scène IV de l'acte III d'Hernani - Victor HUGO (commentaire)
Publié le 01/07/2011
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A la scène IV de l'acte III d'Hernani, l'héroïque bandit explique ainsi son caractère à Dona Sol :
HERNANI Tu me crois peut-être Un homme comme sont tous les autres, un être Intelligent, qui court droit au but qu'il rêva. Détrompe-toi. Je suis une force qui va! Agent aveugle et sourd de mystères funèbres! Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! Où vais-je? Je ne sais. Mais je me sens poussé D'un souffle impétueux, d'un destin insensé. Je descends, je descends et jamais ne m'arrête. Si, parfois, haletant, j'ose tourner la tête, Une voix me dit : marche! et l'abîme est profond, Et de flamme ou de sang je le vois rouge au fond ! Cependant à l'entour de ma course farouche, Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche! Oh! fuis! détourne-toi de mon chemin fatal, Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal. DONA SOL. Grand Dieu ! HERNANI. C'est un démon redoutable, te dis-je, Que le mien. Mon bonheur! voilà le seul prodige Qui lui soit impossible.
Tâchez, par une étude précise de ces quelques vers (idées et expressions), de définir le «héros romantique«, « l'homme fatal et irrésistible «, tel que Victor Hugo l'a plusieurs fois mis à la scène. — Si vous avez lu Werther ou René, vous pourrez trouver à Hernani des ancêtres qui achèveront d'expliquer son cas. Conseils pratiques, — Prenez garde : on ne vous demande pas tout ce que vous savez sur « le héros romantique « ; on vous demande de le « définir par une étude précise de ces quelques vers «. N'essayez même pas d'adapter à ce texte, tant bien que mal, les souvenirs des dissertations faites en classe sur ce sujet, ou ceux des manuels et des ouvrages de critique. C'est du texte qu'il faut partir. Et que vos observations aient une valeur générale, qu'elles s'appliquent à Didier, à Gennaro, à Ruy Blas, etc., cela est très possible, puisque c'est le même « type « que Victor Hugo a placé dans ses drames. Mais il est probable qu'elles ne s'y appliqueront pas toutes également, et en outre la règle est absolue : ne tournez pas autour du texte ; commentez-le avec méthode, et avec précision.
«
(1) lbid., ch.
VII, p.
112 sq.
et La Littérature française par \a de\i§erta.tion, t.
III : Le XIX0 siècle, sujets n°« 1147sq., p.
644 sq.Précis d'explication française, ch.
VIJI, p.
132 sq,Hernani, persuadé qu'elle va le trahir en épousant Silva, crie son nom à tue-tête et engage les gens du duc à ledénoncer pour gagner les mille carolus d'or promis à qui le livrera.
Fidèle aux lois de l'hospitalité, don Ruy Gomez aproclamé qu'il protégerait le bandit contre le roi lui-même qui vient le réclamer, et il est sorti pour armer le château.Alors a lieu entre Hernani et dona Sol une scène justement célèbre.
D'un mot la jeune femme dissipe les soupçonsde cette jalousie, si habile à s'exaspérer elle-même.
Hernani tombe à ses pieds, implore stfn pardon, puis expose parquelle fatalité il est né pour faire le malheur de tous ceux qui l'approchent.IIFatalité mystérieuse, et qui explique tout, étant elle-même inexplicable.
Certes, Hernani, en interrogeant sadestinée, trouverait des raisons de se croire « maudit » : son père est mort sur l'échafaud, tué par le roi d'Espagne,et lui a laissé la lourde tâche de le venger (et il ne le vengera pas, et le sort sera impitoyable contre le fils qui aoublié son serment) ; il est chef de bandits montagnards, et il aime dona Sol, de la plus haute noblesse, dona Solfiancée à l'un des seigneurs les plus puissants, etc.
Mais on sent bien que ces raisons sont secondaires 1 N'aurait-ilpas tous ces motifs qu'Hernani, comme les jeunes premiers du théâtre romantique, n'en serait pas moins le hérosfatal, redoutable aux autres et à lui- même.
Il a ce caractère a priori.
De tout temps il a été « marqué » pour ce rôlequi lui est imposé par une puissance cachée et inexorable, à laquelle il n'essaie pas de se dérober, bien plus, dont ilaccepte les volontés avec une sorte de volupté amère, accueillant avec une joie morbide ce qui doit torturer sonexistence, et avec une fierté hautaine les souffrances qui font de lui un être exceptionnel.
Car il y a un orgueilimmense dans ce sombre héros.
Ce développement anormal de sa sensibilité est un titre de gloire, payé chèrement :il a des joies inconnues au reste des hommes, et des douleurs auxquelles les autres ne sont pas admis, parce qu'ilsn'en sont pas dignes.
Il y faut du génie ; plus encore : il faut être un « élu ».
Sénèque disait qu'on doit plaindrecelui que l'adversité a épargné constamment, parce qu'il n'a pas paru à la fortune mériter le titre d'adversaire.
