THEME : LES INTEMPERIES DANS VOL DE NUIT
Publié le 30/04/2024
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THEME : LES INTEMPERIES DANS VOL DE NUIT
INTRODUCTION
L’entre-deux-guerres a suscité dans la littérature française un regain de thèmes idéalistes se fondant sur
l’héroïsme et l’espoir sans cesse convoités.
Les influences de la guerre ont sans doute marqué les esprits de
beaucoup d’écrivains de cette époque.
On se rappelle toujours la littérature engagée des surréalistes comme
Henri Michaux, René Char, André Malraux, etc., au côté des peuples opprimés du monde.
Et comme un
intrus dans un cercle encore réservé à une élite idéaliste, un romancier atypique, Antoine de Saint Exupery,
vient initier une forme de récit fondé sur l’action et le travail, que beaucoup de critiques littéraires ont
considéré comme une épopée des exploits guerriers de pilotes au service de leur pays et de l’humanité.
En
vérité, Vol de nuit peut être considéré - aussi paradoxal que cela puisse paraître - comme une épopée
autobiographique où Antoine de Saint Exupery à travers les pérégrinations nocturnes et périlleuses de
Rivière, Fabien et Pellerin, a voulu discrètement relater les siennes pour développer sa philosophie de
l’action et du travail autrement dit les intempéries qui feront l’objet de notre étude ; Auparavant, permettezmoi d’abord de clarifier les concepts de l’action et du travail.
I.
Essai de définition de l’action et du travail
A.
Qu’est-ce que l’action ?
Le sens de l’action ne peut être mieux compris que dans sa dimension philosophique.
Sans verser dans
un débat trop confus, polémique et hermétique, on peut simplement se fonder sur une conception
existentialiste de l’action.
En effet dans la philosophie existentialiste, l’action fait jaillir l’homme hors de
lui-même, le pousse à s’assumer et à s’affirmer ; la preuve de l’existence dépend donc de la nature de
l’action accomplie.
Dès lors, comme le pense Jean Paul Sartre, l’homme n’est « rien d’autre que l’ensemble
de ses actes (…) » (L’existentialisme est un humanisme).
Cette conception de l’action n’est pas trop loin de
celle de Saint Exupery qui affirme dans Citadelle : « tu loges dans ton acte même.
Ton acte c’est toi ».
Elle
devient un humanisme, non pas un humanisme qui prend le parti de l’homme, mais celui qui permet à
chacun de se distinguer de l’autre ; En vérité, l’action fait que « l’homme se distingue de l’homme », dit
Saint Exupery (Terre des hommes) comme, du reste, chez Jean Paul Sartre qui pense que « l’homme
n’existe que dans la mesure où il se réalise ».
L’accomplissement de soi par l’action est même une exigence
morale qui permet à Saint Exupery de rencontrer Nietzsche à travers la notion philosophique du
surhumanisme, même s’il reste moins attaché au surhomme Nietzschéen qu’à l’idéal auquel il donne sa vie
par l’action.
A ce propos, De Galembert affirme :
« Il s’agit d’une morale exigeante – qui ne réclame rien moins que la perfection – et
donc aristocratique, au sens étymologique (de ce qui est le meilleur).
(…) l’homme de
Saint Exupery est une sorte de Surhomme »
(Idée, Idéalisme, Idéologie dans les œuvres choisies de Saint Exupery, p.
14)
Il ajoute :
« Et Saint Exupery souffre des mêmes équivoques, puisse que, comme Nietzsche avec le
surhomme, lui aussi prône l’homme supérieur qu’est l’homme »
Mais le sens de l’action, ainsi « surhumanisée », ne saurait ignorer les limites de l’homme qui n’est
pas hors de portée de la mort, par exemple.
En réalité, l’action trouve tout son sens dans sa relation au
travail.
B.
Qu’est ce le travail ?
Dans la philosophie antique, notamment dans celle d’Aristote, le travail est conçu comme une activité
dévalorisante propre à l’esclave dont la mission est uniquement d’être productif.
Cette conception du travail
pose le problème de l’aliénation et de la contrainte, et fait du travail une activité dépréciative d’une nécessité
asservissante.
