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ROBLÈS Emmanuel : sa vie et son oeuvre

Publié le 01/12/2018

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ROBLÈS Emmanuel (ne en 1914). Comme Albert Camus, Emmanuel Roblès appartient à cette « École d’Alger » qui connut son plus grand rayonnement pendant l’Occupation, lorsque la métropole d’Afrique du Nord était devenue la « capitale intellectuelle » de la France. Ce Méditerranéen, à l’aise dans les cultures française, hispanique et maghrébine, grand voyageur, est aussi un humaniste ouvert à la pitié, dont l’œuvre n’a cessé de se référer à la violence ancestrale qui dresse les hommes les uns contre les autres.
 
Une culture méditerranéenne
 
Né à Oran, fils posthume d’un maçon d’origine anda-louse, le jeune Emmanuel Roblès fait dans la rue l’apprentissage des dissensions politiques et raciales, mais s’enchante de la « mer indigo » et des « étés brûlants », tandis que la lecture de Conrad et de Melville enflamme son imagination (Jeunes Saisons, 1961). Renonçant à sa vocation de marin, il prépare comme boursier l’École normale d’Alger : c’est l’ouverture au monde musulman (Mouloud Feraoun est son condisciple) et à la vie intellectuelle. Camus, Pascal Pia l’accueillent à l'Alger républicain. Tout en approfondissant sa culture espagnole, Roblès voyage comme reporter en Allemagne, en Chine, en Indonésie et visite Angkor. L’éditeur algérois Edmond Chariot s’intéresse à ses premières œuvres : romans, comme l'Action (1938, publié en 1946), histoire d’une grève à Alger à l’époque du Front populaire, ou comme la Vallée du paradis (1941) puis Travail d’homme (1942) et Nuit sur le inonde (1944); poème en prose, la Marie des Quatre-Vents (1942); essais, comme son Garcia Lorca, publié en 1949, etc. Mobilisé à Alger, Roblès y rencontre Gide, Soupault, Max-Pol Fouchet, Amrouche, Saint-Exupéry, participant comme correspondant de guerre dans l’aviation à la campagne d’Italie (Cela s'appelle l'aurore, 1952, porté à l’écran par Bunuel; le Vésuve, 1961). La paix revenue, il reprend ses voyages, Mexique, Amérique du Sud, tout en gardant l'Algérie comme port d’attache. Attentif aux secousses qui ébranlent son pays natal (les émeutes de Sétif lui inspirent les Hauteurs de la ville, prix Femina 1948), ami de Kateb Yacine, d’Abou Kacem, d’Ech Chebbi, Roblès fonde la revue Forge, qui devient bientôt célèbre dans les lettres maghrébines, puis, sur le conseil de Camus, qu’avaient frappé ses dons de dialoguiste, il se lance dans le théâtre : Montserrat (1948), La vérité est morte (1952), sans pour autant ralentir sa production romanesque (Federica, 1954; le Grain de sable, 1955; les Couteaux, 1956). Rentré en France en 1958 — année où il publie l'Horloge, pièce en trois actes —, l’écrivain reste au contact des cultures arabe et espagnole, préfaçant le Journal de Mouloud Feraoun (1962) et une édition de Don Quichotte (1973). Il écrit alors des nouvelles (F Homme d'avril, 1959; la Mort en face, 1961) et ses souvenirs (Jeunes saisons). Directeur de collection au Seuil, membre de l’académie Goncourt depuis 1973, il se consacre au théâtre (Plaidoyer pour un rebelle, 1966; Un château en novembre et la Fenêtre, 1984) et au roman : la Remontée du fleuve (1964), la Croisière (1968), Saison violente (1974), les Sirènes (1978), l'Arbre invisible (1979), Venise en hiver (1981), la Chasse à la licorne (1985), les Rives du fleuve bleu (1990), l'Herbe des ruines (1992). Roblès a en outre signé des traductions de l’espagnol (Lorca, Ramôn Sender, Ser-rano Plaja).
 
