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SAINT-EXUPÉRY : Argent et Aventure.

Publié le 15/02/2011

Extrait du document

Ces douze années d'efforts et de réussite, cette expérience acquise, ce nom qui malgré lui s'est dégagé d'entre les noms obscurs lui eussent permis le repos. Les marchands sont avides de ces gloires et leur ouvrent les salles de leur conseil. Et Mermoz eût pu, sans déchoir, s'asseoir un peu et goûter la vie. Tant d'hommes, pendant une partie de leur existence, se façonnent durement un nom, puis, ce nom créé, le négocient. Et ceci est bien. Il est un temps pour le travail, il est un temps pour l'aventure difficile, et puis il est un temps pour le loisir et pour l'achat grâce à l'argent des biens que l'on rêvait.    Mais Mermoz a compris quelque chose.    Ce n'est point par mépris de l'argent qu'il dédaigne de s'en contenter. L'argent est un moyen. Si l'on se procurait, avec l'argent, ce que l'on rêve, Mermoz n'aurait point de scrupule à tendre vers lui.    Mais ce que Ton peut rêver de plus précieux, l'argent ne l'achète point. L'argent est un pauvre instrument de conquête. Cette amitié, née dans les sables du désert, ce camarade lié pour la vie par une épreuve commune vécue en dissidence, l'argent ne l'achète pas.    Cette nuit de vol et ses cent mille étoiles, cette sérénité, cette souveraineté de quelques heures, l'argent ne l'achète pas.    Cette nouveauté du monde après l'étape difficile, ces arbres, ces fleurs, ces femmes, fraîchement colorés par une vie qui vient de vous être accordée à l'aube, ce concert des petites choses qui vous sont rendues et vous récompensent, l'argent ne l'achète pas.    Mermoz est l'un des rares hommes qui ne confondent pas l'argent, symbole de richesse et de possession, avec la richesse et la possession et qui, refusant un marché de dupes, repart une fois encore pour des expériences difficiles et, scandalisant ainsi les marchands qui, honnêtement, lui offraient leurs pauvres trésors, jouit des biens véritables.    Antoine de SAINT-EXUPÉRY.

« L'argent ne fait pas le bonheur« dit une maxime de la Sagesse des Nations... maxime que l'on répète parfois sans trop y croire, mais que Saint-Exupéry reprend avec conviction ; car, d'après l'expérience de Mermoz et la sienne propre, c'est l'aventure et non l'argent, qui leur a procuré les joies les plus véritables. (Lecture du texte).     

« lui est chère. — puis des images donnent aux idées une expression à la fois concrète, donc claire, et vive : « s'asseoir », « goûterla vie » (image qui rappelle celle de Lucrèce ou de La Fontaine dans La Mort et le Mourant, « façonner un nom », «négocier » ce nom... Pour éviter que le lecteur n'interprète sa pensée à contresens, Saint-Exupéry procède à quelques mises en relief : «sans déchoir » est entre virgules.

« Et ceci est bien » est net.

Même souci de précision dans la répétition demembres de phrase identiques : « il est un temps pour le travail, il est un temps pour l'aventure difficile, et puis ilest un temps pour le loisir...

» 2e partie. « Mais Mermoz a compris quelque chose » pique la curiosité et donne à ce qui suit l'autorité de ce qui a étémûrement réfléchi (« a compris »). — Un premier alinéa reprend des idées déjà formulées précédemment et les applique au cas de Mermoz — On sentbeaucoup de rigueur dans l'enchaînement des idées, beaucoup de solidité dans la pensée : on pourrait facilementramener cet alinéa à un syllogisme.

Mermoz recherche la réalisation de son rêve.

Or son rêve ne se procure pas parl'argent (mais par l'aventure) — Donc Mermoz ne recherche pas l'argent à tout prix (sans, pour autant, le mépriserpar principe).

« L'argent » et « le rêve », placés en fin d'expression et soulignés par la diction, marquent clairementl'opposition entre le moyen et le but. — Même antithèse dans la première phrase de l'alinéa suivant : « Mais ce que l'on peut rêver de plus précieux,l'argent ne l'achète point ».

Le ton est toujours aussi ferme, aussi convaincu.

Grâce à des alliances de motsinattendues (ce qui est « précieux », c'est non pas l'argent, mais « rêver », et l'argent, lui, est un « pauvre » moyende conquête) Saint-Exupéry met l'ironie au service de sa cause. — La « conquête » dont il s'agit, c'est, comme la suite va le montrer, l'exaltation de la personnalité.

Au leitmotiv «l'argent ne l'achète pas », dit sur le ton de la commisération, l'auteur oppose, avec enthousiasme ou effusion, toutce qui fait sa joie de vivre : l'amitié née au milieu des dangers (une accumulation pathétique évoque les difficultéssurmontées en commun) ; les joies du vol (contemplation des paysages célestes ; impression de puissance — larépétition du démonstratif « cette », — emphatique — dit tout son enthousiasme) ; les émotions fortes : après ledanger, l'impression qu'on recouvre une vie qu'on aurait pu perdre, et qui donne à tout une valeur nouvelle : cetteimpression est bien rendue par les expressions vives : fraîchement colorées » « vie...

accordée à l'aube » « concert de petites choses rendues »...

L'expérience de l'aviateur est exprimée de façon particulièrement suggestive. 3e partie. La conclusion reprend l'antithèse entre l'argent et la vraie richesse, la vraie possession, et montre la source de laconfusion commune : on confond « symbole de » et « source de », « identique à ».

Saint-Exupéry termine enreprenant l'évocation du premier paragraphe : le marchand est scandalisé...

encore qu'il soit de bonne foi...

mais ilne comprend pas une attitude si différente de la sienne ! L'ironie est donc mesurée.

L'admiration du héros n'entraînepas le mépris hautain du commun, qui a ses qualités.

Cette modération plaît chez les grands hommes. Conclusion. Saint-Exupéry expose ici un idéal d'une certaine élévation morale, dans le mesure où elle met l'aventure au-dessusde l'argent, et surtout bien viril : vie intensément vécue, joie du risque, contemplation de scènes grandioses de lanature, amitié scellée par les dangers courus ensemble...

idéal propre à séduire une jeunesse ardente. Et si le style est « l'homme même », celui de Saint-Exupéry est ferme et nuancé comme sa pensée, mesuré dansson ironie quand il s'agit d'apprécier la conduite de l'honnête moyenne des hommes, et, lorsqu'il veut communiquerl'enthousiasme, imagé et d'une éloquence sentie qui aboutit au lyrisme.. »

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