Rousseau - Les Confessions: « Ce souvenir cruel me trouble quelquefois... » - Le ruban volé
Publié le 26/07/2013
Extrait du document
Texte de ROUSSEAU
Le ruban volé
Il est bien difficile que la dissolution d'un ménage n'entraîne un peu
de confusion dans la maison, et qu'il ne s'égare bien des choses.
Cependant telle était la fidélité des domestiques, et la vigilance de M. et
Mme Lorenzi, que rien ne se trouva de manque sur l'inventaire. La seule
Mlle Ponta perdit un petit ruban couleur de rose et argent déjà vieux.
Beaucoup d'autres meilleures choses étaient à ma portée ; ce ruban seul
me tenta, je le volai, et comme je ne le cachais guère on me le trouva
bientôt. On voulut savoir où je l'avais pris. Je me trouble, je balbutie, et
enfin je dis en rougissant que c'est Marion qui me l'a donné. Marion était
une jeune Mauriennoise dont Mme de Vercellis avait fait sa cuisinière,
quand, cessant de donner à manger, elle avait renvoyé la sienne, ayant
plus besoin de bons bouillons que de ragoûts fins. Non seulement Marion
était jolie, mais elle avait une fraîcheur de coloris qu'on ne trouve que
dans les montagnes, et surtout un air de modestie et de douceur qui
faisait qu'on ne pouvait la voir sans l'aimer. D'ailleurs bonne fille, sage, et
d'une fidélité à toute épreuve. C'est ce qui surprit quand je la nommai.
L'on n'avait guère moins de confiance en moi qu'en elle, et l'on jugea qu'il
importait de vérifier lequel était le fripon des deux. On la fit venir ;
l'assemblée était nombreuse, le comte de la Roque y était. Elle arrive, on
lui montre le ruban, je la charge effrontément ; elle reste interdite, se tait,
me jette un regard qui aurait désarmé les démons et auquel mon barbare
cœur résiste. Elle nie enfin avec assurance, mais sans emportement,
m'apostrophe, m'exhorte à rentrer en moi-même, à ne pas déshonorer
une fille innocente qui ne m'a jamais fait de mal ; et moi avec une
impudence infernale je confirme ma déclaration, et lui soutiens en face
qu'elle m'a donné le ruban. La pauvre fille se mit à pleurer, et ne me dit
que ces mots : " Ah Rousseau ! je vous croyais un bon caractère. Vous me
rendez bien malheureuse, mais je ne voudrais pas être à votre place. "
Voilà tout. Elle continua de se défendre avec autant de simplicité que de
fermeté, mais sans se permettre jamais contre moi la moindre invective.
Cette modération comparée à mon ton décidé lui fit tort. Il ne semblait
pas naturel de supposer d'un côté une audace aussi diabolique, et de
l'autre une aussi angélique douceur. On ne parut pas se décider
absolument, mais les préjugés étaient pour moi. Dans le tracas où l'on
était on ne se donna pas le temps d'approfondir la chose, et le comte de la
Roque en nous renvoyant tous deux se contenta de dire que la conscience
du coupable vengerait assez l'innocent. Sa prédiction n'a pas été vaine ;
elle ne cesse pas un seul jour de s'accomplir.
J'ignore ce que devint cette victime de ma calomnie ; mais il n'y a
pas d'apparence qu'elle ait après cela trouvé facilement à se bien placer.
Elle emportait une imputation cruelle à son honneur de toutes manières.
Le vol n'était qu'une bagatelle, mais enfin c'était un vol, et, qui pis est,
employé à séduire un jeune garçon ; enfin le mensonge et l'obstination ne
laissaient rien à espérer de celle en qui tant de vices étaient réunis. Je ne regarde pas même la misère et l'abandon comme le plus grand danger
auquel je l'aie exposée. Qui sait, à son âge, où le découragement de
l'innocence avilie a pu la porter. Eh ! si le remords d'avoir pu la rendre
malheureuse est insupportable, qu'on juge de celui d'avoir pu la rendre
pire que moi.
Ce souvenir cruel me trouble quelquefois et me bouleverse au point
de voir dans mes insomnies cette pauvre fille venir me reprocher mon
crime comme s'il n'était commis que d'hier. Tant que j'ai vécu tranquille il
m'a moins tourmenté, mais au milieu d'une vie orageuse il m'ôte la plus
douce consolation des innocents persécutés : il me fait bien sentir ce que
je crois avoir dit dans quelque ouvrage, que le remords s'endort durant un
destin prospère et s'aigrit dans l'adversité. Cependant je n'ai jamais pu
prendre sur moi de décharger mon cœur de cet aveu dans le sein d'un
ami. La plus étroite intimité ne me l'a jamais fait faire à personne, pas
même à Mme de Warens. Tout ce que j'ai pu faire a été d'avouer que
j'avais à me reprocher une action atroce, mais jamais je n'ai dit en quoi
elle consistait. Ce poids est donc resté jusqu'à ce jour sans allégement sur
ma conscience, et je puis dire que le désir de m'en délivrer en quelque
sorte a beaucoup contribué à la résolution que j'ai prise d'écrire mes
confessions.
