ROUSSEAU Le ruban volé Livre II : Tout ce que j'ai pu faire ... ou plutôt j'y étais encore.
Publié le 15/01/2013
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ROUSSEAU "Le ruban volé" Livre II : "Tout ce que j'ai pu faire ... ou plutôt j'y étais encore". Introduction - ROUSSEAU / Oeuvre / Confessions. - Situation du passage : quelques lignes avant la fin du livre II. Mme de Warens a envoyé J.J à l'hospice des catéchumènes de Turin pour qu'il s'y convertît. Après de nombreuses péripéties, J.J se retrouve baptisé et libre. Recommandé à une famille de la noblesse turinoise, il devient laquais chez Mme de Vercellis. A la mort de celle-ci, trois mois plus tard, J.J vole un ruban et pour se disculper, accuse une jeune et innocente cuisinière, Marion, puis persiste dans sa dénonciation. Tous les deux sont renvoyés. Le narrateur Rousseau voit dans cet aveu d'un mensonge injuste l'un des éléments déterminants de son acte et de ses conséquences (la pauvre Marion affichée comme voleuse et menteuse a-t-elle pu retrouver du travail ?), mais il n'en a pas fini pour autant avec cet épisode fondateur. Ainsi, dans notre extrait réfléchit-il à la valeur éthique (morale) de l'aveu et aux motifs qui peuvent expliquer - si ce n'est justifier- son "crime". LECTURE - Question : nous allons nous demander pourquoi l'aveu de la faute est suivi d'une justification de celle-ci : est-ce le signe d'une mauvaise foi de Rousseau qui ne pourrait accepter cette image dégradée de lui-même ? Ou est-ce la volonté d'éclairer la totalité de son être pour atteindre l'image vraie et juste de son moi ? - Plan : I) La valeur de l'aveu (du début à "... conforme à la vérité") II) La justification : le transfert amoureux, premier motif (de "Jamais ..." à "... et de le lui donner" ) III) La justification : le sentiment de honte et le jeune âge, second et troisième motifs (de "Quand je la vis paraître ..." à la fin "... j'y étais encore".) I) La valeur de l'aveu (Du début à "... conforme à la vérité") En réalité, on peut encore subdiviser cette séquence en deux sous-parties, en deux temps, selon un rythme binaire annonçant la méthode de Rousseau : d'abord, aveu de la faute et ensuite justification de cette dernière (voir la conjonction "mais" qui marque clairement la séparation entre ces deux moments). 1) Une réflexion sur l'aveu. Ici, aucun détail anecdotique sur l'aveu lui-même car le narrateur a déjà raconté la scène (voir les séquences narratives précédentes) mais discours du narrateur qui parle à partir de son présent d'énonciation et commente la confession qu'il vient de faire ; or ce présent a double valeur : - Présent de l'auteur : "je puis dire" et "jusqu'à ce jour". Le déictique "ce" souligne la date de l'écriture de l'épisode. Les verbes au passé du premier paragraphe renvoient au passé biographique, réel de l'énonciateurauteur, antérieur à cette date de l'écriture de l'aveu. Or, il ressort justement de ce passé que l'auteur n'a jamais pu avouer son "crime" à quiconque. Ce mensonge constitue pour Rousseau l'ineffable ("ce qu'on ne peut raconter"), l'innommable, cette incapacité, impuissance étant suggérée par diverses expressions négatives "tout ce que j'ai pu" (la restriction implique la négation) ; "jamais je n'ai dit" ; "sans allégement". Son "crime" est ineffable car il est trop terrible pour ne pas en faire craindre l'aveu : forte présence d'un champ lexical de la culpabilité, qui traduit la mauvaise conscience de Rousseau "avouer ; action atroce ; me reprocher ; poids ; conscience ; noirceur ; forfait". L'accumulation des termes dramatise l'aveu qui est une véritable épreuve mais qui du même coup a une valeur thérapeutique : il libère, soulage la conscience de son auteur. Il est remarquable que l'aveu dans le passé a été impossible car c'était un aveu oral. L'aveu écrit des Confessions surmonte les embarras de la parole qui est toujours un problème pour Rousseau. Le média de l'écrit libère la parole, l'affranchit du poids de tout un passé de mutisme. - Problème de la sincérité de l'aveu : Rousseau ne se contente pas de souligner la valeur thérapeutique de l'aveu mais, en tant que narrateur, il réfléchit à la valeur de l'aveu à l'intérieur même des Confessions . Les indices d'énonciation n'ont plus la même valeur : "celle que je viens de faire" pronom passé proche (venir de + infinitif) -> l'acte d'avoir raconté référent : confession du mensonge => La temporalité, le présent de l'énonciation, n'a plus de référent extérieur mais interne au livre. De même l'adverbe "ici" désigne un lieu dont le référent est l'espace du livre : "l'on ne trouvera pas que j'aie ici pallié". Il s'agit donc d'une réflexion d'éc...
«
Il s'agit donc d'une réflexion d'écrivain, de narrateur qui s'interroge sur le respect de ses engageme nts pris
dans le pacte autobiographique initial.
L'aveu cons titue un élément essentiel des Confessions
car en révélant
les actions mauvaises ou honteuses, il participe de cette volonté de tout dire, de tout révéler.
