TARTUFFE DE MOLIERE : Scène 5 - Acte IV
Publié le 15/06/2011
Extrait du document
Il y a enfin un comique d'allusion ou d'écho, qui joue sur la symétrie des deux grandes scènes de séduction. C'est lorsqu'Elmire, pour égarer d'inévitables soupçons, évoquant la « galerie « d'où a surgi Damis au troisième acte, recommande ironiquement à Tartuffe de regarder « partout de crainte de surprise «, le mettant en garde contre « une affaire pareille à celle de tantôt «, alors que justement Orgon épie, comme « tantôt « le faisait Damis... Par l'effet voulu d'une composition cyclique, elle y revient à la fin de la scène, pour faire diversion, mais surtout pour mettre la conversation sur le sujet de son mari : « Ouvrez un peu la porte, et voyez, je vous prie, / Si mon mari n'est pas dans cette galerie. « (v. 1521-1522). On ne saurait mieux souligner l'effet de « comédie dans la comédie « !
«
que vous m'avez dits, de peur de méprise.
Il ne faut tuer que bien à propos, et sur bonne opinion probable.
Vousm'avez donc assuré qu'en dirigeant bien son intention, on peut, selon vos Pères, pour conserver son honneur etmême son bien, accepter un duel, l'offrir quelquefois, tuer en cachette un faux accusateur et ses témoins avec lui,et encore le juge corrompu qui les favorise; et vous m'avez dit aussi que celui qui a reçu un soufflet peut, sans sevenger, le réparer à coups d'épée.
Mais, mon Père, vous ne m'avez pas dit avec quelle mesure.
—On ne peut guères'y tromper, dit le Père; car on peut aller jusqu 'à le tuer.
C'est ce que prouve fort bien notre savant Henriquez, I,14, c.
10, n.
3, au tr.
1, Ex.
7, n.
48, en ces mots : On peut tuer celui qui a donné un soufflet, quoiqu'il s'enfuie,pourvu qu'on évite de le faire par haine ou par vengeance, et que par là on ne donne pas lieu à des meurtresexcessifs et nuisibles à l'État...Telle était donc bien la casuistique.
La satire des moeurs se fait ici féroce, et cette critique du » jésuitisme » estsans doute plus redoutable encore sur scène que dans l'éloquence pamphlétaire, fût-elle celle de Pascal.
6.
Ici, Tartuffe ne soulève pas le masque, on le lui arrache.
Le dévoilement n'est pourtant pas complet.
Prisonnier dela facticité de son masque, du regard d'autrui, de sa mauvaise foi, de son amour-propre et de l'habitude, Tartuffecontinue de déclarer son désir en termes dévots (v.
1459-1464, 1485-1497).
De son » vrai » personnage, seule laconcupiscence se montre encore ici.
Elle n'est qu'une faible portion de l'appétit sans limites de cette » âme hypocrite », dont l'acte suivant révéleramieux les abîmes de sa noirceur.
7.
Molière ne fait pas sortir Orgon plus tôt pour trois raisons, l'une dramaturgique, l'autre psychologique, la dernièrecomique.
En prolongeant le mutisme d'Orgon, Molière fait durer une scène à effets.
Mais il veut surtout révélerjusqu'à quel degré de dénaturation morale peut porter la tartufferie.
Orgon est tombé sous le charme de l'homme àla langue de bois, dont il a fait son héros.
Il brûle même pour lui d'un amour contre nature.
Il l'aime plus que safemme (v.
186) et « comme une maîtresse ».
Or ce qu'Orgon découvre le foudroie : Tartuffe ne l'aime pas, pire,Tartuffe lui préfère Elmire ! Le mari se retrouve le rival de sa femme auprès de Tartuffe ! Écho ironique de la fin dudeuxième acte, le « dépit amoureux » l'accable, et littéralement » l'assomme » (v.