Lecture méthodique
Présentation du texte
I. Le récit des faits
a) L'organisation du récit
Allusion générale aux
Le vol du ruban
La présentation de Marion
La confrontation de l'accusateur et de l'accusé
L'issue du procès
II. Le présent du narrateur, réactions a posteriori et conséquences
des faits passés
a) Le sort pitoyable de la victime
b) Les remords du bourreau
III. L'écriture autobiographique dans les Confessions
a) L'importance du récit
b) L'analyse
c) Une double démarche, auto-accusation et recherche d'excuses
ConclusionRousseau – Les Confessions
« Ce souvenir cruel me trouble quelquefois... «
«
Rousseau – Les Confessions
« Ce souvenir cruel me trouble quel quefois...
»
Texte
Le ruban volé
Il est bien difficile que la dissolution d'un ménage n'entraîne un peu
de confusion dans la maison, et qu'il ne s'égare bien des choses.
Cepe ndant telle était la fidélité des domestiques, et la vigilance de M.
et
Mme Loren zi, que rien ne se trouva de manque sur l'inventaire.
La seule
Mlle Ponta perdit un petit ruban couleur de rose et argent déjà vieux.
Bea ucoup d'autres meilleures choses étaient à ma portée ; ce ruban seul
me tenta, je le volai, et comme je ne le cachais guère on me le trouva
bie ntôt.
On voulut savoir où je l'avais pris.
Je me trouble, je balbutie, et
enfin je dis en rougissant que c'est Marion qui me l'a donné.
Marion était
une jeune Mauriennoise dont Mme de Vercellis avait fait sa cuisinière,
quand, cess ant de donner à manger, elle avait renvoyé la sienne, ayant
plus b esoin de bons bouillons que de ragoûts fins.
Non seulement Marion
était jolie, mais elle avait une fraîcheur de coloris qu'on ne trouve que
dans les montagnes, et surtout un air de modestie et de douceur qui
faisait qu'on ne pouvait la voir sans l'aimer.
D'ailleurs bonne fille, sage, et
d'une fidélité à toute épreuve.
C'est ce qui surprit quand je la nommai.
L'on n'avait guère moins de confiance en moi qu'en elle, et l'on jugea qu'il
importai t de vérifier lequel était le fripon des deux.
On la fit venir ;
l'assemblée était nombreuse, le comte de la Roque y était.
Elle arrive, on
lui montre le r uban, je la charge effrontément ; elle reste interdite, se tait,
me jette un regard qui aurait désarm é les démons et auquel mon barbare
cœur r ésiste.
Elle nie enfin avec assurance, mais sans emportement,
m'apo strophe, m'exhorte à rentrer en moi -même, à ne pas déshonorer
une fille innocente qui ne m'a jamais fait de mal ; et moi avec une
impudence i nfernal e je confirme ma déclaration, et lui soutiens en face
qu'elle m'a do nné le ruban.
La pauvre fille se mit à pleurer, et ne me dit
que ces mots : " Ah Rousseau ! je vous croyais un bon caractère.
Vous me
rendez bien malheureuse, mais je ne voudrais pas être à votre place.
"
Voilà tout.
Elle continua de se défendre avec autant de simplicité que de
fermeté, mais sans se permettre jamais contre moi la moindre invective.
Cette modér ation comparée à mon ton décidé lui fit tort.
Il ne semblait
pas naturel de suppos er d'un côté une audace aussi diabolique, et de
l'autre une aussi angélique douceur.
On ne parut pas se décider
absolument, mais les pr éjugés étaient pour moi.
Dans le tracas où l'on
était on ne se donna pas le temps d'approfondir la chose, et le comte de la
Roque en nous renvoyant tous deux se contenta de dire que la conscience
du coupable vengerait assez l'innocent.
Sa prédiction n'a pas été vaine ;
elle ne cesse pas un seul jour de s'accomplir.
J'ignore ce que devint cette victime de ma calomnie ; mais i l n'y a
pas d'apparence qu'elle ait après cela trouvé facilement à se bien placer.
Elle emportait une imputation cruelle à son honneur de toutes manières.
Le vol n'était qu'une bagatelle, mais enfin c'était un vol, et, qui pis est,
employé à séduire un jeu ne garçon ; enfin le mensonge et l'obstination ne
laissaient rien à espérer de celle en qui tant de vices étaient réunis.
Je ne.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Confessions de Rousseau: le ruban volé
- Les Confessions, Rousseau. Le Ruban volé.
- Le Ruban Volé - Les Confessions De Rousseau
- ROUSSEAU Le ruban volé Livre II : Tout ce que j'ai pu faire ... ou plutôt j'y étais encore.
- Jean Jacques Rousseau, Le vol du ruban, Les Confessions, Livre second