RONSARD. Ode (commentaire composé)
Publié le 16/09/2011
Extrait du document

ODE
Ma douce jouvence est passée,
Ma première force est cassée,
J'ai la dent noire et le chef blanc,
Mes nerfs sont dissous, et mes veines,
Tant j'ai le corps froid, ne sont pleines
Que d'une eau rousse en lieu de sang.
Adieu, ma lyre, adieu, fillettes,
Jadis mes douces amourettes,
Adieu, je sens venir ma fin :
Nul passe-temps de ma jeunesse
Ne m'accompagne en la vieillesse,
Que le feu, le lit et le vin.
J'ai la tête toute élourdie.
De trop d'ans et de maladie;
De tous côtés le soin me mord,
Et soit que j'aille ou que je tarde,
Toujours après moi je regarde
Si je verrai venir la Mort,
Qui doit, ce me semble, à toute heure
Me mener là-bas, où demeure
Je ne sais quel Pluton, qui tient
Ouvert à tous venants un antre
Où bien facilement on entre,
Mais d'où jamais on ne revient.
RONSARD.
Vous ferez de ce texte un commentaire composé en cherchant, par exemple, par quels moyens et sur quel ton Ronsard traduit ici le dépouillement d'un être devant la vieillesse et la mort.

«
Dans ses Odes (1550-1556) ou dans les sonnets des Amours ,
Ronsard a bien souvent chanté le thème épicurien de la joie de
vivre et de la joie d'aimer, de même que son corollaire : le
sentiment de la fuite du temps et l'angoisse de la mort Vers la fin
de sa vie, ces thèmes vont trouver dans son œuvre une résonance
plus personnelle et plus émouvante : malade, alité, torturé par
la
goutte, Ronsard écrit encore quelques poèmes où il exprime ses
souffrances physiques et sa préocupation de l'au-delà .
« Ma douce jouvence est passée ...
,.
L'ode qui commence par ce
vers mélancolique est sans doute une œuvre tardive, de celles que
les amis de Ronsard ont publiées après sa mort, en 1586, sous
le
titre de Derniers vers.
Le poète y évoque sa décrépitude physique
avec un grand réalisme.
Sa santé délabrée l'a déjà contraint à
renoncer aux plaisirs de
la vie, mais cette résignation ne fait pas
pour autant taire le sentiment d'angoisse qui l'habite ...
Avec un réalisme digne de Villon , Ronsard dépeint sa vieillesse : il
est miné par l'âge et par la maladie , et son corps en porte les
stigmates.
Quelques images saisissantes nous décrivent son état.
c J'ai la dent noire et le chef blanc,.: l'âge est d'abord visible par
ces détails extérieurs frappants -et
il est vraisemblable que le
lecteur moderne est davantage sensible au caractère assez « cru "
de la première notation, pourtant très banale pour les contempo
rains du poète .
L'image suivante, celle de
la « liquéfaction », est
assurément plus originale :
• Mes nerfs sont dissous, et mes
veines,
1 ( ...
) ne sont pleines 1 Que d'une eau rousse en lieu de
sang.
,.
Cet homme qui n'a plus de chaleur, plus de sang dans les
veines, comme nous dirions , a
la sensation d'avoir le corps
« froid ,., et ce froid , c'est à n'en pas douter celui de la mort qui le
guette .
Cet affaiblissement, cette décrépitude physique vont mal
heureusement de pair avec une certaine perte des facultés
mentales :
le « prince des poètes » n'a plus sa vivacité d'antan
mais au contraire
« la tête tout étourdie ».
Cet autoportrait réaliste ne va pas sans une grande amertume .
Les
sonorités douces des deux premiers octosyllabes ,
l' allüération en
• s •, traduisent les regrets et la mélancolie du poète, qui ne peut
que constater la
fuite du temps :
« Ma douce jouvence est passée,
Ma première force est cassée.
..
,..
»
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