n'a pas empêché que subsiste durant environ unsiècle, bien qu'elle ait vu progressivement réduites sa place et ses possibilités, une presse ayant pour vocationprincipale d'exprimer les « idées », les « opinions » d'un homme, d'une école ou d'une famille de pensée, ou lespositions d'ensembles constitués (partis, tendances, syndicats).

Ce type de presse pouvait, dans les démocratiesd'Europe occidentale, invoquer l'héritage du vieux combat pour ce que, dès 1644, John Milton appelait « libertéd'expression », pour ce qu'on appellerait au siècle des Lumières « liberté de pensée » et qu'on traduirait en définitiveassez indistinctement par « liberté d'expression » et « liberté de la presse ».

La quasi-disparition de la presse dited'opinion n'empêcherait pas que survive cette idée, ni qu'elle soit reprise par une presse qui, tout entière, s'inscritdans la lignée des journaux à bon marché, cherchant donc à atteindre le plus large public possible, et dont leprototype est américain : c'est The New York Herald en 1835 , Le Petit Journal fondé par Emile de Girardin en France dès 1836, et Le Monde d'Hubert Beuve-Méry.

Là, le journal est un pur produit de la « société de consommation », en ce sens qu'il vise doublement le consommateur, par son contenu et par la transmission dumessage publicitaire (donc des producteurs industriels) sur lequel se fonde son économie. On a alors du mal à imaginer comment le journal, produit industriel répondant à la logique du profit, pourrait faireabstraction de ses lecteurs, éviter de « leur complaire », dans la mesure où ceux-ci sont une part importante, sinonessentielle, du budget de l'entreprise de presse à laquelle il appartient.

De plus, de quelque catégorie qu'elle soitreprésentative, l'opinion des lecteurs ne prend corps, ne s'identifie, ne s'explicite et ne se justifie qu'à travers uneexpression personnalisée, autorisée ou compétente.

Avant d'appartenir au lecteur, l'information du journal connaîtune « mise en forme », pour reprendre l'expression de F.

Terrou dans son ouvrage L'Information, que ce soit dans Le Monde, dans L'Humanité ou dans Le Figaro.

Et c'est cette mise en forme, spécifique à chaque journal, qui fait que l'organe de presse écrite, malgré les propos parfois purement théoriques de son fondateur, comme ici Beuve-Méry,ne peut se permettre dans la pratique de ses pamphlets de refuser de « suivre ses lecteurs », de « leur complaire »,car sinon, c'est lui-même qui perd ses principes et sa tendance ; si un journal perd ses lecteurs, il s'égare aussitôtlui-même ! Cette impuissance à rendre possibles, ou en tout cas envisageables, les propos d'H.

Beuve-Méry réside surtout dansla réalité même de l'actualité.

La presse spécialisée mise à part, où la règle de mise est, par contre, de suivre auplus près le lecteur, la presse dite d'information se trouve confrontée bon gré mal gré à une actualité où il n'y amalheureusement guère de faits « purs » — c'est le cas même des « faits divers » — l'événement n'est saisi quesitué et daté, replacé dans son déroulement et ses épisodes, dans un enchaînement ou une concomitance de faits.La « mise en forme » de cette matière d'information entraîne des rappels historiques, évocations ou descriptionsd'un environnement, propositions d'explication, supputations de conséquences qui amènent, parfois insensiblement, un glissement de la simple relation à l'interprétation.

On sedoute fort que ce « commentaire » laisse une large place aux subjectivités (surtout dans une élaboration « à chaud»), et même s'il n'est évidemment exempt ni d'approximation, ni d'incertitude, ni d'erreur, ce « commentaire » se feratoujours à l'ombre des lecteurs.

Pour témoignage, souvenons-nous du J'Accuse d'Emile Zola, article publié dans L'Aurore en 1898, journal au public plutôt dreyfusard.

Plus proche de nous, pensons aux articles de L'Humanité, qui auscultent l'information avec le prisme de l'idéologie communiste ; même si le nombre de lecteurs est bien inférieuraux membres du Parti communiste au début des années 70, les articles sont bien naturellement étudiés « pourflatter leurs tendances naturelles ». L'opinion qui « décide, tranche, prononce sans avoir jamais traversé le doute ni la modestie » (Amiel), l'opinionindividuelle, mais, plus encore, l'opinion publique, « divinité parfois tutélaire, parfois redoutable » (J.

Folliet),représente un phénomène souvent insaisissable, dont les sondages mêmes ne donnent que des instantanés : sonépaisseur et sa constance n'en sont pas moins assez réelles pour qu'elle se soit imposée de différentes manières à lapresse-média, porteuse de messages, pour que le journal ne puisse faire autrement que « suivre ses lecteurs ». La première raison en est que l'opinion publique a acquis un véritable droit de cité en cette fin de siècle où lescommunications se multiplient.

Elle est devenue une vraie force qui peut faire plier les pouvoirs, du premier au «quatrième », c'est-à-dire la presse, pour reprendre l'expression d'Edmund Burke.

Prolongement du pouvoir, la presseest officiellement reconnue comme l'un des instruments de la stratégie mise en oeuvre par celui-ci : séduirel'opinion, sinon la convaincre, en partie la neutraliser.

On comprend alors que Beuve-Méry a voulu oublier ceprécepte fondamental du journal qui est de suivre au plus près ses lecteurs pour éviter les mouvements deprotestation qui pourraient fort bien faire s'écrouler sur lui-même tout un organe de presse. La concurrence des moyens audiovisuels, radio et télévision, constitue la dernière raison pour qu'un journal suive seslecteurs et leur complaise.

L'impact de ces moyens sur l'opinion n'est plus à démontrer, ni l'intérêt qu'éveille leurcaractère instrumental sur les partis au pouvoir, les divers groupes d'opposition et de pression, ni enfin leur portée «publicitaire » sur les mêmes groupes et sur les affaires.

N'oublions pas que J.F.

Kennedy fut élu grâce à sa «présence » sur le petit écran et qu'en dépit d'une presse de plus en plus réticente le général de Gaulle a maintenupar la télévision des liens habituels avec le peuple français, plus efficacement que par le référendum ; tandis que lavictoire électorale des conservateurs en 1970 allait à l'encontre de toutes les prévisions de la presse britannique ! Si le journal ne veut pas que son public dérive, il a donc tout intérêt à le suivre, quoi qu'en dise H.

Beuve-Méry,d'autant plus que pour un journal, l'ambition de s'adresser à l'opinion publique dans son ensemble ne peut être que théorique.

Même si le résultat des ventes confère d'ailleurs au journal cette supériorité sur unestation de radio ou sur une chaîne de télévision de pouvoir suivre quasi quotidiennement l'évolution de sa clientèle,. »

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