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SURRÉALISME (courant littéraire)

Publié le 15/10/2018

Extrait du document

SURREALISME. De 1919, date de l’écriture par André Breton et Philippe Soupault des Champs magnétiques, jusqu’en 1969, date de la dissolution du groupe par lui-même, s’est développé, en France, avec des ramifications à l’étranger — ou des « reconnaissances » a posteriori —, un mouvement poétique et plastique original qui a pris le nom de surréalisme en 1923-1924 — d’abord pour qualifier les proses automatiques, alors abondamment produites —, et dont la figure centrale, résistant aux avatars successifs du groupe, a été le poète André Breton (1896-1966).
 
Le terme est emprunté à Apollinaire, qui l’a employé pour désigner l’invention métaphorique pratique : « Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue, qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir ». Ce double mouvement, imaginaire et pratique — qui part des mots et s’inscrit dans le réel —, est bien au cœur du projet surréaliste, tout au long de son histoire. Le mot surréalisme, cependant, recouvre aujourd’hui trop souvent une nébuleuse confuse par excès de sens. En utilisant l’adjectif pour désigner des oeuvres ou des conduites qui reflètent tantôt de l'onirisme, tantôt une certaine érotique, ou encore de l’humour noir, parfois du fantastique, on brouille les contours d’un champ complexe et même composite. Mais souvent aussi, une opposition trop forte est établie entre une « avant-garde » française, qui serait représentée par Georges Bataille ou Antonin Artaud, et le surréalisme de tendance bretonienne. Il est de fait que, dans le corps du mouvement surréaliste français, semble s’être enkystée, dès l’origine, une avant-garde qui prônait surtout la productivité de l’arbitraire (moins les chances incertaines d’un « impossible » quasi chosifié chez Bataille que celles de l’incipit chez Aragon — comme le dit admirablement Je n’ai jamais appris à écrire ou les Incipit, 1969) et qui concevait un temps discontinu : catastrophique. La richesse extrême du premier surréalisme a rendu difficile le clivage de l’après-guerre, où une avant-garde poétique et plastique a tendu tardivement à se développer de façon autonome, en s’opposant à un surréalisme taxé d’arrière-garde.
 
En fait, à la suite de Breton, le courant majoritaire du surréalisme français se fonde sur une conception anago-giquc du temps et propose une résurgence originale de pensée « participationnelle » — ou pensée « magique »
 
— : participation aux activités collectives d’un groupe, comme relation de participation de l’homme au monde. C’est pourquoi ce mouvement doit être abordé par son mode de vie plutôt que par ses œuvres ou même ses hommes. La meilleure plongée dans le surréalisme peut venir d’une lecture, même au hasard, dans ses revues (Littérature et surtout la Révolution surréaliste, le Surréalisme au service de la révolution, Minotaure, VVV,.., des périodiques moins célèbres, mais non moins fascinants : Néon, la Brèche, l’Archibras...); cette plongée peut être suivie d’une lecture de ses tracts et de ses déclarations collectives, tels qu’ils s’offrent aujourd’hui en deux tomes, de consultation aisée (Éd. Losfeld); elle doit enfin porter une certaine attention aux « environnements » et « actions » qui toujours accompagnèrent ses expositions : non point activités marginales, mais rivages où le groupe ancre ses projets.
Dans ce flux, les activités, en particulier les activités esthétiques, apparaissent comme de simples « moraines » (voir Pierre Naville, dans le n° 3 de la Révolution surréaliste, 1925) ou comme les produits d’un « bricolage » au sens fort que Claude Lévi-Strauss donne à ce terme. La permanence est apportée par le groupe, dont les limites sont fortement soulignées : les exclusions (nombreuses et retentissantes) et les réintégrations (plus rares) ne sont pas les moments regrettables ou épisodiques d’une histoire qui pourrait s’écrire sans elles; elles en sont une composante essentielle. Par ce moyen, c’est à une « exaspération » (Julien Gracq) des limites du groupe que l’on procède, indispensable si le groupe a bien pour rôle de limiter, de borner le champ aimanté où s’affinent et s’aiguisent les sensibilités, où se rodent les idées.
 
On lira plus loin une chronologie, nécessairement sommaire, des épisodes marquants de l’histoire du groupe et de ses activités : nous serons plus libres ainsi de nous en tenir à une définition un peu plus diversifiée. Quelles sont donc les valeurs essentielles par rapport auxquelles se fixe le projet surréaliste?
Les valeurs offensives : le jeu de l'imaginaire et du langage
 
• Le surréalisme est-il un humanisme? Aux yeux du surréalisme, la personne humaine est incommensurable car irréductiblement subjective. Si l’humanisme est en lutte contre tout ce qui dépasse l’homme — Dieu, la matière, la raison —, alors le surréalisme peut être dit humaniste — et l’on suivra en cela le philosophe Ferdinand Alquié, à condition d’abandonner ce que l’usage a apporté à la signification de ce terme en le chargeant de modération et de confort intellectuel.
 
