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Suffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ?

Publié le 20/03/2010

Extrait du document

A - François René de Chateaubriand [1768-1848], Mémoires d'outre-tombe, livre premier, chapitre III (manuscrit de 1847).  B - Jean-Jacques Rousseau [1712-1778], Les Confessions, livre premier, 1771.  C - Georges Perec, [1936-1982], W ou le Souvenir d'enfance, © Denoël, 1975.  D - Nathalie Sarraute [1900-1999], Enfance, © Éditions Gallimard, 1995.    Texte A : François René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe  [Le chapitre III du livre premier est daté par l'auteur du 31 décembre 1811.]  La maison qu'habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étroite de Saint Malo, appelée la rue des Juifs : cette maison est aujourd'hui transformée en auberge. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s'étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J'eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades. J'étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues soulevées par une bourrasque annonçant l'équinoxe d'automne, empêchait d'entendre mes cris : on m'a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s'est jamais effacée de ma mémoire. Il n'y a pas de jour où, rêvant à ce que j'ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m'infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j'ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées.    Texte B : Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions  [Jean-Jacques Rousseau est âgé de dix ans quand il est mis en pension chez le pasteur Lambercier, à Bossey, près de Genève.]  Près de trente ans se sont passés depuis ma sortie de Bossey sans que je m'en sois rappelé le séjour d'une manière agréable par des souvenirs un peu liés, mais depuis qu'ayant passé l'âge mûr je décline vers la vieillesse, je sens que ces mêmes souvenirs renaissent tandis que les autres s'effacent, et se gravent dans ma mémoire avec des traits dont le charme et la force augmentent de jour en jour ; comme si, sentant déjà la vie qui s'échappe, je cherchais à la ressaisir par ses commencements. Les moindres faits de ce temps-là me plaisent par cela seul qu'ils sont de ce temps-là. Je me rappelle toutes les circonstances des lieux, des personnes, des heures. Je vois la servante ou le valet entrant dans la chambre, une hirondelle entrant par la fenêtre, une mouche se poser sur ma main, tandis que je récitais ma leçon : je vois tout l'arrangement de la chambre où nous étions ; le cabinet de M. Lambercier à main droite, une estampe représentant tous les papes, un baromètre, un grand calendrier; des framboisiers qui, d'un jardin fort élevé dans lequel la maison s'enfonçait sur le derrière, venaient ombrager la fenêtre, et passaient quelquefois jusqu'en dedans. Je sais bien que le lecteur n'a pas grand besoin de savoir tout cela ; mais j'ai besoin, moi, de le lui dire. Que n'osé-je lui raconter de même toutes les petites anecdotes de cet heureux âge, qui me font encore tressaillir d'aise quand je me les rappelle. Cinq ou six surtout... composons. Je vous fais grâce des cinq, mais j'en veux une seule ; pourvu qu'on me la laisse conter le plus longuement qu'il me sera possible, pour prolonger mon plaisir.    Texte C : Georges Perec, W ou le Souvenir d'enfance  J'ai trois souvenirs d'école.  Le premier est le plus flou : c'est dans la cave de l'école. Nous nous bousculons. On nous fait essayer des masques à gaz ; les gros yeux de mica, le truc qui pendouille par-devant, l'odeur écoeurante du caoutchouc.  Le second est le plus tenace : je dévale en courant - ce n'est pas exactement en courant : à chaque enjambée, je saute une fois sur le pied qui vient de se poser ; c'est une façon de courir à mi-chemin de la course proprement dite et du saut à cloche-pied très fréquente chez les enfants, mais je ne lui connais pas de dénomination particulière -, je dévale donc la rue des Couronnes, tenant à bout de bras un dessin que j'ai fait à l'école (une peinture même) et qui représente un ours brun sur fond ocre. Je suis ivre de joie. Je crie de toutes mes forces : « Les oursons ! Les oursons ! «  Le troisième est, apparemment, le plus organisé. À l'école on nous donnait des bons points. C'étaient des petits carrés de carton jaunes ou rouges sur lesquels il y avait d'écrit : 1 point, encadré d'une guirlande. Quand on avait eu un certain nombre de bons points dans la semaine, on avait droit à une médaille. J'avais envie d'avoir une médaille et un jour je l'obtins. La maîtresse l'agrafa sur mon tablier. À la sortie, dans l'escalier, il y eut une bousculade qui se répercuta de marche en marche et d'enfant en enfant. J'étais au milieu de l'escalier et je fis tomber une petite fille. La maîtresse crut que je l'avais fait exprès ; elle se précipita sur moi et, sans écouter mes protestations, m'arracha ma médaille.  Je me vois dévalant la rue des Couronnes en courant de cette façon particulière qu'ont les enfants de courir, mais je sens encore physiquement cette poussée dans le dos, cette preuve flagrante de l'injustice, et la sensation cénesthésique (1) de ce déséquilibre imposé par les autres, venu d'au-dessus de moi et retombant sur moi, reste si fortement inscrite dans mon corps que je me demande si ce souvenir ne masque pas en fait son exact contraire : non pas le souvenir d'une médaille arrachée, mais celui d'une étoile épinglée (2).  (1) Sensation organique, due à une impression générale d'aise ou de malaise.  (2) Allusion à l'étoile jaune que Georges Perec, qui était juif, dut porter pendant l'Occupation.    Texte D : Nathalie Sarraute, Enfance  [Enfance se présente comme un dialogue entre Nathalie Sarraute et elle-même.]  Exactement à gauche des marches qui montent vers la large allée conduisant à la place Médicis, sous la statue d'une reine de France, à côté de l'énorme baquet peint en vert où pousse un oranger... avec devant moi le bassin rond sur lequel voguent les bateaux, autour duquel tournent les voitures tapissées de velours rouge traînées par des chèvres... avec tout contre mon dos la tiédeur de sa jambe sous la longue jupe... je n'arrive plus à entendre la voix qu'elle avait en ce temps-là, mais ce qui me revient, c'est cette impression que plus qu'à moi c'est à quelqu'un d'autre qu'elle raconte... sans doute un de ces contes pour enfants qu'elle écrit à la main sur de grandes pages couvertes de sa grosse écriture où les lettres ne sont pas reliées entre elles... ou bien est-ce celui qu'elle est en train de composer dans sa tête... les paroles adressées ailleurs coulent... je peux, si je veux, les saisir au passage, je peux les laisser passer, rien n'est exigé de moi, pas de regard cherchant à voir en moi si j'écoute attentivement, si je comprends... Je peux m'abandonner à cette lumière dorée, ces roucoulements, ces pépiements, ces tintements de clochettes sur la tête des ânons, des chèvres, ces sonneries des cerceaux munis d'un manche que poussent devant eux les petits qui ne savent pas se servir d'un bâton...  - Ne te fâche pas, mais ne crois-tu pas que là, avec ces roucoulements, avec ces pépiements, tu n'as pas pu t'empêcher de placer un petit morceau de préfabriqué - c'est si tentant - tu as fait un joli petit raccord, tout à fait en accord...  - Oui, je me suis peut-être un peu laissée aller...  - Bien sûr, comment résister à tant de charme... à ces jolies sonorités... roucoulements... pépiements...  - Bon, tu as raison... mais pour ce qui est des clochettes, des sonnettes, ça non, je les entends... et aussi des bruits de crécelles, le crépitement des fleurs de celluloïd rouges, roses, mauves, tournant au vent...   

