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Stéphane Mallarmé (1842-1898): Hérodiade

Publié le 17/01/2022

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Oui, c'est pour moi, pour moi, que je fleuris, déserte ! Vous le savez, jardins d'améthyste, enfouis Sans fin dans de savants abîmes éblouis, Ors ignorés, gardant votre antique lumière Sous te sombre sommeil d'une terre première, Vous, pierres où mes yeux comme de purs bijoux Empruntent leur clarté mélodieuse, et vous, Métaux qui donnez à ma jeune chevelure Une splendeur fatale et sa massive allure ! Quant à toi, femme née en des siècles malins Pour la méchanceté des antres sibyllins, Qui parles d'un mortel ! selon qui, des calices De mes robes, arôme aux farouches délices, Sortirait le frisson blanc de ma nudité, Prophétise que si le tiède azur d'été, Vers lui nativement la femme se dévoile, Me voit dans ma pudeur grelottante d'étoiles, Je meurs ! Mallarmé a longtemps caressé le rêve de composer le « Livre » qui pourrait annuler le hasard qui pèse sur la création, le hasard qui force l'artiste à faire des choix de thèmes et de formes. Un coup de dés jamais n'abolira le hasard (1897) est l'aveu de l'impossibilité de réaliser cette oeuvre d'art totale et condense, en quelques pages éclatées, l'expérience poétique de toute une vie.

« extrait d'Hérodiade.

Se déroule ici le même drame du désir inassouvi que nous avions mis en évidence chez Louise Labé et La Boétie.

La différence réside dans le fait que la scène, où se déroule ce drame, a changé de place.

Elle sesitue maintenant sur un plan que nous pourrions qualifier de métaphysique : elle est plus intériorisée.

Si le drameest, dès lors, difficile à comprendre pour la plupart d'entre nous, il apparaît en revanche plus clair pour lepsychanalyste, dont l'interprétation constituera notre seconde approche du texte. Hérodiade est un pur produit du fantasme : elle n'est pas un compromis entre la femme imaginaire et la femme réellecomme c'est le cas pour Marie dans le sonnet de Ronsard.

Hérodiade refuse tout contact avec le réel : « Et je déteste, moi, le bel azur », dira-t-elle, dans la suite de notre extrait.

Pure image, elle ne pourrait survivre au contact des rayons du jour véritable : « si le tiède azur d'été [...] Me voit [...] Je meurs ! » Dès lors, elle se doit de rester enfermée dans la nuit intérieure, « sous le sombre sommeil d'une terre première », dans la contrée la plus reculée et la plus obscure de l'esprit du poète, au milieu « de savants abîmes ».

Hérodiade « hante les régions isolées que n'a foulées nul pied d'homme » (Edgar Atlan Poe, Silence, traduction de Stéphane Mallarmé). La nourrice, avec qui Hérodiade dialogue, appartient, elle, au monde réel (elle est une « femme née en des siècles malins »).

Elle propose à sa maîtresse de la rejoindre sur ce versant clair de la vie, mais se heurte à un refus fortement imprégné d'angoisse.

Il s'agit d'une angoisse de mort (« splendeur fatale ») qui, en psychanalyse, est un analogon de l'angoisse de castration.

En adoptant ce point de vue, on se rend compte que, sur ce fond d'angoisse,se découpe une série d'objets précieux (« améthyste », « ors », « pierres », « bijoux », « métaux », « calices ») qui composent non seulement la parure mais aussi le corps de la jeune femme.

Elle est elle-même cet objet qui sedémultiplie dans le poème : on trouvera dans la suite du texte le vers : « Hérodiade au clair regard de Diamant [...] » Il s'agit là de l'objet « a » de Jacques Lacan.

Cette expression désigne le noyau du symptôme, brûlé par les feuxdu désir inassouvi (« éblouis », « antique lumière », « clarté mélodieuse »). Un autre plan se dégage si l'on poursuit cette lecture du texte : celui du dépouillement absolu et de la disparition.Hérodiade ne peut s'exposer à la lumière du jour sans disparaître.

C'est pourtant dans cette lumière réelle que sabeauté pourrait être goûtée par le poète et convertie en pure jouissance.

Mais le fantasme restera à jamaisincorporel, impalpable : il n'est tout au plus que la fine pellicule de soleil qui recouvre les êtres et les choses.

Et lamain qui se tend et qui brûle du désir de saisir l'objet est condamnée à disparaître en même temps que lui, à chaquetentative d'étreinte.Cet au-delà du langage, que représentent ici la blancheur et l'invisible (« le frisson blanc de ma nudité », « mapudeur grelottante d'étoiles »), est le lieu de la rencontre manquée du sujet avec l'objet de son désir.. »

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