Dieu : bien loin de s’en tenir à un anticléricalisme, le surréalisme se pose comme antithéologique, d’où la raideur contre ceux qui, comme Michel Carrouges (en 1951), avaient tenté de définir le mouvement comme compris dans les rets d’une théologie négative, et si un hommage est rendu par Breton à Maître Eckhart (« Maître Eckhart mon maître dans l’auberge de la raison... »), c’est justement par une rationalisation de sa pensée.
 
La matière, posée comme une chose en soi : si le surréalisme se dit matérialiste, c’est de façon « dialectique » (troisième partie des Vases communicants, 1932); son point de départ est non pas l’homme lui-même, mais un certain rapport entre l’homme et l’objet. D’où un certain monisme.
 
La raison, dans la mesure où elle serait transcendante à l’homme : qu’on se reporte aux attaques contre la logique dans le premier Manifeste (1924). Le surréalisme, qui pourfend toutes les formes de positivisme, veut « rendre à la raison humaine sa fonction de turbulence et d’agressivité » (Gaston Bachelard, cité en 1937 par Éluard) : une raison qui, dès lors, n’exclurait pas l’irrationnel.

« révolte devant les conditions faites à la liberté humaine, l'insolite, l'Éros.

• Sur la révolte, en particulier en son sens politique, les positions successives des surréalistes ont été expo­ sées [voir BRETON] : elles tentent, on le sait, de concilier Marx avec les utopistes (Charles Fourier), tout en gar­ dant intact le rêve libertaire.

La révolution des esprits et celle de la société sont inscrites dans la fondation même du surréalisme, mais jamais les surréalistes n'admettent de subordonner la première à la seconde.

Le dialogue avec le Parti communiste français fut nourri, entre 1925 et 1935, mais les difficultés furent grandes avec ceux qui choisirent un engagement extrême : d'o~ la rupture du mouvement avec Aragon en 1932, avec Eluard en 1938, avec Tzara après la guerre.

Or, dans le jeu tendu entre la subjectivité et l'insertion sociale de l'individu, il s'agit d'inventer de nouveaux modes de penser : le surréalisme est allé jusqu'à tenter de créer un mythe nouveau.

Puisque, dans les sociétés dites primitives, les mythes sont la projection incon­ sciente de l'explication du système social et cosmogoni­ que, on peut tenter de former des modèles mythiques, à l'appel desquels répondraient des sociétés nouvelles.

Projet grandiose, pour lequel seules des préfaces furent écrites : «Préface à une mythologie moderne », d'Ara­ gon, dans le Paysan de Paris (1924), ou évocation du mythe des Grands Transparents dans Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non, de Breton (1942).

• Percevoir l'insolite, c'est percevoir un décalage entre le prévu et le donné, mais ce décalage est toujours perçu dans le surréalisme comme un excé,dent, grâce auquel devient efficace le merveilleux ( « Equation de l'objet trouvé», dans Documents 34, repris dans l'Amour fou, texte III).

C'est que l'objet trouvé objective mon désir.

Il y a là un retournement du système causal tel qu'il fonctionne dans le discours rationnel quand ce der­ nier prend ses modèles dans les sciences mathématiques : plus proche de la conception de la cause dans les modèles physico-biologiques, le hasard « objectif» («rencontre d'une finalité externe et d'une finalité interne», l'Amour fou, et « Limites non frontières du surréalisme », 1937, repris dans la Clé des champs, 1953) accorde une part essentielle à l'inconscient et à sa prise en charge par l'imaginaire.

De là tout un système de pensée lyrique, qui éloigne fortement le surréalisme de la pensée freudienne (dont on pouvait le rapprocher par la référence à l'« in­ conscient »).

« Imagination n'est pas don mais par excel­ lence objet de conquête » ( « Il y aura une fois », dans le Surréalisme au service de la révolution, n° 1, 1930).

Tout tient à la relation entre le vécu et le signe.

A l'origine, un signe sans signification : le nom de Nadja, les mots du poème « Tournesol », le chiffre 22 sur la fenêtre de la prison où Benjamin Péret est enfermé en 1940.