Or le texte fait
écho au préambule.
L'adverbe "rondement", en signif iant une affaire bien menée, suggère par l'idée de
rondeur la plénitude de celui qui n'ajoute rien de faux ni ne dissimule quelque chose (voir le préambu le "je
n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon").
De p lus par l'expression "pas pallier la noirceur du forfait", le
narrateur n'a pas édulcoré le forfait ; la noirceur est bien rendue.
D'où la certitude sereine (voir a dverbe
"sûrement") de celui qui a bien agi : l'écriture es t un acte qui apporte la plénitude : le champ lexic al de
l'action ("résolution, écrire, procédé" s'oppose au forfait : le crime est contrebalancé, compensé par l'audace
de l'écriture de son aveu.
Le narrateur a une assur ance telle qu'il anticipe sur le commentaire du lecteur (futur
de "trouvera") qui ne pourra qu'admettre que Rousse au n'a pas hésité à se montrer "vil et méprisable".
Mais le narrateur se trouble au regard de ce qui su it : l'annonce de la justification de sa faute.
2) Justification de la justification (!)
Notre titre est peu clair mais il révèle que l'inte ntion d'expliquer la faute commise est en elle-même
problématique : voir le changement de mode des verb es, conditionnel ("remplirais") et subjonctif
("craignisse"), qui traduit la fin de la sérénité d u narrateur.
En effet, la critique traditionnelle accuse
Rousseau d'être de mauvaise foi : il s'accuse, avou e son crime, mais pour pouvoir mieux ensuite et
finalement se justifier en s'auto-disculpant.
Elle dénonce aussi l'auto-accusation hyperbolique,
disproportionnée par rapport à la faute (parler de "crime" pour le vol d'un ruban...) qui laisse entendre que
Rousseau est un homme vertueux puisqu'il commet ici sa plus mauvaise action ! la critique fait remarquer
qu'à l'inverse, Rousseau minimise des faits beaucou p plus graves (livre III : l'abandon de M.
Le Maître et
l'exhibitionnisme).
Mais écoutons ce que dit le nar rateur.
Grâce au mode de l'irréel (conditionnel et
subjonctif), il imagine ce que produirait l'aveu sa ns justification : "je ne remplirais pas le but de ce livre" ->
idée d'une oeuvre incomplète (donc la fin de la plé nitude).
L'expression "ne pas s'"excuser en ce qui est
conforme à la vérité" révèle une rupture claire ave c le pacte autobiographique (voir "dire l'homme dan s toute
la vérité de sa nature").
Le verbe "craignisse" ren voie à l'_uvre d'un lâche qui a peur des réactions d'autrui et
préfère reculer, ne pas dire.
Ainsi le narrateur a conscience des risques encouru s ; il sait que l'opinion commune exige que celui
qui confesse ses fautes se limite à cela (voir la c onfession chez les catholiques).
Mais ce serait pou r Rousseau
une dissimulation, un mensonge car il doit à la vér ité la révélation de ses "dispositions intérieures".
Voir le
pacte "intus et in cute" : éclairer les motifs des actes.
Certes l'analyse a valeur de justification, car expliquer
le pourquoi des actes, c'est éclairer le contexte e t les circonstances atténuantes.
Mais qui voudrait juger
quelqu'un sans connaître le contexte ? Il est certa in que sa hiérarchisation de ses fautes est surpren ante : cette
histoire de ruban volé nous semble moins grave que l'abandon de M.
de Maître atteint de crise d'épilepsie
dans un Lyon inconnu...
C'est un point de vue subje ctif qui s'exerce.
La sincérité est dans l'écriture, dans
l'émotion qui l'habite, non dans les faits.
L'épiso de du ruban volé est fondamental aux yeux de Rousse au car
il inclut le problème du mensonge.
Dans la quatrièm e promenade des Rêveries du promeneur solitaire
,
Rousseau y reviendra, à l'occasion d'une réflexion sur le mensonge, question essentielle pour celui qu i a
adopté comme devise la formule de Juvénal "consacre r sa vie à la vérité".
L'épisode s'oppose à celui du peigne cassé : deux c as d'injustice, mais où J.J joue un rôle opposé ; de
victime, il devient bourreau ; d'accusé à tort, il devient accusateur injuste, alors que la première e xpérience
de l'injustice avait eu pour effet de faire de lui un grand justicier (un Zorro !) toujours disposé à défendre les
plus faibles surtout quand ils sont victimes d'une injustice (voir explication n°3).
D'où la nécessité qui
s'impose au narrateur et au lecteur, de comprendre ce qui a pu pousser J.J à agir contre sa nature et contre ses
principes moraux.
L'entreprise autobiographique apparaît donc audacie use : le narrateur qui veut exposer ses motifs ("si je
m'exposais") en même temps s'expose, c'est-à-dire q ue la vérité est une mise à nu fragilisante, soit parce
qu'elle donne une image humiliante de soi, soit par ce qu'elle est interprétée comme de la mauvaise foi .
Mais
exposer
renvoie aussi à l'éloquence judiciaire : pour mene r à bien son désir de justification, le narrateur va
procéder de façon méthodique en produisant un texte argumentatif clairement ordonné suivant les différents
motifs de son "crime".
Ainsi la seconde séquence co rrespond au premier motif..
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