Synthèse littéraire sur La Chute

« l'énonciation.

Le découpage temporel et spatial est purement théâtral, signalé par des sortes de didascalies*.

Le mouvement d'ensemble de l'intrigue, relative­ ment ouvert au début, se concentre peu à peu sur les deux personnages et aboutit au huis clos de la chambre, de l'aveu et du désespoir final.

Le succès des adaptations pour le théâtre confirme cette parenté.

Ill -UN THÈME MAJEUR : LE PROBLÈME DU MAL Le thème du mal hante Camus.

La condition humaine se définit par la pré­ sence du mal, et l'homme cherche une morale, aisée à trouver pour les croyants ; mais peut-on continuer à croire dans un monde où meurent des enfants? Si le père Paneloux s'en accommode -difficilement -dans La Peste, ni Rieux ni le Christ décrit par Clamence ne peuvent l'accepter.

D'où l'infinie tris­ tesse du Christ, dit Clamence, et l'acceptation de son sacrifice.

Les autres thèmes découlent de celui-ci : les hommes inventent le mal - exter­ mination, esclavage, bombes - et sont juges les uns des autres.

Même les belles idéologies ne rencontrent que la trahison, comme celle de Pierre, fondateur de l'Église sur un triple reniement.

Nous esquivons la vérité en entretenant l'illu­ sion sur nous-mêmes : l'avocat des belles causes, qui aide les aveugles dans la rue, ne cherche qu'à flatter sa vanité.

Il trahit ses amis et collectionne les conquêtes féminines par orgueil.

Son dévouement s'arrête devant son égoïsme.

La preuve? Il n'a pas été capable de sauver une femme qui se noyait et dont il entend encore le cri d'appel, et, dans un camp où ses compagnons de captivité l'ont élu« pape», il a bu l'eau d'un camarade agonisant.

Il a pris conscience de sa duplicité et n'a pu supporter cette culpabilité.

II est donc devenu juge-pénitent : en organisant le récit de ses fautes, il pousse l'interlocuteur pris au piège à se confesser à son tour.

Le voilà à nouveau au pouvoir, sur un monde négatif, nouveau Satan.

IV -CLAMENCE-CAMUS Bien des traits physiques, biographiques et moraux sont communs à Cla­ mence et à son créateur.

Clamence est séduisant, beau parleur, mais s'essouffle dans l'émotion, bien que n'ayant pas, lui, les poumons diminués par la maladie.

Il aime les cimes, goût que Camus revendique dans une lettre.

Il collectionne les aventures féminines, aime passionnément le football et le théâtre.

Enfin, il observe les hommes avec clairvoyance et attention.

Il est exigeant pour la morale, et souffre de la présence universelle et toute-puissante du Mal.

Mais Camus n'a jamais eu cette attitude sarcastique et destructrice.

Si elle fut une tentation réelle, elle ne fut pas systématisée.

Il n'est pas fils d'officier, loin de là ; au contraire, son origine modeste l'éloignait fondamentalement des autres intellectuels parisiens.

Comme Rousseau, il n'est pas du sérail, né en Algérie, dans un milieu ouvrier et non bourgeois.

Il suffit d'observer la place qu'occupent les livres dans l'enfance de Sartre et de Camus, telle qu'elle apparaît dans Les Mots, du premier, et dans Le Premier Homme : d'un côté, un grand-père initiateur et, de l'autre, une mère hésitante et analphabète, évoquée dans une des plus belles pages qu'un fils puisse consacrer à sa mère.

Clamence est un des rares héros camu­ siens qui n'ait pas une mère qui l'attend, assise, les mains à plat sur les genoux.

Enfin, ce héros du brouillard est bien trop négatif pour être Camus.

L'homme du soleil ne renonce pas ; le Discours de Suède le proclame : l'artiste doit se battre pour les nobles causes et garder sa foi exigeante pour les hommes.. »