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Romain Gary, Clair de femme

Publié le 27/02/2011

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Je descendais du taxi et la heurtai, avec ses paquets, en ouvrant la portière : pain, œufs, lait se répandirent sur le trottoir — et c'est ainsi que nous nous sommes rencontrés, sous la petite pluie fine qui s'ennuyait.    Elle devait avoir mon âge, à quelques années près. Un visage qui semblait avoir attendu les cheveux blancs pour réussir ce que la jeunesse et l'agrément des traits n'avaient fait qu'esquisser comme une promesse. Elle paraissait essoufflée, comme si elle avait couru et craint d'arriver trop tard. Je ne crois pas aux pressentiments, mais il y a longtemps que j'ai perdu foi en mes incroyances. Les « je n'y crois plus « sont encore des certitudes et il n'y a rien de plus trompeur.  J'essayai de ramasser ce qui restait de vivres à mes pieds et faillis tomber. Je devais être assez clownesque.    — Laissez...    — Je suis désolé, désolé... Excusez-moi...    Elle riait. Les rides se creusaient autour des yeux, et les années se posaient, venaient reprendre leur place.    — Ce n'est vraiment pas grand-chose, comme casse. Il y a tellement mieux...    Déjà, elle se détournait, et je craignis le pire : se manquer par « comme il faut «, respect des convenances et bon usage du monde.    Ce fut le chauffeur du taxi qui nous sauva.    Romain Gary, Clair de femme, 1977.    Vous ferez de cette page, qui est la première du roman, un commentaire composé. Vous pourriez, par exemple, montrer par quels moyens (point de vue et ton adoptés, jeu des pronoms, jeu des temps, utilisation du récit, de la description, de l'analyse, du dialogue, etc.) le narrateur suscite dès le départ l'intérêt du lecteur et l'entraîne à sa suite.

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« • Le hasard est de ce domaine, c'est-à-dire celui de la vie courante, banale, du fil des événements familiers. • C'est le temps perçu vivement, mais quelques instants, au milieu du coutumier. • C'est ce qui arrive, sans préparation ni de lieu, ni de faits... • La vie de tous les jours est ici, dans cette page, indiquée par les choses : « paquets » et surtout ce qu'ilscontiennent : « pain, œufs, lait...

», les éléments les plus communs d'un repas. • Elle apparaît aussi dans le dialogue, simple, classique dans son évolution : — un certain affolement dans le langage du responsable de la « casse », traduit par la répétition de « désolé », maisqui n'arrive pas à dépasser la platitude : « excusez-moi » ;— politesse de celle qui a subi le préjudice — léger d'ailleurs — : « Laissez...

», puis « ce n'est vraiment pas grand-chose ». • Langage volontairement courant, habituel, au vocabulaire indéfini « pas grand-chose » et aux ruptures desyntaxe, dont aous émaillons notre langue parlée : « ce n'est...

pas grand-chose,// comme casse »... • Phrases brèves, répliques immédiates. • D'autre part, le hasard est un procédé du conte.

Il arrive sous forme d'un événement qui peut déterminerl'épisode. • Or le ton, dès la première ligne — qui est aussi la première ligne du roman — est celui du conte. • Mélange de temps avec imparfait qui représente un acte d'une certaine durée : « je descendais » et passé simple: « et la heurtai », deux verbes qui ont le même sujet mis en facteur commun, donc non répété ce qui tisse lesmouvements. • Le passé simple correspond au hasard : fait unique, fortuit.

C'est à partir de cette maladresse que toutcommence. • De plus, comme dans le quotidien, les choses réagissent, sont présentes, avant les humains, en premier,...

« serépand[ant] sur le trottoir »... • ...

tandis qu'une coupe volontaire met en valeur ce qui dépend des deux mouvements précédents :nous nous sommes rencontrés« — et c'est ainsi que• Outre le tiret qui souligne la coupe, le gallicisme « c'est...

que » dégage le terme essentiel, dont le passé composémarque la valeur intermédiaire entre durée (imparfait) et fait unique (passé simple) : « nous nous sommesrencontrés ». • Cependant le quotidien semble engluer les deux protagonistes : monotonie des conditions atmosphériques et de la« petite pluie fine q^ii s'ennuyait ».

Celle-ci, comme les aliments, participe directement, comme un paysage qui ades états d'âme (ennui) au lieu de les provoquer selon une réaction traditionnelle. • Sorte de complicité de ce qui n'est pas humain pour créer l'atmosphère en grisaille plus révélatrice, par opposition,du fait accidentel. • Quant à la rencontre, elle semble d'abord se dérouler, comme le dialogue, de façon régulière : premièrement, aprèsqu'il l'ait heurté, le héros voit la femme. • En quelques lignes le romancier transmet ce qui est vu et perçu : âge, visage, cheveux blancs, respiration «essoufflée ». • Au cours du si rapide dialogue, les réactions de la femme se précisent : « elle riait », et son portrait aussi,insistant à nouveau sur l'âge : « les rides...

les années...

». • C'est le regard du romancier qui place les personnages, regard qui les domine, à une certaine distance. • Il permet au narrateur de la rencontre : « Je », de se voir lui-même en train d'agir, d'insister sur une secondemaladresse : « J'essayai de ramasser », sur le grotesque de l'attitude, puisqu'il a « failli tomber ». • Il accorde même à ce narrateur une prise de conscience suffisamment lucide pour qu'il émette un jugement peuamène à son propre égard : « je devais être assez clownesque ». • C'est bien l'attitude de quelqu'un qui est gêné face à la personne aux yeux de laquelle il voudrait compter.

On a. »

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