1530), mais il s'agit cette foisd'un réel désespoir.
Orgon sait son mal sans remèdes : il doit désapprendre à aimer et à servir.
Sous la table acommencé le travail du deuil.
C'est toujours très long...
On peut penser à une raison plus profonde encore.
Commele remarque G.
Ferreyrolles : « C'est en se soumettant à un autre qu'Orgon soumet tous ceux avec qui il lui estdonné de vivre.
» Le fanatisme d'Orgon, et donc son autoritarisme, n'étaient chez lui que le masque del'impuissance.
Son « ressentiment » trouvait une voluptueuse compensation à se subordonner à l'intransigeance d'unmaître : en servant aveuglément une doctrine, ce faible croyait maîtriser le monde.
Il l'a du reste reconnu : » Non,vous demeurerez, il y va de ma vie » (v.
1165).
Comment supporte-rait-il d'entendre Tartuffe dire de lui à Elmire : »C'est un homme, entre nous, à mener par le nez » ? Le voile de l'illusion se déchire impitoyablement, et le patriarchese retrouve petit garçon capricieux et colère !Il y a enfin une raison purement comique : dans sa mise en scène, Elmire a tout prévu, sauf que, sous le tapis,Orgon n'y verrait goutte.
Or, que veut ce champion des apparences ? Voir...
D'où aussi son attente !
8.
Le masque arraché, avec le dévoilement des apparences trompeuses, prennent fin l'aveuglement et la longueméprise d'Orgon.
Ce renversement de la situation est un symbole essentiel, mais cette « reconnaissance , constitueaussi la péripétie majeure de la pièce.
Désormais il faut que Tartuffe démasqué triomphe ou se perde.
Cetévénement incline la pièce vers son dénouement et constitue donc bien la catastrophe de la comédie.
Cependantl'un des périls apparus reste en suspens : qu'adviendra-t-il de la donation, arme redoutable entre les mains del'animal enfin démasqué ?
ÉCRITURE
9.
Les scènes 4, 5 et 6 de ce quatrième acte sont les seules où Elmire et Orgon se retrouvent sinon face à face(sc.
4 et 6), du moins face au problème de leur couple (sc.
5).
Au premier acte, Elmire, .
souffrante », s'est éclipséeà l'arrivée de son mari ; au troisième, Orgon survenant au moment de l'éclat de Damis, Elmire a fui des explicationsgênantes, et s'est encore esquivée, laissant Damis dénoncer seul Tartuffe à son père.Jamais dans la pièce nous ne trouverons Elmire et Orgon réellement en tête-à-tête, chose bien surprenante.
Plusque la femme d'Orgon, « l'honnête » Elmire est le pivot stable autour duquel gravite toute la famille.
Or Molière avoulu que le conflit dramaturgique essentiel soit celui de la famille tout entière, faisant bloc face à l'intrus.
Lecaractère d'Elmire ne figure pas au premier rang de ses préoccupations.
Tout au plus pouvons-nous supposer unecertaine tiédeur entre ces époux d'âge et de moeurs fort dissemblables, ce qui peut incliner à examiner de plus prèsl'amour contre nature qu'Orgon éprouve à l'endroit de Tartuffe...Elmire joue devant trois publics, dont deux sont internes à la scène, Orgon, caché sous la table, et Tartuffe.
Toutcomme Elmire, les spectateurs savent qu'Orgon écoute, ce qu'ignore évidemment Tartuffe.
Au second degré, Elmirejoue donc à l'imposteur, et pour Orgon comme pour la salle, une comédie dans la comédie.
C'est le dispositifclassique par lequel le théâtre comique ménage les effets dont il se nourrit : méprises, quiproquos, et surprises.
Ilpermet au public de jouir des propos à double entente, que le personnage le mieux informé de la situation adresseen apparence à l'interlocuteur visible, en réalité au comparse caché.
C'est ce qui se produit notamment dans la.
»
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