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SARTRE, Les Mouches (Acte Il, 2e tableau, scène 8)

Publié le 22/10/2013

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sartre

ÉLECTRE

Jette ton épée. Donne-moi cette main. (Elle lui prend la main et l’embrasse) Tes doigts sont courts et carrés. Ils sont faits pour prendre et pour tenir.

Chère main ! Elle est plus blanche que la mienne. Comme elle s'est faite lourde pour frapper les assassins de notre père ! Attends. (Elle va chercher un flambeau et l’approche d’Oreste). Il faut que j'éclaire ton visage, car la nuit s'épaissit et je ne te vois plus bien. J'ai besoin de te voir quand je ne te vois plus, j'ai peur de toi ; il ne faut pas que je te quitte des yeux. Je t'aime. Il faut que je pense que je t'aime. Comme lu as l'air étrange !

 

ORESTE

Je suis libre, Electre ; la liberté a fondu sur moi comme la foudre.

 

ÉLECTRE

Libre ? Moi, je ne me sens pas libre. Peux-tu faire que tout ceci n'ait pas été ? Quelque chose est arrivé que nous ne sommes plus libres de défaire. Peux-tu empêcher que nous soyons pour toujours les assassins de notre mère?

 

ORESTE

Crois-tu que je voudrais l'empêcher ? J'ai fait mon acte, Electre, et cet acte était bon. Je le porterai sur mes épaules comme un passeur d'eau porte les voyageurs, je le ferai passer sur l'autre rive et j'en rendrai compte. Et plus il sera lourd à porter, plus je me réjouirai, car ma liberté, c'est lui. Hier encore, je marchais au hasard sur la terre, et des milliers de chemins fuyaient sous mes pas. car ils appartenaient à d’autres. Je les ai tous empruntés, celui des haleurs, qui court au long de la rivière, et le sentier du muletier et la route pavée des conducteurs de chars ; mais aucun n'était à moi. Aujourd’hui, il n 'y en a plus qu'un, et Dieu sait où il mène mais c'est mon chemin. Qu'as-tu ?

 

ÉLECTRE

Je ne peux plus te voir ! Ces lampes n'éclairent pas. J'entends ta voix, mais elle me fait mal, elle me coupe comme un couteau. Est-ce qu'il fera toujours aussi noir, désormais, même le jour ? Oreste ! Les voilà !

           

ORESTE

Qui ?

 

ÉLECTRE

 

Les voilà ! D'où viennent-elles ? Elles pendent du plafond comme des grappes de raisins noirs, et ce sont elles qui noircissent les murs ; elles se glissent entre les lumières et mes yeux, et ce sont leurs ombres qui me dérobent ton visage.

 

ORESTE

Les mouches...

Oreste a tué Égisthe, puis il a tué sa propre mère Clytemnestre. Ainsi est accomplie la vengeance du meurtre d'Agamemnon. Le jeune homme retrouve sa soeur, Electre, dont la joie initiale cède la place à la peur, en même temps que sa conscience s'obscurcit du poids des remords. Face à cette angoisse, Oreste affirme sa liberté en revendiquant la responsabilité pleine et entière de son acte.

sartre

« • 5 s'est faite lourde pour frapper les assassins de notre père! Attends.

(Elle va chercher un flambeau et elle l'approche d'Oreste.) Il faut que j'éclaire ton visage, car la nuit s'épaissit et je ne te vois plus bien.

J'ai besoin de te voir: quand je ne te vois plus, j'ai peur de toi ; il ne faut pas que je te quitte des yeux.

Je t'aime.

Il faut que je pense que je t'aime.

Comme tu as l'air étrange! 10 ORESTE : Je suis libre, Électre; la liberté a fondu sur moi comme la foudre.

ÉLECTRE : Libre? Moi, je ne me sens pas libre.

Peux-tu faire que tout ceci n'ait pas été? Quelque chose est arrivé que nous ne sommes plus libres de défaire.

Peux-tu empêcher que nous soyons pour toujours les assassins de notre mère? 15 ORESTE: Crois-tu que je voudrais l'empêcher? J'ai fait mon acte, Électre, et cet acte était bon.

Je le porterai sur mes épaules comme un passeur d'eau porte les voyageurs, je le ferai passer sur l'autre rive et j'en rendrai compte.

Et plus il sera lourd à porter, plus je me réjouirai, car ma liberté, c'est lui.

• 20 • Hier encore, je marchais au hasard sur la terre, et des milliers de chemins fuyaient sous mes pas, car ils appartenaient à d'autres.

Je les ai tous emprun­ tés, celui des haleurs, qui court au long de la rivière, et le sentier du muletier • • et la route pavée des conducteurs de chars; mais aucun n'était à moi.

Au­ jourd'hui, il n'y en a plus qu'un, et Dieu sait où il mène : mais c'est mon chemin.

Qu'as-tu? 25 ÉLECTRE: Je ne peux plus te voir! Ces lampes n'éclairent pas.

J'entends ta voix, mais elle me fait mal, elle me coupe comme un couteau.

Est-ce qu'il fera toujours aussi noir, désormais, même le jour? Oreste! Les voilà! ORESTE : Qui ? ÉLECTRE: Les voilà! D'où viennent-elles? Elles pendent du plafond comme 30 des grappes de raisins noirs, et ce sont elles qui noircissent les murs; elles se glissent entre les lumières et mes yeux, et ce sont leurs ombres qui me déro­ bent ton visage.

ORESTE : Les mouches ...

Oreste a tué Égisthe, puis il a tué sa propre mère Clytemnestre.

Ainsi est accomplie la ven~eance du meurtre d'Agamemnon.

Le jeune homme re­ trouve sa sœur, Electre, dont la joie initiale cède la place à la peur, en même temps que sa conscience s'obscurcit du poids des remords.

Face à cette angoisse, Oreste affirme sa liberté en revendiquant la responsabilité pleine et entière de son acte.

1 -ÉLECTRE OU LA CONSCIENCE ALIÉNÉE Le l~~Y,Iinthe des senti~ents Électre exprime d'abord l'amour fraternel dans la joie et l'exaltation des retrou­ vailles (admiration de la« chère main» dont elle admire la blancheur et des doigts «courts et carrés»).

Au« je t'aime» initial succède le doute de la seconde réplique qu'exprime le jeu des questions fondamentales sur la liberté.

Puis s'exprime la souf­ france ( « elle me fait mal», « elle me coupe » ).

Enfin cette souffrance est alourdie par la peur, voire l'angoisse, que renforcent les points d'exclamation et d'interrogation.

Ces divers sentiments se succèdent et se superposent en un véritable enchevêtrement.. »

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