C'est une évidence, presque un truisme, d'affirmer qu'un écrivain puise dans son expérience personnelle pour rédiger son oeuvre. Ainsi Flaubert pouvait s'écrier : « Madame Bovary, c'est moi «. Il signifiait par là qu'au coeur de sa fiction c'était un morceau de sa vie qui était livré au lecteur, que son personnage avait été bâti avec ses souvenirs.  Peut-on pour autant prétendre qu'il suffit de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ? La question pourrait être reformulée dans les termes suivants : le récit autobiographique peut-il se satisfaire du matériau brut fourni par la mémoire ?  Il convient d'abord de préciser ce que recouvrent les termes « se souvenir « et « récit autobiographique «. Ensuite il sera possible  d'examiner comment le travail de la mémoire est nécessaire à ce même récit autobiographique, sans pour autant se révéler suffisant.   

« non pas le souvenir d'une médaille arrachée, mais celui d'une étoile épinglée (2).(1) Sensation organique, due à une impression générale d'aise ou de malaise.(2) Allusion à l'étoile jaune que Georges Perec, qui était juif, dut porter pendant l'Occupation. Texte D : Nathalie Sarraute, Enfance[Enfance se présente comme un dialogue entre Nathalie Sarraute et elle-même.]Exactement à gauche des marches qui montent vers la large allée conduisant à la place Médicis, sous la statued'une reine de France, à côté de l'énorme baquet peint en vert où pousse un oranger...

avec devant moi le bassinrond sur lequel voguent les bateaux, autour duquel tournent les voitures tapissées de velours rouge traînées par deschèvres...

