Un homme passe sous la fenêtre et chante. ARAGON, Elsa.
Publié le 22/02/2012
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Un homme passe sous la fenêtre et chante. Nous étions faits pour être libres Nous étions faits pour être heureux Comme la vitre pour le givre Et les vêpres pour les aveux Comme la grive pour être ivre Le printemps pour être amoureux Nous étions faits pour être libres Nous étions faits pour être heureux Le temps qui passe passe passe Avec sa corde fait des nœuds Autour de ceux qui s'embrassent Sans le voir tourner autour d'eux Il marque leur front d'un sarcasme Il éteint leurs yeux lumineux Le temps qui passe passe passe Avec sa corde fait des nœuds On n'a tiré de sa jeunesse Que ce qu'on peut et c'est bien peu Si c'est ma faute eh bien qu'on laisse Ma mise à celui qui dit mieux Mais pourquoi faut-il qu'on s'y blesse Qui a donc tué l'oiseau bleu On n'a tiré de sa jeunesse Que ce qu'on peut et c'est bien peu. ARAGON, Elsa.
SUJET Vous étudierez ce poème sous forme de commentaire composé. Vous pourrez montrer par exemple comment Aragon a su renouveler le thème traditionnel de la fuite du temps.
Introduction ■ « Il ne m'est [amour] que d'Eisa. « ■ Grand nombre de volumes d'Aragon — classique de la poésie du XXe siècle — consacrés à son amour pour sa femme Eisa Triolet, elle-même romancière et poétesse russe, rencontrée le 6 novembre 1928 à Montparnasse. ■ Les yeux d'Eisa. Cantique à Eisa. Le fou d'Eisa. Il ne m'est Paris que d'Eisa ou ici Eisa... ■ Véritable « passion « au sens liturgique ou Cantique des cantiques biblique. ■ Malgré cet amour qui fut toujours heureux jusqu'à la mort d'Eisa, c'est ici le thème du temps qui fuit et qui à défaut de tuer l'amour en transforme les premières merveilles...
«
...
«pour être libres pour être heureux...
», au début et à la fin de la première strophe.
Cercle fermé où se trouventemprisonnées comme à jamais, les images heureuses.
L'imprévoyance des amoureux est soulignée :
— par l'aveuglement, propre même de l'amour : «sans le voir » ;
— par les facéties cruelles du temps.
Cf.
dans Brassens : Saturne (voir dans Formules).
Le temps est présenté comme en voulant plus encore aux amants parce que ceux-ci se leurrent ?
Aragon n'écrit-il pas dans le même recueil Eisa : « Je vais te dire un grand secret
le temps c'est toi » ou dans Cantique à Eisa : « Ensemble nous trouvons au pays des merveilles Le plaisir sérieuxcouleur de l'absolu...
»
Le temps (cycle de l'éternel recommencement) est donc présenté par une notion de cercle, d'encerclement.
«Autour de ceux-là...
»
il «tourne [...] autour d'eux.
»
La répétition sous forme de chiasme montre bien à quel point « ceux-là » (valeur peu précise — universelle) sontfaits prisonniers.
Autre image qui complète celle du lien, donc de captivité implicite, dans «corde»; celle d'une corde qui va pendredonc faire mourir les amants : «qui s'embrassent» cette précision simple semble être ici leur tort essentiel et unique.
Même effet répétitif de part et d'autre de la seconde strophe et utilisation d'un verbe traditionnel pour traduirel'inéluctable destinée de l'homme que rien n'empêchera de mourir : le temps qui passe passe passe...
L'absence de ponctuation — régulière chez Aragon — rend le rythme encore plus fluide ; c/.
Apollinaire :
« Passent les jours et passent les semaines » (Pont Mirabeau)
C'est l'éternelle attitude de l'homme qui croit toujours en la continuité de son bonheur et auquel la vie qui s'écoulerappelle — mais le voit-il ? — qu'il est prisonnier d'une destinée qui conduit tout ce qui est humain à la mort.
Eternelle plainte lyrique aussi que le regret de la jeunesse perdue.
C/.
Villon : «Où est le temps de ma jeunesse ? »
Regret traditionnel également de n'en avoir pas « tiré » toutes les possibilités :
« Ah ! si j'eusse étudié au temps de ma jeunesse folle ? » déplore le même Villon ou Verlaine :
«Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse? » (Sagesse III-6),
avec ici un certain fatalisme supplémentaire
« On n'a tiré de sa jeunesse Que ce qu'on peut...
» L'enjambement, les monosyllabes du second vers, la syntaxevolontairement lourde et plate soulignent le peu de capacités de l'homme.
Car pour mieux montrer l'universalité de la plainte lyrique, Aragon place le poète comme en retrait « sous lafenêtre» des amoureux, «sous la fenêtre» de la vie.
Sentiments éprouvés par le poète certes et communs à tous
(«Ah! insensé qui crois que je ne suis pas toi!» s'exclame Hugo le romantique.)
Mais ici Aragon efface son moi (ce qu'il fait rarement!) et prend en quelque sorte l'aspect du Destin.
Cf.
dansElectre : le Jardinier (Giraudoux), dans Les Mouches : le voyageur qui est d'ailleurs Jupiter (Sartre), dans MadameBovary : la lancinante chanson de l'aveugle, passant lui aussi sous les fenêtres (Flaubert), ou dans le film de CarnéLes Enfants du Paradis, le mendiant vendeur de ballons.
II.
Le renouvellement du thème lyrique.
On pourrait dire encore que la facture d'ensemble du poème : une chanson — l'homme « chante » — esttraditionnelle....
»
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