[Thunder-ten-tronckh] CANDIDE DE VOLTAIRE (lecture analytique)
Publié le 05/07/2011
Extrait du document
Il y avait en Westphalie, dans le château de monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune homme à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple; c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu'il était le fils de la sœur de monsieur le baron, et d'un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser, parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l'injure du temps. Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d'une tapisserie. Tous les chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin; ses palefreniers étaient ses piqueurs; le vicaire du village était son grand aumônier. Us l'appelaient tous Monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes. Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s'attirait par là une très grande considération, et faisait les honneurs de la maison avec une dignité qui la rendait encore plus respectable. Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. Le fils du baron paraissait en tout digne de son père. Le précepteur Pangloss était l'oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et de son caractère. Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes possibles.
Le monde de Thunder-ten-tronckh, où naît Candide, se présente comme un «paradis terrestre« qui servira de référence au cours du récit. Peu à peu le jeune homme va s'affranchir de cet univers qu'au début il juge parfait; en attendant, il accepte sans broncher l'ordre établi, représenté politiquement par le baron et intellectuellement par Pangloss. Des failles cependant apparaissent dans ce monde : elles rendent possible l'évolution du héros et inaugurent le combat que Voltaire entreprend notamment contre le pouvoir nobiliaire et la philosophie optimiste [doctrine du philosophe allemand Leibniz suivant laquelle nous vivons dans le plus heureux des mondes possibles; le mal n'y est qu'une apparence, car il s'inscrit dans la logique d'une «harmonie préétablie« qui justifie tout].
«
• Le registre nobiliaireUn grand nombre de mots du texte décrivent le monde de la noblesse.
«Quartiers» (l.
12) désigne l'ensemble desascendants nobles dont on peut se prévaloir.
Les «palefreniers» (l.
19) sont des valets qui s'occupent du soin deschevaux.
Les «piqueurs» (l.
19) sont les valets de meute pour la chasse à courre.
«Grand aumônier» (l.
20) est letitre du premier aumônier de la cour des rois de France.
«Monseigneur» (l.
21) est en principe une appellationréservée aux princes, aux ducs ou aux gouverneurs des provinces.
Étude des thèmes
• La noblesseNous avons déjà vu comment la structure même du texte remettait en question l'ordre nobiliaire.
Pour Voltaire eneffet, la noblesse est, en cette fin du XVIIIe siècle, un monde figé dans ses préjugés et ses prétentions.
Dans cetexte, il s'attaque en particulier aux généalogies dont les nobles aimaient à s'enorgueillir.
Ainsi Candide est présentécomme un bâtard, parce que son père n'a «pu prouver que soixante et onze quartiers» de noblesse (l.
11).
alors queles Thunder-ten-tronckh en ont soixante douze, comme nous l'apprendrons au chapitre XV.
La démesure du nombreet l'accumulation dans la même phrase (l.
7 à 13) de quatre propositions subordonnées dénoncent la pesanteur et lasotte vanité des préjugés aristocratiques.Voltaire fait par ailleurs de la noblesse du baron et de la baronne un simple titre qui n'est fondé sur aucune grandeurréelle.
Pour cela, il explique leur pouvoir par des raisons absurdes.
Ainsi, la proposition principale : «Monsieur le baronétait un des plus puissants seigneurs de la Westphalie» (l.
14) est aussitôt anéantie par la raison ridicule qui justifiecette puissance : «car son château avait une porte et des fenêtres» (l.
15).
De même, la baronne s'attire «une trèsgrande considération» (l.
24), non pour sa noblesse ou son mérite, mais à cause de ses «trois cent cinquante livres»(l.
23), soit environ cent soixante quinze kilos.
Cet usage absurde de la causalité est très habile, puisqu'il tend àmontrer que les nobles ont un pouvoir seulement fondé sur l'apparence.La noblesse du baron n'existe en fait que dans son esprit.
L'illusion est entretenue par les flatteries de ses valets qui«l'appelaient tous Monseigneur» et qui «riaient quand il faisait des contes» (l.
21-22).
Elle apparaît aussi dans unesérie de phrases parallèles traduisant le passage de la vérité au mensonge : «Tous les chiens de ses basses-courscomposaient une meute dans le besoin [ = en cas de besoin] ; ses palefreniers étaient ses piqueurs; le vicaire duvillage était son grand aumônier» (l.
17-20).
• La philosophie optimisteLa critique de la philosophie optimiste de Pangloss rejoint celle de la noblesse.
Ce que Voltaire attaque en elle, c'estsa prétention à imposer au monde un ordre qui ne repose sur aucune réalité.
L'introduction de «nigo-» dans«métaphysico-théologo-cosmolonigologie» (l.
33) et la longueur interminable du mot discréditent une science quin'est que discours et prétend abusivement tout expliquer.
L'origine du nom Pangloss, «tout en discours», va dans lemême sens.Cette philosophie optimiste a pour principe que «nous vivons dans le meilleur des mondes possibles».
Mais pour enfaire une application systématique, Pangloss est amené à énoncer de faux rapports logiques.
Ses démonstrationssont donc toujours un abus du rapport de cause.
Ainsi, dans la dernière phrase, Pangloss déclare que «le châteaude monseigneur le baron était le plus beau des châteaux» (l.
36-37), parce que nous vivons dans «ce meilleur desmondes possibles» (l.
35-36).
Mais le lien qui unit la cause à la conséquence est tout à fait artificiel et gratuit, carla base du système de Pangloss (nous vivons «dans ce meilleur des mondes possibles») est arbitraire : elle esténoncée sans preuves et imposée par un abus d'autorité intellectuelle.
Le danger s'aggrave encore, quand, à partirde cette base erronée, Panglossioconstruit des raisonnements qui ont l'apparence de la logique et peuvent justifier n'importe quoi.Par la dénonciation de ce dogmatisme, Voltaire s'attaque à la métaphysique [entreprise intellectuelle qui cherche àexpliquer le sens de la vie en le rapportant à des idées comme Dieu, ou à des systèmes comme celui de «l'harmoniepréétablie»].
Pour Voltaire, le danger de la métaphysique est qu'elle fournit du monde une vision abstraite qui netient pas compte des données de l'expérience concrète.Cette vision erronée des choses et cet usage trompeur de la causalité permettent en tout cas à Pangloss decautionner intellectuellement et de rassurer une société nobiliaire qui se repaît d'illusions.
Étude du style
• L'ironieL'ironie est l'arme favorite de Voltaire.
Elle consiste, pour l'écrivain, à faire semblant de croire vraie une propositionmanifestement fausse, de telle manière que le lecteur perçoive un désaccord flagrant entre ce qui est énoncé et lavérité.
Ce moyen permet de tourner en ridicule un adversaire et de faire ressortir, par exemple, le scandale de sesthèses.
Ainsi, lorsque Voltaire écrit à propos de Pangloss : «Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sanscause» (l.
34-35), il feint avec l'adverbe «admirablement» d'être d'accord avec Pangloss, mais c'est pour mieux faireressortir l'ineptie de sa proposition, car c'est une évidence inutile à démontrer «qu'il n'y a point d'effet sans cause».A propos des rapports de cause, nous avons vu comment Voltaire expliquait ironiquement un fait par une raison.
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