Lehéros romantique est si superbe que ses qualités de vaillance et de générosité le désignaient à la fortune pouressayer contre lui ses plus furieuses attaques.
Il les brave à l'avance, il les attend avec passion, il les provoque et ils'enivre à l'idée quelles le guettent, lui et tous ceux qui l'entourent.
Viennent les pires calamités, et il ne répéterapas avec Oreste que son malheur passe son espérance : elle est au-dessus de tout.
L'ironie du héros romantiquen'attend pas le cinquième acte pour toucher à la folie ; sa fureur maladive le lance dans une sorte de délire, dont lesaccents sont parfois pathétiques et émouvants.On peut distinguer trois parties dans le couplet.
Hugo, génie mâle, éloquent, vigoureux, compose nettement, mêmequand il fait parler une âme égarée : qui je suis — où je vais — où j'entraîne ceux qui m'approchent, voilà les trois «paragraphes » de ce fragment.Et d'abord, il dit ce qu'il n'est pas.
Il n'est pas un homme comme sont tous les autres.
Nous avons dit qu'il en avaitconscience, et que de là venait son orgueil énorme.
Dona Sol en a aussi conscience et, si elle comprend quelquechose dans cet homme étrange qui fait tout ce qu'il peut pour la torturer, dans cet amant étrange qui ne saitcaresser que lorsqu'il a causé une blessure, c'est précisément son étrangeté.
Le mystère l'attire invinciblement : ellen'a pas besoin d'être « détrompée ».
Et qu'il est intelligent, elle le sent bien aussi.
Hernani, à l'exemple de Ruy Blas,dirigerait l'univers comme il guide sa horde de bandits.
Mais il a le sentiment intime que son intelligence n'est pas auservice de sa volonté propre, que sa volonté n'est qu'un jouet entre les mains d'une puissance secrète quil'entraîne, qu'elle ne va pas vers un but librement choisi ; ce n'est même pas le verbe qu'il emploie, c'est : « rêver ».S'il rêvait, comme Ruy-Blas, de faire de son pays le premier entre toutes les nations, il abandonnerait ce dessein aupremier signal de la fatalité.
Ce n'est pas pour venger un père et épouser une femme adorée, ce n'est pas pour êtreun grand ministre, et se faire aimer d'une reine que le jeune premier romantique a été mis sur la terre.
C'est pourobéir aveuglément à une destinée cachée et implacable.
Il n'est pas un homme, il est une force qui va.
La volontéqui le pousse, l'intelligence qui le guide viennent d'ailleurs : lui n'est qu'une force lancée vers des fins inquiétantes etdouloureuses.Où va cette force? Que lui importe? La fatalité est si tyran- nique qu'elle ne laisse pas au héros le temps de se ledemander : il faut qu'il s'enfonce dans le gouffre, sans trêve ni merci.
Parfois, il voudrait s'arrêter, regarder en hautou en arrière ; une voix lui dit: Marche et il reprend sa course vers le crime, vers la mort.
Il ne tenterait rien pourse dérober.
Tout effort est inutile, et il le sent bien.
Vienne le sombre dénouement, et il criera : « Je suis heureux 1» et l'homme qui l'a condamné, ne pourra s'empêcher de murmurer avec envie, en le voyant mourir à côté de cellequ'il aime : « Qu'ils sont heureux î »Car le héros fatal entraînera dans sa chute l'âme sœur, prédestinée elle-même de tout temps à souffrir et à périravec lui.
C'est une loi que tous ceux qui s'attachent à lui ont leur part de son malheur.
Il y a quelque chose desatanique dans ce sentiment exprimé par Hernani ; nul n'accorde impunément de la pitié, de l'affection au réprouvé ;à plus forte raison, aucune femme ne lui accorde impunément son amour.
Eloa est précipitée au fond des enfers parSatan qu'elle plaint, qu'elle aime et qui l'entraîne dans le gouffre.
Mais Satan trompe la fille de Dieu par ses soupirset par ses pleurs.
Hernani ne cherche pas, par le spectacle de sa détresse, à séduire dona Sol.
Il la supplie del'abandonner, d'échapper au coup qui va la frapper, si elle ne s'écarte pas de lui.
Plus le danger est grand, plus lafatalité qui pèse sur Hernani est terrible, plus elle veut partager le sort du bandit.
Son exclamation : Grand Dieu!témoigne de l'admiration autant que de la pitié : dona Sol est subjuguée, fascinée, et le vers bien connu est déjàsur ses lèvres : « Vous êtes mon lion superbe et généreux.
»Hernani reprend avec plus d'insistance encore : que dona Sol n'ait aucune illusion ; son sacrifice ne saurait donner lebonheur à celui qu'elle aime.
Le démon d'Hernani est capable de tout, sauf de ce prodige : le bonheur de l'âmed'élite.
Exaspération violente, égarement irrité poussé jusqu'à la limite où la peinture de la passion devient lapeinture d'une maladie.
Le portrait de l'homme fatal est achevé; nous savons à présent quelle est la blessureprofonde qui fait son orgueil et sa torture ; nous avons le secret de sa mélancolie.III.
»
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