Par contre, la critique moderne voit la conception du travail évoluer de l’aliénation à une
activité qui permet à l’homme de se libérer des contraintes sociales.
Ainsi la philosophe Hannah Arendt
affirme :
« L'époque moderne s'accompagne de la glorification théorique du travail et elle arrive
en fait à transformer la société tout entière en une société de travailleurs.
C'est une
société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait
plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la
peine de gagner cette liberté »
S’opposent alors deux notions : l’aliénation et la liberté, pour définir le même concept.
Même si
l’homme travaille par nécessité, il reste qu’en acquérant une liberté, celle d’échapper à « l’horreur
économique », par exemple, (pour reprendre la formule Arendt), il en perd une autre, celle de la
nécessité de travailler.
II.
L’action dans VOL DE NUIT
L’interrogation récurrente dans Vol de nuit, c’est le rapport du héros, Rivière et de son équipe, à
l’action qui, au fond, relève du domaine du sacré, voire de l’idéalisme héroïque incarné par Saint Exupery
dont les actions ont toujours été inhérentes à l’assumation de tâches qui aboutissent au don de soi et, qui
restent liées à l’exploit.
A ce propos, Joseph LLapasset affirme :
« Pour Saint-Exupéry le héros c'est celui qui a compris que toute action relève d'un
absolu et que la grandeur du héros c'est de laisser la meilleure part à cet absolu bien que
le fondement de l'absolu lui échappe dans l'obscurité du nihilisme contemporain.
(…)
découvrant sa solitude, le héros loin de la fuir l'assume comme seule source possible de
sa grandeur : et par un paradoxe l'action continuée l'environne de sens et entraîne ses
compagnons de route.
»
Rivière et ses compagnons n’échappent pas à cette conception philosophique et idéaliste de
l’action, ainsi sublimée et érigée au comble du courage et de l’héroïsme suprême.
Il explique dans Vol
de nuit :
« Nous agissons, pensait Rivière, comme si quelque chose dépassait, en valeur, la vie
humaine...
»[1]
Cette volonté de pousser l’action jusqu’à son paroxysme est comme un leitmotiv chez Antoine de Saint
Exupery qui pousse ses personnages à vaincre la peur pour mieux affronter, non seulement les mystères de
la nuit, mais surtout les multiples remparts qui jalonnent leur itinéraire d’aviateur.
Ainsi Pellerin sous
l’emprise de la tempête (p35-37) et Fabien qui lutte encore alors qu’il se sait perdu (p145) gardent lucidité et
sang-froid même face aux éléments déchaînés qui les assaillent.
Cette quiétude face à la mort en fait des
héros de l’ombre.
Leurs actions relèvent du domaine de l’absolu, car chaque action devient le prétexte d’un
combat épique contre des ennemis inconnus, invisibles et imprévisibles (le cyclone, la tempête, le vent, la
neige, etc.) :
« La lutte dans le cyclone, ça au moins, c’est réel, c’est franc » (p.25)
Les actions des personnages sont donc déterminées par leur spontanéité et restent liées à un instinct de
survie ; Car chaque geste peut mener au chaos.
C’est pourquoi le combat de Rivière contre les flammes reste
encore indélébile dans la mémoire du héros de Vol de nuit qui « Se rappelait seulement s’être débattu avec
rage dans les flammes grises » (p.
37)
Sa profonde conviction est que l’action ne naît de rien et ne vise aucun but ; En effet, Rivière pense
que « l’action ne se justifie pas ».
Et dans Vol de nuit, elle est entretenue par l’instinct de survie des pilotes
qui luttent perpétuellement contre le danger devenu permanent.
Finalement, l’action semble s’inscrire dans
une routine guerrière dont l’aboutissement est souvent périlleux.
Ainsi elle devient une morale de l’existence
qui fait jaillir les aviateurs hors d’eux-mêmes et les poussent à se surpasser face aux épreuves.
La disparition
de Fabien en est une parfaite illustration.
C’est pourquoi De Galembert explique :
« Ainsi la morale de Saint Exupery est une morale de l’action (l’action étant envisagée
comme l’ensemble des actes) »
Elle est alors un rempart sûr contre la mort, contre tous les dangers, car elle n’a pas de....
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