Plus tard, les événements donnent sens au signe : la rencontre de Suzanne donne à «Nadja» le sens : le prénom Nadja dérive de nadejda qui, en russe, signifie « espérance »; la rencontre de Jacqueline illustre« Tournesol»; Benjamin Péret est libéré le 22 juillet.

L'écart temporel qui sépare le signe de son sens est une sorte d'instant élargi, une «zone événementielle», bourrée de désir (ou de son envers, la peur).

Toute la magie surréaliste consiste donc à faire se lever les signes : « appâts » qui sont des appels à un changement de vie (l'Amour fou); rêves, racontés dans les revues avec un scrupule qu'on a pu dire scientiste, et analysés parfois (les Vases communicants, première partie), mais déchiffrés précisément comme des signes (l'impératif de vivre, à la différence du déchiffrement freudien); signes écrits de l'écriture automatique, préju- gée continue dans l'inconscient de l'homme, et dont la fonction est complexe (manifester la créativité dans toute sa profusion et, par un procédé de « dumping », mettre l'écrivain professionnel à bas de son piédestal; fournir la matière d'une autoanalyse et unifier la personnalité du scripteur; mais aussi dessiner les linéaments d'un désir et, par là, d'un avenir).« Dans l'écriture automatique, ce n'est pas à proprement parler le mot qui devient libre, mais le mot et ma liberté ne font qu'un» (Maurice Blan­ chot, la Part du feu).

• Être disponible aux sollicitations de l'Éros, c'est attendre de l'aventure un surcroît d'être, par une transgression des tabous qui les annulerait (l'Amour fou, v).

L'érotique surréaliste, fondée sur l'idée que l'amour ouvre à la liberté, donne toute sa place à la sexualité ainsi qu'aux «perversions ».

Mais la défense de Sade reste partout ambiguë.

Les surréalistes admettent-ils l'acte sadique? En fait, par l'éloge lyrique de Sade, ils signifient plutôt la profonde intrication de la violence et de l'amour (même si chez Robert Desnos- la Liberté ~u l'Amour! -, dans certains textes d'Éluard [voir ELUARD], ou, plus tard, chez Jean Benoît, la célébration de Sade va loin).

Chez eux, un autre climat se découvre souvent : celui de l'indifférence- le genre « sec » chez Aragon (le Libertinage) ou chez Marcel Duchamp, plus mystique chez Breton ou Benjamin Péret (préface à l'An­ thologie de l'amour sublime).

Le tabou à transgresser est aussi celui du silence (voir l'enquête Recherches sur la sexualité, dans la Révolution surréaliste, n° 11, 1928), bien que, plus tard, le groupe ait pris position avec force contre l'éducation sexuelle à l'école, au profit de l'initia­ tion, qui préserve dans l'amour et dans la sexualité toute leur charge émotive.

Le modèle intérieur et sa prégnance dans l'art La pensée surréaliste tend à inverser le principe du réalisme, qui fonde l'art occidental en bon nombre de ses formes.

Partir du « réel » pour en donner une vision sublimée : l'erreur est grossière.

Déjà le jugement de réalité doit être critiqué.

La perception la plus banale est sélective, infiniment subjective, et déjà lyrique.

Tel est le regard que nous portons sur le monde des villes, où des lieux nous sollicitent plus que d'autres, ou sur les choses :dans l'objet perçu s'inscrit déjà l'usage que l'on peut en faire.

Nul « dualisme de la perception et de la représentation » (Breton), puisque tout est repré­ sentation.

Qu'un artiste doive se soumettre au conditionnement de la culture, lequel s'exprime dans l'esthétique majori­ taire de son temps, voilà qui paraît donc le comble de l'absurde.

« L'œil existe à l'état sauvage », lance en liminaire le Surréalisme et la Peinture de Breton (1928, 1947, 1965).

Dénués de valeur sont les critères formels que notre civilisation dresse comme un barrage devant l'art, par le moyen des marchands de tableaux et des critiques.

Ce que l'esthétique traditionnelle examine dès lors comme des productions marginales, où se révèlent des carences (1' art « populaire » ou « naïf », 1' art des primitifs, l'art des enfants, l'art des fous), le surréalisme le place au centre de sa recherche.

Certes, le cubisme et Apollinaire avaient admiré la statuaire africaine, mais en tant que technique de figuration.

Les surréalistes admi­ rent dans les arts «primitifs» (océaniens surtout, indiens, polynésiens ...

) une création authentiquement collective et magique, à laquelle seule notre émotion nous permet d'accéder par sympathie.

Les psychiatres, dès le début des années 20, s'étaient intéressés à. »

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