avec tout contre mon dos la tiédeur de sa jambe sous la longue jupe...

je n'arrive plus à entendre la voixqu'elle avait en ce temps-là, mais ce qui me revient, c'est cette impression que plus qu'à moi c'est à quelqu'und'autre qu'elle raconte...

sans doute un de ces contes pour enfants qu'elle écrit à la main sur de grandes pagescouvertes de sa grosse écriture où les lettres ne sont pas reliées entre elles...

ou bien est-ce celui qu'elle est entrain de composer dans sa tête...

les paroles adressées ailleurs coulent...

je peux, si je veux, les saisir au passage,je peux les laisser passer, rien n'est exigé de moi, pas de regard cherchant à voir en moi si j'écoute attentivement,si je comprends...

Je peux m'abandonner à cette lumière dorée, ces roucoulements, ces pépiements, ces tintementsde clochettes sur la tête des ânons, des chèvres, ces sonneries des cerceaux munis d'un manche que poussentdevant eux les petits qui ne savent pas se servir d'un bâton...- Ne te fâche pas, mais ne crois-tu pas que là, avec ces roucoulements, avec ces pépiements, tu n'as pas put'empêcher de placer un petit morceau de préfabriqué - c'est si tentant - tu as fait un joli petit raccord, tout à faiten accord...- Oui, je me suis peut-être un peu laissée aller...- Bien sûr, comment résister à tant de charme...

à ces jolies sonorités...

roucoulements...

pépiements...- Bon, tu as raison...

mais pour ce qui est des clochettes, des sonnettes, ça non, je les entends...

et aussi desbruits de crécelles, le crépitement des fleurs de celluloïd rouges, roses, mauves, tournant au vent... Dissertation Devoir type bac : Suffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ?Vous répondrez à cette question en un développement composé prenant appui sur les textes du corpus, les textesque vous avez étudiés en classe et vos propres lectures. Introduction C'est une évidence, presque un truisme, d'affirmer qu'un écrivain puise dans son expérience personnelle pour rédigerson oeuvre.

Ainsi Flaubert pouvait s'écrier : « Madame Bovary, c'est moi ».

Il signifiait par là qu'au coeur de safiction c'était un morceau de sa vie qui était livré au lecteur, que son personnage avait été bâti avec ses souvenirs.Peut-on pour autant prétendre qu'il suffit de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ? La question pourraitêtre reformulée dans les termes suivants : le récit autobiographique peut-il se satisfaire du matériau brut fourni parla mémoire ?Il convient d'abord de préciser ce que recouvrent les termes « se souvenir » et « récit autobiographique ».

Ensuite ilsera possibled'examiner comment le travail de la mémoire est nécessaire à ce même récit autobiographique, sans pour autant serévéler suffisant. I.

Définition des termes « se souvenir » et « récit autobiographique » Il peut être utile d'opposer se rappeler quelque chose et se souvenir de quelque chose.

Se rappeler est plutôt lié auxfacultés rationnelles : intelligence, volonté ; alors que dans se souvenir, il existe un aspect involontaire, unecoloration émotionnelle, ce qu'évoque l'usage de la préposition « de » qui introduit un complément indirect. Les souvenirs sont des éléments de la « vie intérieure », un aliment pour la sensibilité qui les préfère souvent auprésent et cherche à les fixer pour nier la fuite du temps.

Le souvenir est donc lié à l'affectivité et aux émotions. Le récit autobiographique est la mise en forme des souvenirs.

Il recouvre des aspects aussi différents que le journalintime, les mémoires, la correspondance...

autant de façons de raconter sa vie.

Plus que tout autre, le récitautobiographique entretient un rapport complexe avec la réalité : l'auteur relate des faits qu'il a vécus mais avec unregard rétrospectif. Le récit autobiographique n'est pas la biographie : Du grec bios « vie » et graphein « écrire », la biographie fait lerécit d'une vie, généralement celle d'un personnage important.

Elle est écrite à la troisième personne par un historienou un journaliste. Dans les mémoires, nous sommes plus près du récit autobiographique : une personne qui a joué un rôle importantdans des événements historiques, comme témoin ou comme acteur, peut être amenée à écrire ses mémoires, pourtémoigner ou justifier ses actes.

Dans la Guerre des Gaules, l'empereur César fait le récit de ses conquêtes, à latroisième personne.

Charles de Gaulle utilise le même procédé dans ses Mémoires de guerre.

L'auteur raconte etexplique le déroulement des événements en faisant part de sa vision personnelle des faits.

Le « je » des mémoires. »

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