Sous la diversité de l'oeuvre de Diderot, peut-on distinguer une unité profonde ?
Publié le 11/09/2014
Extrait du document
Homme du xvine siècle, Diderot ne pouvait
être satisfait du monde qui l'entourait, et son esprit critique s'acharne contre une société décadente. Dans la leçon de musique du Neveu de Rameau, nous voyons le personnage aux prises avec une femme vaniteuse et superficielle, avec une jeune fille rouée, paresseuse, frivole. Dans ce cadre futile s'incruste le parasite, victime consentante de la misère, avili par sa résignation, incapable de rompre avec ses habitudes : il considère avec cynisme qu'il aide les riches « à restituer « leurs scandaleuses fortunes. Sa seule arme est de jeter la poudre aux yeux de ses dupes. Nous retrouvons ces tableaux truculents ou gaillards dans toute l'oeuvre de Diderot, où les gens d'église sont souvent mêlés. Mais nous sommes loin des critiques logiques, fondées sur l'histoire et l'étude des moeurs, qu'un Rousseau dirige avec véhémence contre ses contemporains : le ton reste celui de la dérision.
«
118 DIDEROT
directeur et comme rédacteur, à !'Encyclopédie.
Mais cela ne le
détourne pas d'ouvrages plus orientés vers l'esthétique : il est
le premier grand écrivain qui dans des Salons ait su se passion
ner pour la peinture.
Il compose des traités sur l'art pictural,
sur l'art du théâtre; s'exerce au conte, dans le Neveu de Rameau par exemple ; écrit de multiples comédies pour illustrer une
conception dramatique différente de la conception classique.
Comment des préoccupations si divergentes peuvent-elles avoir
une inspiration commune, si l'on considère que chaque œuvre en elle-même présente une étonnante diversité?
Des ouvrages complexes Chaque question soulevée amène
en effet des digressions, sources
d'interrogations nouvelles : sans cesse
en éveil, la curiosité de
Diderot nous entraîne d'un sujet à l'autre.
Ainsi, dans Le Neveu
de Rameau, nous le voyons aborder avec son interlocuteur le
problème de l'hypocrisie sociale et de la flatterie, celui de la
pédagogie, celui de la morale.
Au passage, il évoque en quelques
traits acerbes les mœurs de la société contemporaine.
Conte ?
Roman ? Nouvelle? Essai ? On ne saurait classer cet ouvrage
dans un genre bien défini, le caractère chaotique de la compo
sition se traduisant dans le style lui-même.
La souplesse du style Il semble que l'auteur accueille, dans
ses éléments successifs, le déroule
ment
d'une «tranche de vie».
Sa technique, semblable à celle du « cinéma-vérité » moderne, nous transporte brusquement d'un genre littéraire à l'autre : descriptif lorsqu'il rapporte les
évolutions du Neveu transformé en mime, le style se fait lyrique pour évoquer la tempête que suggère la mélodie entonnée par le
héros ; le récit de la leçon de musique nous restitue un tableau
de Fragonard, mais les portraits cyniques des flatteurs pervertis
annoncent le monde des
Liaisons Dangereuses, tandis que les
faits et gestes de Rameau sont narrés sous une forme picaresque.
Le caractère composite de l'œuvre de Diderot est donc évident: peut-être explique-t-il qu'elle soit moins étudiée que celles de
Montesquieu ou de Rousseau.
II.
L'UNITÉ DE LA PENSÉE
On aime en effet à trouver chez un philosophe un système
cohérent, un exposé rigoureux et clair, accessible à l'intelligence.
Or, pour Diderot « notre sentiment n'est pas celui dans lequel.
»
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