« TARTUFFE » DEVANT L’OPINION PUBLIQUE
Publié le 26/10/2017
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Vers 1900 cette discussion dégénérait en une psychanalyse qui s’éloignait de plus en plus du texte. « A quoi rêve Tartuffe dans son lit tout chaud ? » « Que fait Tartuffe lorsqu’il est seul dans sa chambre, sous prétexte de prier ? » Cétait l’époque où Freud bouleversait les conceptions traditionnelles, compliquant tout ce qui, jusqu’alors, avait paru simple.
Ce n’est qu’au xxc siècle que la critique littéraire moderne s’instaura en France et que se dessina une appréciation de Tartuffe qui tint compte, surtout, du texte. On comprit qu’il fallait subordonner les éléments de l’analyse psychologique aux principes de la dramaturgie, que Molière n’était ni philosophe, ni psychanalyste mais en premier lieu homme de théâtre. On s’aperçut qu’aucun des personnages de Tartuffe n’est une entité, que Mme Pemelle, Orgon, Elmire, Dorine, Cléante, Mariane, Damis se complètent les uns les autres. On connaissait l’emprise de la religion ou de la bigoterie sur Orgon : on commença à en examiner les causes multiples et complexes dans l’interaction des personnages.
Aujourd’hui encore, un acteur peut faire de Tartuffe un scélérat grotesque et transparent et ramener ainsi la pièce à sa plus simple dimension. Ou bien il peut suivre la voie ouverte par Louis Jouvet vers un Tartuffe qui éveille l’intérêt sympathique du spectateur. La contradiction (est-ce bien une contradiction?) entre l’apparence de cet homme et son désir sensuel a fait la joie des spectateurs d’hier. A notre époque une obsession de pureté doublée de sensualité peut sembler pathétique, émouvante, tragique. Tout le rôle dépend du choix de l’adjectif.
Quelles idées peuvent venir au spectateur moderne pendant une représentation de Tartuffe ? La pièce est profondément triste : * Molière, dans un moule de comédie raisonnable, a écrit le théâtre le plus noir de la littérature de tous les temps... » (Jean Anouilh). Tartuffe est plutôt un homme moyen qu’un monstre. Aucune de ses actions dans la pièce ne justifie son châtiment.. La tentative de séduction n’a rien d’une preuve de scélératesse... Le rôle d’Elmire dans l’affaire est équivoque, aussi bien dans le premier entretien avec Tartuffe que dans le second... Orgon n’est pas la « victime » de Tartuffe. L’ancien « homme sage » a de telles aptitudes qu’il n’avait nul besoin de Tartuffe pour les déployer... Orgon jouit de la douleur qu’il donne;
« TARTUFFE » DEVANT L’OPINION PUBLIQUE
La cour et la ville attendaient le Tartuffe avant même que la pièce ne fût écrite, car les querelles religieuses avaient touché toutes les classes de la Société. Pascal, catholique dévot, s’était attaqué à d’autres catholiques. Jansénistes et jésuites se faisaient une guerre d’accusations féroces qui troublaient la conscience publique, et dissipaient le climat religieux créé au début du siècle par saint François de Sales, Bérulle, Olier, saint Vincent de PauL
L’Eglise de France n’avait pas réussi à imposer les profondes réformes sociales préconisées par ces esprits éclairés. La cour se bornait à exprimer un hommage des lèvres aux grands principes de la religion, et sous peine d’entrer en conflit avec les rois « très-chrétiens », l’Eglise dut renoncer à prêcher la justice sociale, les vertus familiales, la paix entre les Etats. Les doctrinaires catholiques se rabattirent sur la défense des principes de petite conséquence. La condamnation des vêtements féminins licencieux devint peu à peu la principale leçon de la prédication.
La mode du décolletage abusif fut probablement importée d’Angleterre. Elle commença en France aux environs de 1610. Le 9 mars de cette année, Pierre de L’Estoile note dans son journal : « ..Je prédicateur de Notre-Dame dit qu’il n’y avait aujourd’hui si petite coquette à Paris qui ne montrât ses tétons... » En 1635 le chanoine théologal de Cambrai publia son Couvre-sein féminin; en 1637 parut la troisième, puis la quatrième édition du Discours particulier contre les femmes desbraillées de ce temps par Pierre Juvemay, « Prestre Parisien ». A partir de cette date, sermons, libelles, traités, doctes ouvrages foisonnent contre les « scandaleuses nudités, causes de tant de désordre
«
dans
le christianisme :., car « la vue d'un beau sein n'est pas moins
dangereuse pour nous que celle d'un basilic :., et les « pestes, guerres
et famines qu'on voit souvent en France'> sont la conséquence et le
châtiment des « péchés qui y règnent, lesquels prennent leur naissance
de cette maudite nudité du sein féminin:..
Tous ces écrits étaient
l'œuvre d'ecclésiastiques, et on y décèle une inlassable complaisance
à caresser presque à chaque ligne ces « nudités de gorge :., ces
« épaules :., ces « bras :., ces « seins :.
sur lesquels les censeurs n'en
finissaient pas de jeter le mouchoir.
Dès 1660 Paris était mûr pour
Tartuffe.
En 1669 le roi se faisait le complice de ses sujets en autori
sant la pièce.
Le résultat de la campagne contre les « nudités :.
et les
« mouches :.
fut que l'opinion populaire identifia l'Eglise avec cette
lutte et Tartuffe avec l'Eglise.
D'où, chez les dévots, cette indignation
sincère et cette violente réaction de défense à voir tirer des profon
deurs cela que, justement, ils ne savaient voir.
D'où, chez le grand
public, cette joie à voir traîner dans la boue tous ceux dont le genre
ou la forme de dévotion ne lui plaisait pas.
Si la sensibilité libidineuse du dévot puritain provoquait un rire malin
nourri par des siècles d'anticléricalisme, l'hébétude d'Orgon satisfaisait
un instinct encore plus primitif.
On se réjouissait de voir duper, trom
per, bafouer, mystifier un imbécile.
Ce qui manquait à la tradition,
c'étaient les coups de bâton, appliqués méthodiquement Ils furent
regrettés par les esthéticiens les plus raffinés de l'époque, y compris
Boileau.
Au xvme siècle le catholicisme cessa d'exercer en France une auto
rité morale.
Les convulsionnaires se pâmant et formant pyramide sur
le tombeau du diacre Pâris avaient porté un rude coup au prestige
de la religion.
On connaît le célèbre écriteau du cimetière de Saint
Médard: «De par le Roi défense à Dieu de faire miracle en ce lieu :..
De ce fait une grande source de comique au théâtre tarit.
Mais Molière
était déjà devenu une institution.
Le public, en allant voir Tartuffe,
voulait encore rire à tout prix.
Les acteurs cédèrent à sa sollicitation
latente.
Ils infléchirent la pièce vers la farce : pour voiler les seins de
Dorine, Tartuffe sortait lentement de sa poche un linge grand comme
une nappe.
Il disait : « Couvrez ce sein :.
avec une expression de
concupiscence effrénée.
Il ajoutait aux indications du texte des attou
chements impudents.
Elmire, de son côté, perdait son honnêteté :.
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