Synthèse littéraire - Fin de partie de Samuel Beckett
Publié le 14/09/2018
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UNE COMÉDIE ET DES ACTEURS
Il est un fil qui court tout au long de la pièce, et qui laisse à penser que tout ce qui s'y passe n'est que comédie. En anglais, Hamm actor signifie cabotin, et de fait, Hamm fait montre de qualités avérées de comédien. Hamm inaugure son premier monologue par ces mots: «À moi de jouer\".
En plusieurs endroits, apparaît dans le dialogue le vocabulaire de la comédie: « Un aparté con! C'est la première fois que tu entends un aparté. J'amorce mon dernier soliloque, (page î02). La pièce se clôt sur cette affirmat1on qu'il y joue un rôle: \" Puisque ça se joue comme ça ... jouons comme ça ... , (page 1 12). Il n'est pas le seul. Nell et Nagg se livrent chaque jour à la comédie de la bagatelle. Clov se plaint de l'absurdité de la comédie de l'inspection réitérée chaque jour. Il supplie Hamm, qui refuse de cesser de jouer. On voit là que les références à la pièce en tant que pièce sont multiples. Les personnages ont conscience de leur rôle, ils font leurs adieux et se remercient comme deux comédiens qui se quittent après la représentation :
Clov. - \"C'est ce que nous appelons gagner la sortie. Hamm. - Je te remercie, Clov.
Clov. - Ah pardon, c'est moi qui te remercie, (page 109).
Si leur existence est une comédie, c'est parce qu'ils font semblant, parce que ce que nous avons vu était la dernière (ce n'est même pas sûr) représentation d'un scénario presque immuable, recommencé chaque jour dans un dénuement croissant, cela dans le seul but de différer la fin. Hamm sait bien que la terre est morte, qu'il n'y a pas de lumière, qu'il n'entendra pas la mer, que tout ce qu'il impose à Clov est inutile et absurde.
OBSESSION DE LA MORT
Le temps dans la pièce n'est pas linéaire. De nombreux passages ouvrent sur le passé et le futur des personnages (souvenirs de Nagg et Nell, histoire de Hamm, malédiction, prédiction). Leur vie nous est restituée dans une durée qui déborde largement le cadre temporel étroit de la représentation. Ce mouvement par lequel se trouvent juxtaposés les états lointains de l'existence rendent particulièrement sensible l'action de la mort.
Le leitmotiv des ' Il n'y a plus »# fait paraître chaque objet dans la lumière d'un passé d'abondance. De même, chaque personnage est la figure détériorée, résiduelle, d'une ancienne vitalité. Le présent n'est jamais donné simplement mais toujours habité des regrets du passé («Ah, hier••, «autrefois») et hanté par la terreur du néant qu'il porte en lui, qui résonne dans chaque évocation du motif obsessionnel de la fin. Beckett a su créer une épaisseur du temps, à la fois mémoire et présage, où la vie est une éternité de souffrance.

«
Dans
un tel univers la personne n'est plus qu'un rôle :
Clov.
-"À quoi est-ce que je sers ?
Ha mm.
-À me donner la réplique , (page 79).
Clov est la réplique du rôle qui constitue l'existence de Hamm, le
miroir nécessaire à la perception qu'Hamm a de son existence.
Hamm
ne s'appréhende que comme objet de la perception de Clov.
Mais du
même coup, la personne se trouve dégradée en personnage, l'acteur est
dénué d'existence réelle.
Hamm dit: «J e n'ai jamais été là ...
Absent tou
jours ,, (page 97).
C'est l'absence de l'acteur dont la personne est aliénée
dans le rôle.
L'acteur est une ombre, ouvre un gouffre entre son être et
ses man ifestati ons, sa personne et son personnage.
L'absurdité fait de
l'h omme un panti n.
BIBLE
Les allusions ponctuelles à la religion sont nombreuses dans la pièce.
Pour la plupart, elles sont irrévérencieuses ou dénonciatrices.
La ren
contre de Hamm et du gueux a lieu la veille de Noël.
La satir e est ici
cruelle, s'en prend à l'hypocrisie des pratiques religieuses: le nanti dans
son refuge, trop occupé par les prépa ratifs de célébration de la nais
sance du Sauveur pour perdre son temps avec le gueux à demi mort de
faim : «A llons, allons, qu'est-ce que vous me voulez à la fin, je dois allu
mer mon sapin ,, (page 72).
Les paroles du Christ sont dénaturé es: "L échez-vous les uns les
autres ''· La prièr e est caricaturée, elle aboutit au constat que Dieu, «le
sala ud'', n'e xiste pas.
Pourtant l'élan vers cet inexistant demeure et
man ifeste un homme incomplet, inapte au bonheur, condamné à mourir
et qui ne voit plus dans la création qu'un camp de la mort.
Cette image
d'u n monde où règne la mort est la vision qui domine la pièce.
Il semble
que Beckett se soit inspiré du texte de la Genèse au moment où Dieu
sépare la lumi ère des ténèbres, les eaux et la terre.
La réplique du tailleur
à l'A nglais fait explicitement référence à la Création, une création ratée
que le tailleur désigne avec dégoût.
Mais Beckett fait de sa pièce non
pas la naissance de l'humanité, mais son extinction.
Comme le dit
Hamm, «la fin est dans le commencement '', Beckett les fait coïn cider, et
Hamm prenant à contre-pied le message divin qui ordonne aux hommes
de se mu ltipli er, se fait le dépeupleur, son dégoût de la vie et de la Créa.
»
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