Selon A. Adam, le théâtre racinien dépeint « un monde cruel, peuplé d'êtres pas-sionnés et faibles, entraînés par les fatalités de leur sang. » (Histoire de la litté¬rature française au xviie siècle). Commentez cette affirmation, à la lumière de vos lectures des tragédies raciniennes.
Publié le 26/03/2015
Extrait du document
La violence mais aussi la faiblesse et l'erreur du personnage tragique sont autant de signes, dans le théâtre racinien, du malheur de l'homme face à son destin. La doctrine janséniste rejoint ici l'essence du tragique antique pour faire de la passion une des formes de la faiblesse humaine. Tous les personnages raciniens sont, selon le mot du théologien janséniste Arnauld, « des chrétiens à qui la grâce a manqué « : à la manière d'un dieu vengeur, la « machine infernale« qu'est le système tragique débouche inévitablement sur la catastrophe* finale qui écrasera le héros, quoi qu'il ait fait.
«
La monstruosité
Le lexique de la monstruosité est récurrent, surtout dans Phèdre.
Il est le signe
que le personnage sort de l'humanité et laisse dominer en lui les forces obscures qui
le poussent à l'inceste (Phèdre) ou aux crimes les plus odieux (Néron).
Chez Racine,
les êtres purs sont des victimes toutes désignées pour les
« monstres » : Hippolyte
et Britannicus paient de leur vie leur innocence et leur sincérité.
Passion et cruauté
la différence de ses contemporains, Racine conçoit la passion comme une
impulsion brutale, de l'ordre de l'instinct, qui fait du héros une victime autant qu'un
bourreau.
C'est dans Andromaque (1667) qu'apparaît pour la première fois au
théâtre cette forme violente et destructrice de la passion, incarnée par Hermione.
Ill -L'ESSENCE DU TRAGIQUE RACINIEN
La formule de A.
Adam ne rend pas compte de !'essence du tragique racinien.
Un trag!'!lle.~~}'obstacle
Les personnages de Racine ne prennent corps et vie qu'en proportion de l'obs
tacle auquel leurs passions se heurtent.
C'est le rôle des coups de théâtre de per
mettre cette émergence du personnage à la grandeur tragique : sans le décret de
Rome qui l'empêche d'épouser Titus, Bérénice ne serait pas devenue cette héroïne
sacrificielle, dont la grandeur éclate
à la fin de la tragédie.
De même, c'est l'obstacle
(les conséquences de la guerre de Troie) qui révèle Andromaque à elle-même.
lJ.ll.~!:!l]~~~-~~ ..
~.~~~~li! Si les personnages raciniens sont faibles, c'est surtout parce qu'ils sont presque
toujours dans l'erreur.
Le manque de lucidité, illustré par l'ironie tragique*, est la
marque du héros.
Les dilemmes* auxquels ils sont confrontés ne leur permettent
jamais de sortir de l'impasse dans laquelle ils se trouvent.
Le héros croit choisir,
alors
qu'il est aveuglé par la divinité.
De manière systématique, c'est au moment où
il croit triompher que le héros est
écrasé: c'est Oreste triomphant après la mort de
Pyrrhus, alors qu'il va perdre Hermione ou encore Agrippine, sûre d'avoir maîtrisé
Néron, quelques instants seulement avant que celui-ci ne tue Britannicus.
Un tra_lli'!ll~ jall~é.nist_e
La violence mais aussi la faiblesse et l'erreur du personnage tragique sont autant de
signes, dans le théâtre racinien, du malheur de l'homme face à son destin.
La doctrine
janséniste rejoint ici !'essence du tragique antique pour faire de la passion une des
formes de la faiblesse humaine.
Tous les personnages raciniens sont, selon le mot du
théologien janséniste Arnauld,
« des chrétiens à qui la grâce a manqué » :
à la manière
d'un dieu vengeur, la« machine infernale» qu'est le système tragique débouche inévi
tablement sur la catastrophe* finale qui écrasera le héros, quoi qu'il ait fait.
Conclusion : Eros et Thanatos, l'amour et la mort, résument tous les enjeux
de la tragédie racinienne.
Après !'exaltation héroïque, qui caractérisai.t le
théâtre cornélien, Racine donne à voir la dégradation du sublime héroïque.
Ses personnages sont aussi faibles que violents, privés de toute espérance.
En
cela, Racine est bien
un homme de son époque, au carrefour des valeurs aris
tocratiques véhiculées par la cour de Louis XIV et du pessimisme janséniste..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Antoine Adam : « un monde cruel, peuplé d’êtres passionnés et faibles, entraînés par les fatalités de leur sang »
- Que ce soit dans le domaine du roman, de l'autobiographie, du théâtre ou de la poésie, la littérature fait souvent de larges emprunts à l'Histoire : Corneille fait revivre dans ses pièces des héros romains, Mme de La Fayette nous dépeint dans La Princesse de Clèves une fresque de la Cour d'Henri II, Ronsard, d'Aubigné, Hugo, et bien d'autres rehaussent parfois leur lyrisme de souvenirs ou de témoignages historiques ; en vous appuyant sur des exemples précis tirés de vos lectures, vous
- «Dans la mémoire des Français, le XVIIe siècle joue un peu le rôle d'une référence par rapport à laquelle on juge tout le reste, comme, avant le classicisme, on jugeait tout par rapport à l'antiquité. Cela tient peut-être au fait que ; par rapport aux siècles qui l'on précédé, il inaugure les temps modernes. Mais on peut croire aussi qu'en dépit des luttes qui ont marqué son histoire il évoque la pensée d'une certaine cohésion : l'approche, par différentes avenues, d'un commun idéal de
- Commentez ces lignes de Sylvain Menant (Littérature française, t. VI : De l'Encyclopédie aux Méditations, Arthaud, 1984) : «Tout le monde, de Voltaire à Diderot, cherche à définir un «droit naturel», droit absolu inscrit dans la raison humaine et antérieur, d'un point de vue intellectuel, à l'existence des sociétés. Ce droit naturel doit s'imposer dans tous les régimes politiques. Il protège la liberté des individus et leur fixe des devoirs. Chaque intervention dans les affaires du tem
- Commentez ce jugement de Voltaire sur le XVIIe siècle: Siècle de grands talents, bien plus que de lumière.