La réconciliation impossible
 
A travers le lyrisme de la mer et du soleil, la Marie des Quatre-Vents, avec ses métaphores voluptueuses (« l’étreinte merveilleuse de l’eau ») et son exotisme (ces îlots en forme de « pagodons chinois »), dit l’illusion momentanée, partagée alors avec Camus, d’un univers méditerranéen où l’homme vivrait « en harmonie avec le monde ». Mais les premiers romans de Roblès annoncent déjà l’éclatement de ce rêve paradisiaque, déchiré par la sauvagerie et la haine : brutalité, répression arbitraire viennent s’abattre sur un troupeau passif, figuré par ces voyageurs de trolleybus « le bras levé, accrochés aux lanières de cuir, tels des poissons séchés suspendus par la bouche » (les Hauteurs de la ville). D’où, chez une poignée de révoltés, frères des personnages de Malraux et de Hemingway, ces conduites de vengeance ruminées dans l’ombre, décrites en phrases brèves alternant avec les discussions théoriques des entrevues clandestines. On pense à la Condition humaine, qui, confie Roblès, « a pénétré dans mon esprit comme une boule de feu ».
 
Le théâtre durcit encore ce discours sur la violence. Celle-ci devient totalitaire, frappant au hasard, s’attaquant à la vie dans ce qu’elle a de plus sacré, la mère aux « seins gonflés de lait » (Montserrat), dévoilant sous l’universelle férocité l’absurdité sans recours de notre condition : le bourreau de six otages (ibid.) n’est qu’une pâle image de Dieu exterminant après mille tourments les créatures « sorties du néant et qu’il se réserve de rejeter au néant ». Dans des lieux fictionnels divers, Espagne, Venezuela, Indonésie, l’espace théâtral roblé-sien reste clos, enfermant les personnages entre « les murs épais » (Montserrat) ou les murailles (La vérité est morte) d’un implacable destin. D’où une atmosphère étouffante, rendant plus cruel le langage des bourreaux, plus pitoyable le cri des victimes, plus désespéré le conflit entre le devoir du soldat et l’allégeance à un idéal humaniste incarné par les héros principaux, Montserrat ou Juârez (La vérité est morte). Dans une tension extrême, mais sans grandiloquence, les dialogues atteignent à la « simplicité, la sévérité » que Roblès admirait chez Lorca.
 
Mais la fraternité (la Croisière), l’amour ne projettent-ils pas une signification au moins passagère sur ce monde de violence? Depuis le Vésuve jusqu’à Venise en hiver, Roblès évoque avec sensualité ces rencontres heureuses qui semblent, face aux drames modernes de la guerre, du terrorisme, fonder un autre « ordre du monde » (« cette émotion, ce trouble, ce sentiment que le monde est définitivement délivré du désespoir, de la douleur, de la perfidie, de la cruauté », le Vésuve). En contrepoint, Roblès écrit la tragédie des amours brisées par la mort (les Sirènes), prétexte à une phénoménologie

« de la solitude avec ses hallucinations, ses rêves, ses« tra­ hisons » lorsque Je « cœur infirme >> se réchauffe à la tendresse d'une autre femme.

L'écriture n'a plus alors d'autre fonction que de chercher, comme le note B.

Poi­ rot-Delpech, «à partager quelque chose ...

à se trouver des frères en désespoir».

Ainsi Roblès reste-t-il fidèle à ce qui fait J'unité de son œuvre : la dénonciation du « scandale » de la douleur « qui fait hurler les hommes à travers les âges » (préface de Montserrat).

BIBLIOGRAPHIE M.-A.

Rozier, Emmanuel Rob/ès 011 la Rupture du cercle, Sherbrooke (Québec).

Naaman, 1973.

Voir aussi «Pour saluer Roblès »,revue Simoun, déc.

1959.. »

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