Ruy Blas, III, 2 - Hugo (commentaire)
Publié le 28/05/2015
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Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
Pour vous, pour vos plaisirs, — pour vos filles de joie,
Le peuple misérable, et qu'on pressure encor,
1080 A sué quatre cent trente millions d'or!
Et ce n'est pas assez ! et vous voulez, mes maîtres !...
Ah ! j'ai honte pour vous! — Au dedans, routiers, reîtres,
Vont battant le pays et brûlant la moisson.
L'escopette est braquée au coin de tout buisson.
1085 Comme si c'était peu de la guerre des princes,
Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
Morsures d'affamés sur un vaisseau perdu!
Notre église en ruine est pleine de couleuvres;
1090 L'herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d'oeuvres.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
L'Espagne est un égout où vient l'impureté
De toute nation. — Tout seigneur à ses gages
A cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
1095 Génois, sardes, flamands. Babel est dans Madrid.
L'alguazil, dur au pauvre, au riche s'attendrit.
La nuit on assassine, et chacun crie: A l'aide!
— Hier on m'a volé, moi, près du pont de Tolède! —
La moitié de Madrid pillé l'autre moitié.
1100 Tous les juges vendus. Pas un soldat payé.
Anciens vainqueurs du monde, Espagnols que nous sommes.
Quelle armée avons-nous? A peine six mille hommes,
Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,
S'habillant d'une loque et s'armant de poignards.
1105 Aussi d'un régiment toute bande se double.
Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble
Où le soldat douteux se transforme en larron.
Matalobos a plus de troupes qu'un baron.
Un voleur fait chez lui la guerre au roi d'Espagne.
1110 Hélas! les paysans qui sont dans la campagne
Insultent en passant la voiture du roi.
Et lui, votre seigneur, plein de deuil et d'effroi,
Seul, dans l'Escurial, avec les morts qu'il foule,
Courbe son front pensif sur qui l'empire croule!
1115 - Voilà ! - L'Europe, hélas! écrase du talon
Ce pays qui fut pourpre et n'est plus que haillon.
L'état s'est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Ce grand, peuple espagnol. aux membres énervés,
1120 Qui s'est couché dans l'ombre et sur qui vous vivez,
Expire dans cet antre où son sort se termine,
Triste comme un lion mangé par la vermine !
— Charles-Quint, dans ces temps d'opprobre et de terreur,
1 46
Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant empereur?
Ce royaume effrayant, fait d'un amas d'empires,
Penche... Il nous faut ton bras! au secours, Charles-Quint!
Car l'Espagne se meurt, car l'Espagne s'éteint!
Ton globe, qui brillait dans ta droite profonde,
Que le jour désormais se levait à Madrid,
Maintenant, astre mort, dans l'ombre s'amoindrit,
Lune aux trois quarts rongée et qui décroît encore,
Et que d'un autre peuple enlacer l'aurore!
Tes rayons, ils en font des piastres! Tes splendeurs,
On les souille! — O géant! se peut-il que tu dormes? —
On vend ton sceptre au poids! un tas de nains difformes
Se taillent des pourpoints dans ton manteau de roi;
11-10 Et l'aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,
Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,
Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme !
À travers cette tirade, Ruy Blas apparaît pour la première fois dans sa fonction de Premier ministre. Dans un style virulent, il attaque ses interlocuteurs, ministres corrompus qui cherchent à profiter de la décadence de l'Espagne. La dénonciation débouche sur un appel pathétique à la seule personne qui pourrait sauver le pays: l'empereur défunt, Charles-Quint. Par cette conclusion, Ruy Blas manifeste son impuissance politique : avant d'être ministre, il est le porte-parole de Hugo, exprimant le profond dégoût de ce dernier pour la « cuisine politique « de son temps.
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